…et une fois l’arche gonflable passée, on la vivra comme une pièce toute classique réduite à quatre actes

L’exposition comme performance…

d'Lëtzebuerger Land vom 20.10.2023

Aktion, happening, performance…, dans quelque langue que ce soit, les termes ramènent aux années soixante, à une époque de très large expansion, ou vaut-il mieux dire d’épanouissement des arts. En tout cas, tout se passait comme si les limites n’existaient plus, les arts plastiques débordant dans le spectacle, les musées se mettant à rivaliser avec les cinémas ou les théâtres en matière de représentation. Finie la distinction de Lessing, du nebeneinander (dans l’espace, aux cimaises par exemple) et aufeinander folgend (dans le temps). L’un rejoignant l’autre, les deux se mêlant.

After Laughter Comes Tears, deuxième volet de la Mudam Performance Season lancée en 2021, voici dans le grand hall et les deux espaces des galeries du rez-de-chaussée, un tour des installations et vidéos, subsumées sous la notion de performance, de 34 artistes, œuvres pour la plupart très récentes. Mais le ton est donné, dès l’entrée, avec l’arche gonflable de Ghislaine Leung, souhaitant la bienvenue, en anglais bien sûr. Pour bien signifier que le lieu n’est plus tout à fait un musée, au sens habituel, et qu’il tiendra un peu de la fête foraine et du parc d’attraction. Plus sérieusement, le livre que vous auriez eu intérêt à lire avant la visite, nous apprend que cet accueil « remet en question l’autorité et l’authenticité de la communication institutionnelle ». Il est temps encore d’en mettre le texte en entier sur internet, l’exposition étant ouverte jusqu’au mois de janvier ; de même il est toujours trop tard de lire un programme de théâtre, d’opéra, cinq minutes avant le lever du rideau.

D’un monde triste et malade, acte premier, aux larmes censées sécher par elles-mêmes, acte quatre, les œuvres nous confrontent avec le monde comme il va mal, dessinent comment les artistes (et nous-mêmes) l’affrontons, essayons tous de nous orienter tant bien que mal face aux crises, face aux pires manifestations d’un univers qu’on dirait sorti de ses gonds. Les artistes le font, les uns directement, les autres de façon plus détournée, avec force images, voire interpellations, où il est notamment question de se demander où se sentir à l’aise dans ce monde en mutation.

Attention, cela ne veut pas dire que l’on parcoure et sorte de cette exposition, tête baissée, découragés, déprimés. On ne va pas aller jusqu’à retourner son titre, pas de quoi rigoler non plus, mais il est au moins quelque chose de bien encourageant, de réconfortant, à défaut d’excitant ou d’exaltant, dans la pléthore de création, mieux de créativité, de force créatrice, déployée sur notre parcours. Où il n’est pas possible de passer en revue toutes les prises de position artistiques, c’est l’affaire de la visite, du livret ou catalogue explicatif.

On se limitera ici à autre chose dont l’idée est venue de telles œuvres quand même. Et en premier de l’œuvre la plus ancienne de l’exposition, elle date de 1995, une vidéo, Temperance and Toil, du Polonais Artur Żmijewski (rencontré jadis et naguère aux Documentas 12 et 14 ainsi qu’à Venise, à la 51e Biennale), un vieux de la vieille donc, c’est laudatif, on dira pourquoi. Un homme, lui-même, et une femme (l’artiste polonaise elle aussi, Katarzyna Kozyra) s’y font face, se touchent, se pressent l’un contre l’autre, se pétrissent, se triturent : une belle expérience qui passe de la corporéité (attention au corps que l’on a) à la corporalité (au corps que l’on est), et à chacun d’y mettre ou non une part de sexualité.

En face de cette vidéo, le corps d’une femme généré par ordinateur, dans Sympton Machine, 2014-2019, de Kate Cooper. Les temps ont changé, les moyens d’expression de même. Żmijewski restait proche des origines des actions, des happenings (pas besoin de donner des exemples). Dans une radicalité déjà quelque peu atténuée, mais où l’on sent toujours une certaine urgence ; aujourd’hui, place à une tendance ludique, au mieux fondée sur de l’ironie. Ce qui fait regretter que devant les moulages de Jean-Charles de Quillacq, des corps démembrés, nous restions indifférents.

Ah, pourquoi dès lors (si ce n’est pour se protéger contre des accusations idiotes) avertir encore de tel « contenu sensible susceptible de ne pas convenir à tous les publics », là où l’horreur est ailleurs que dans les musées. Vous quitterez l’exposition en passant devant les grandes bannières de Chris Korda, qui datent elles aussi de 1995-1996. Cette activiste américaine a eu il y a un an une grande rétrospective à Poitiers ; elle a gardé l’humour mordant, la stratégie du choc, de la transgression.

footnote

Lucien Kayser
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