Pour Maalem, tout a commencé avec un tapis. Un tapis irrégulier, aux motifs déstructurés et aux touches de couleur éclatantes sur fond blanc crème. « J’ai eu un tel coup de cœur en voyant cette merveille chez une copine que je suis partie à la maison faire mes bagages pour Tanger au Maroc, où ma copine l’avait acheté», raconte Frédérique Buck. « Novice à l’époque, j’ai appris dans cette ville, qui ne correspondait d’ailleurs pas du tout à mes attentes, que ces tapis de laine viennent de la province berbère d’Azilal, au Nord de l’Atlas, et qu’ils sont plutôt rares…Parmi tous les tapis berbères que j’ai découverts plus tard, Beni Ourain, Boujad,… ils restent mes préférés, dit-elle. Ils sont si imprévisibles. Moi aussi, j’aime laisser une marge pour l’inattendu ».
Frédérique Buck a déjà fait beaucoup de choses dans la vie. Travaillant comme rédactrice-conceptrice dans la publicité pendant des années, elle a été assistante de communication à la librairie Ernster, puis chargée de com pour l’année culturelle en 2007, avant de déménager en Camargue avec son partenaire et ses deux enfants pour y ouvrir une maison d’hôte au milieu de nulle part. « C’était magnifique, dit-elle, les yeux pétillants. Le vent, la terre dans ce coin perdu en hiver, sont incroyables, mais la nature est dure aussi, et exigeante ». En dépit du succès de leur maison d’hôte, ils rentrent plus tôt que prévu – aussi parce que le dos de Frédérique ne joue plus le jeu. Ce mal motive également sa décision de réorienter sa vie professionnelle ; plus possible les journées passées assise devant un écran.
Maalem signifie « maître artisan » en arabe et découle de l’amour de Frédérique Buck pour les gens doués de leurs mains et pour la transmission de leur savoir ancestral précieux. Le petit espace épuré rue du Nord, reconnaissable de loin à la peau de renne exposée sur le pavé devant la porte, a ouvert en avril dernier. Ce qu’il propose sont des objets d’artisanat traditionnel le plus souvent revisités. « Ce n’est pas une boutique ‘tiers monde’, souligne Frédérique, ce qui est important, c’est l’approche design contemporain, même si les techniques anciennes subsistent ». Le label fair trade n’est pas une exigence absolue : « J’essaie, mais ce n’est pas toujours possible car très règlementé. Je vends ce qui a une approche vraiment originale ». Comme les bijoux éclatants en câble téléphonique, fabriqués par uSisi Designs, une coopérative de femmes sud-africaines du KwaZulu Natal, les coiffes en plumes bamiléké pour déco fabriquées par une Camerounaise, le papier à écrire subtil et soyeux de la côte amalfitaine, les colliers colorés du Mali ou les foulards flottants originaires du Cambodge… Déambuler dans Maalem est une fête pour les yeux et pour l’âme du voyageur ; c’est frôler des gammes de couleurs inattendues et tâter des textures insoupçonnées. C’est aussi une leçon de géographie. Souvent, c’est Frédérique Buck elle-même qui se perd dans les souks et autres marchés du monde pour dénicher ses trésors. « En ce moment, je suis obsédée par les pompons », rit-elle en faisant défiler sur son IPhone des photos de boules colorées sur des vêtements népalais. Mais elle travaille aussi avec des intermédiaires, notamment pour les objets d’Afrique sub-saharienne. Précisant : « mon but n’est pas du tout d’être antiquaire. L’idée de ramener de vieux trésors, sacrés de surcroît, en Europe ne me branche pas, au contraire ». Les tapis Azilal ? « Ils sont vendus par les semi-
nomades comme des objets fonctionnels ; ils en vendent et en refont d’autres. L’acte de nouer ces tapis durant les longues heures de la journée est au moins aussi important pour eux que le résultat. Quand on connaît cette région, on sent la nature époustouflante, le soleil, le vent, l’odeur de la montagne entrer dans ce tapis comme dans un coussin à parfums ».
En filigrane de Maalem, l’objectif de contribuer à l’économie locale et au développement de l’art et de la culture en achetant ces beaux objets. Mais pas seulement. « L’idée, à terme, est de faire confectionner de nouveaux produits, en coopération avec des stylistes luxembourgeois. J’ai identifié quelques projets plus concrets… c’est une voie à développer ». Debout devant sa dernière acquisition Azilal accrochée au-dessus du bureau, un pompon pourpre surgissant derrière sa tête aux cheveux courts, le foulard écarlate du Cambodge noué autour du cou, elle ne pourrait avoir meilleure pub.
Béatrice Dissi
Catégories: Stil
Édition: 03.01.2014