Des hommes traumatisés à vie par le goût du lait, ce verre de lait et la part de gâteau avec lesquels les garçons ont été récompensés après avoir avalé le sperme du vicaire qu’ils ont été obligés de satisfaire oralement. S’ils ont été assez forts pour ne pas pleurer pendant l’acte, ils recevaient une image de saint, pour dix petites images, récoltées par une bonne sœur, ils avaient droit à un verre de Coca. Le vicaire se justifiait par le fait que Jésus avait lui aussi aimé et caressé les petits enfants et la nonne les culpabilisait, leur reprochant d’exciter le saint homme parce qu’ils étaient nus. Deux fois par semaine, elle les accompagnait au presbytère où ils étaient forcés de se dévêtir et s’asseoir sur les genoux du vicaire. C’est un des témoignages les plus poignants recueillis par les membres de la hotline de l’Église catholique, dont le rapport final1 a été rendu public hier (d’Land du 2 juillet 2010).
138 personnes ont choisi de faire usage de cette ligne spéciale destinée aux signalements d’abus sexuels, de violence et de mal-traitance systématique exercés par des représentants de l’Église. Cette hotline avait été installée après l’éclatement de scandales de prêtres pédophiles dans les pays voisins. Extrapolé au niveau de la population, ce chiffre est pratiquement deux fois plus élevé qu’en Belgique. Cent personnes ont affirmé qu’elles ont été des victimes pendant leur jeunesse. « La plupart de ces enfants étaient issus de milieux très défavorisés et n’ont connu que très peu de soutien de la part de leurs parents, mêmes lorsqu’ils leur rapportaient ce qu’ils avaient subi », raconte Mill Majerus (CSV), le coordinateur de la cellule de contact qui a accueilli des témoignages pendant trois mois, entre le 6 avril et le 16 juillet. Les abominations signalées datent de 1932 à 1994, le témoin le plus jeune a vingt ans aujourd’hui. Il y a eu deux cas d’homicide, respectivement de soupçon d’homicide.
46 pour cent des faits se sont déroulés dans des foyers et internats, 32 pour cent à l’école dans le cadre de l’enseignement religieux. Soixante pour cent des victimes sont des hommes. Les abus sexuels ont surtout touché les hommes (79 pour cent des victimes de violence sexuelle), dont 61 pour cent étaient des enfants de huit à douze ans. La grande majorité a dû subir des viols et attouchements pendant plusieurs semaines, des mois ou des années entières.
Pratiquement tous les cas (114 sur 138) ont été rapportés au Parquet, même si la majeure partie des infractions sont prescrites aujourd’hui. Certains ont été retenus parce qu’il n’y avait pas assez d’informations ou que la victime s’opposait à la divulgation ; il y a en outre eu un témoignage de la part d’un auteur qui voulait expliquer son point de vue sur les faits qui lui ont été reprochés. Car les membres de la hotline n’ont pas essayé de savoir si les faits rapportés ont réellement eu lieu. Cette tâche incombe à la justice, chargée d’enquêter sur la véracité des témoignages. « Nous avons délibérément pris le choix de nous mettre du côté des victimes, sans nous intéresser davantage à la version des auteurs, explique Mill Majerus, nous prenons donc clairement position pour ces personnes qui ont été rendues muettes, qui n’avaient pas de droit de cité. Nous voulons aussi susciter une certaine émotion pour montrer ce que ces personnes ont dû subir, avant tout parce qu’à l’époque des faits, personne ne voulait les écouter. » C’est la raison pour laquelle il a choisi de communiquer sur certains témoignages – terrifiants – dans le rapport publié sur le site internet de l’Église.
Celui-ci tente de donner une réponse aux questions : comment était-ce possible ? Quels ont été les mécanismes qui ont fait que personne n’a réagi – ni au sein de l’Église, ni dans l’entourage de ces victimes les plus vulnérables ? Et comment éviter que l’histoire ne se répète ? L’archevêque a aussi été mis en copie de tous les témoignages et il s’est engagé à les faire analyser sous l’aspect du droit canonique. Mill Majerus propose aussi de créer une cellule permanente de vigilance au sein de l’Église, qui devrait fonctionner de manière indépendante. Des actions de sensibilisation parmi ses membres et des critères plus pointus dans leur sélection et leur encadrement seraient aussi de mise.
Dans la société civile, il propose de créer un endroit national qui puisse recueillir des témoignages d’enfants victimes ou de témoins de violence et de se concentrer davantage sur le travail avec les auteurs. Ce qui signifie aussi que chaque personne doit se rendre compte qu’elle se fait complice en évitant de se « mêler d’affaires qui ne la regardent pas ».