La réserve indienne de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud, est associée à un nom qui résonne en négatif dans l’histoire des États-Unis : mais Wounded Knee est un toponyme auquel font également allusion les images qu’Elisabeth et Carine Krecké présentent actuellement sur les cimaises du Display, la galerie de photo contemporaine du CNA. Ce travail est en beaucoup de points exemplaire pour une conception actuelle de la documentation photographique. Ces images que les sœurs Krecké se sont réappropriées (sur le web ?) sont finalement sans qualités photographiques intrinsèques, ce qui conduit la curatrice de l’exposition, Michèle Walerich, à qualifier certaines de ces images probablement enregistrées par le robot du Street-view de Google, de nouvelle Street photography. La comparaison est osée.
En tout cas, l’apparente banalité et la distanciation tant physique qu’intellectuelle que les auteures de cet accrochage installent entre leur sujet et son spectateur au CNA est frappante. Cette tendance qui se caractérise par la volonté photo-graphique de se réapproprier un territoire par la prise de vue, n’est pas récente. En 1976, lors de l’exposition manifeste New Topographics au George Eastman House à Rochester, le geste qui consistait à documenter les traces de l’activité humaine, même la plus banale, dans un contexte, souvent de périphérie urbaine, a été conceptualisé.
Plus tard, au début des années 1980, Sophie Ristelhueber, qui allait plus tard diriger un atelier photographique au CNA, a su redéfinir les bases d’un nouveau travail sur le paysage de la guerre. Une approche documentaire des traces laissées sur d’anciens champs de bataille, qui n’était pas sans rappeler les premières photographies faites sur les champs de bataille de la guerre de Crimée. Images vides de présence humaine, où il ne reste, au mieux, que quelques débris. Cette distanciation dans le temps, par rapport aux évènements passés, était aux antipodes du reportage de guerre.
Lorsque l’on parcourt l’exposition Fremd Gang au CNA, on a le sentiment que la sérialité que s’imposent la majorité des participants, dessert plutôt leurs propos qui s’agencent autour du sujet des frontières géographiques et de leur exploration. Armand Quetsch s’est approprié les tics et modes d’une photographie plasticienne actuelle, mais il réussit à aller plus loin en enregistrant quelques images singulières qui pourraient tout a fait exister sans le prétexte du voyage qui l’a mené de Bruxelles à Lampedusa et qui fait fonction d’alibi à ce travail.
Patrick Galbats (le photographe attitré du Land) s’en tire moins bien. Son travail intitulé Café Odyssée souffre de la loi des séries photographiques. Le parti pris de Galbats consiste à photographier les petites chambres de location des travailleurs immigrés portugais au Luxembourg. En fait, l’on pourrait enlever une, voire plusieurs, des images de cette proposition sans que cela ne change quoi que se soit au sens du travail.
Il y a dans cette exposition une volonté claire d’éliminer la figure humaine de la photographie, mais surtout aussi, d’éviter la singularité iconique de la prise de vue, la force d’impact d’une image unique. En parallèle, le travail de Chantal Vey indique un refus du portrait, lorsqu’elle ne montre ses sujets humains que de dos, en train d’observer un espace frontalier, où la topographie de la friche est omniprésente. Le terme de « non-lieux » est galvaudé, mais il n’est certainement pas inapproprié pour décrire les paysages de Fremd Gang.
François Goffin , avec son voyage dans les régions kurdes de la Turquie, illustre très bien cette démarche documentaire contemporaine dont la véritable prise de position consiste plutôt à rester mobile, voire furtif. À garder une distance qui peut mener à un dissociation de son sujet. Peu d’affirmation et de prise de risque dans cet ensemble visuel dont l’organisation semble quelconque.
Seules les images de Gast Bouschet et de Nadine Hilbert se détachent de cet ensemble, et pourtant elles sont au centre de l’exposition. Bouschet [&] Hilbert procèdent à une altération massive, voire à des superpositions de leurs prises de vues originales, et obtiennent ainsi un univers dense qui revendique des qualités picturales sombres et opaques.
Les huit participants au Fremd Gang du CNA sont aussi les bénéficiaires de bourses émises par le CNA et par le projet transfrontalier de la bourse Regards sans limite. Le CNA accomplit sa mission en présentant le résultat de ces projets désignés, mais peut-être que l’exposition Fremd Gang devrait mener à une nouvelle réflexion plus profonde, sur l’orientation thématique à donner aux nouvelles bourses à la création.