Que s’est-il passé avec les jeunes cinéastes autochtones ? Ont-ils tous regardé le Bauereblues, le documentaire de Julie Schroell pour Samsa (2011), où on voyait la fille de la Minette porter un regard niais sur une vache ou un tracteur de l’Œsling ? Finis les films sur les junkies et les marginaux, finies les images de soirées délurées en discothèque et la drague en robe lamée, voici venir les films sur l’enfer de la vie de province. Le fil conducteur de quatre des six courts-métrages (à l’exception du film d’animation Quenottes et de Casting a Woman) sélectionnés par le comité artistique du LuxFilmFest pour la soirée annuelle bon enfant était le mutisme, l’incapacité de communiquer dans ces familles déstructurées qui peuplent nos campagnes. Les constantes formelles : une narration extrêmement linéaire et des décors faits de terres immuables, de champs regorgeant de blé, de tracteurs et d’animaux
Il y a le père dans Summer Leaves, le film de fin d’études de la jeune Diana Nilles pour la London Film School. Henry se fait vieux et n’arrive plus à assumer tout le travail à la ferme, qui n’est plus viable. Sa fille Charlotte, qui travaille dans un bureau en ville, découvre l’ampleur de sa solitude et de son désespoir lorsqu’elle lui rend visite un week-end. Mais ses tentatives de lui parler échouent, il continue à vivre sa vie comme si de rien n’était. Summer Leaves essaie de parler de la mort des petites fermes en en faisant une histoire familiale, les images (JP Garcia) sont très belles, mais le fait que le film soit en anglais rend les dialogues un peu absurdes (« are you eating this every day ? » pour une Bouneschlupp).
Le père agriculteur du nouveau court-métrage de Max Jacoby (Dust, Red Lion, 2009), Et wor alles wéi ëmmer (Les Films Fauves) fait écho à Henry. Quelque part dans le nord du pays, il exploite une ferme tout seul, avec la charge d’une mère sénile et aveugle, Loni (excellente Léonie Kalté, à laquelle il arrive de ranger son chapeau dans le frigo), et une mystérieuse disparition en sus. Son fils Jérôme (Philippe Decker), parti faire ses études à Innsbruck, revient le temps d’un week-end pour assister son père. Tous font comme si tout était comme avant, y compris l’amour unilatéral de Céline (Anouk Wagener), qu’il a visiblement quittée, mais qui continue à aider son père et Loni. Max Jacoby essaie de capter ce mutisme, cet échafaudage inextricable de non-dits dans lequel se perdent les personnages, et il le fait dans une ambiance extrêmement sombre. Mais on reste sur sa faim, il y a quelque chose qui cloche, même la scène d’amour, qui s’annonçait pourtant sensuelle, est avortée.
La campagne de Marylène Andrin-Grotz se trouve en Champagne, en France, dont elle est originaire. Tout est calme est son deuxième court-métrage, trois ans après Errances, et comme le premier, elle l’a produit avec zéro budget (il a été refusé par le Film Fund). En Champagne, les viticulteurs remplacent les agriculteurs, ses personnages aident à faire les vendanges au lieu de vendre des animaux. Juliette (Elsa Rauchs, toujours aussi fragile) et ses deux frères Raphaël et Yann vivent en communauté dans une maison. Visiblement, Yann, l’aîné, a vécu un traumatisme, qui n’est jamais vraiment exprimé, en tout cas, il se mure dans un silence proche de l’autisme. Le cadet, Raphaël, est une petite frappe qui fréquente des dealers et des junkies (ah, quand même...), qui détruiront cette fragile normalité que Juliette tente désespérément d’instaurer dans leurs vies, avec des repas en commun et des moments à glander en terrasse. Tout est calme est un essai spontané qui en a toute la beauté et tous les travers (l’histoire demeure énigmatique si on n’a pas lu le résumé). Marylène Andrin-Grotz (que les lecteurs du Land connaissent pour ses critiques de cinéma), fan des cinéastes aux univers intimistes poétiques comme Jonas Mekas, a le grand mérite d’avoir défendu sa voie personnelle avec ce film honnête, à mille lieues du cinéma commercial.
Les frères de Aus den Aën de Nadia Masri (Amour Fou), son cinquième film, sont déjà en périphérie de la campagne. Pol (Luc Schiltz) habite dans un appartement anonyme d’une « rue Anatole France », quelque part au Luxembourg. Il a tout fait pour réussir son ascension sociale, peut-être qu’il est banquier ou auditeur, et joue le couple parfait avec sa copine Julie (Julie Kieffer). Mais il a quelque chose à cacher, une fêlure profonde, se réfugie tôt le matin dans son Audi sport pour écouter de la musique à fond la caisse sur son casque. C’est alors qu’apparaît Jérôme (impressionnant Tommy Schlesser, loin du gendre idéal qu’il joua jusqu’ici), son demi-frère dont il ignorait jusqu’à l’existence et qui, sortant tout juste de taule, ne sait pas où dormir. Au final, on découvre que les deux souffrent d’avoir été abandonnés par leur père commun – et que n’est pas kleptomane celui qu’on croit.
Dans cette sélection assez homogène, ce sont les deux autres films qui se démarquaient le plus : la petite souris des dents de Quenottes de Pascal Thiebaux et Gil Pinheiro (Zeilt Productions), est loin d’être gentille – avec des effets spéciaux réussis pour un film qui vire vers le fantastique. Et Casting a Woman de Caroline Kox (Amour Fou), un exercice de style sympathique sur le cruauté des séances de casting, qui s’essaie à une étude psychologique des rapports entre la directrice de casting et les jeunes femmes qui doivent se soumettre à son jeu sadique.
Qu’ils soient ou non financés par le Film Fund (avec jusqu’à plus de 100 000 euros), les courts-métrages déçoivent toutefois tous un peu par leur manque d’audace, d’expérimentations formelles et, surtout, d’humour. Mais – et lundi on sentait le public inquiet en début de soirée après le fiasco de l’année dernière –, s’il n’y avait pas de film impressionnant par sa qualité ou son originalité, il n’y en avait pas non-plus à vous faire fuir. Avec le temps, on devient modeste dans ses attentes.