Le fait que, dans un très court laps de temps, deux expositions d’art contemporain basées sur un échange culturel austro-luxembourgeois, présentant essentiellement des artistes nés au début des années 1980, aient lieu à Luxembourg-Ville est un hasard du calendrier. La BGL BNP Paribas présentait récemment l’exposition À vol d’artiste, qui est actuellement présentée au Traklhaus à Salzbourg, et qui se compose d’un aller-retour de jeunes artistes contemporains, organisé par Lucien Kayser pour le volet luxembourgeois et Dietgard Grimmer pour le choix autrichien (voir d’Land du 30 septembre 2011). S’il y a ainsi des idées dans l’air qui persistent, Daniela Del Fabbro précise néanmoins qu’il s’agit bien d’un hasard que deux des artistes de sa première exposition en tant que curatrice, actuellement au Konschthaus beim Engel, Roland Quetsch et Kai Walkowiak, font également partie de la sélection à la GBL BNP Paribas.
Sous le titre de Nur die Guten kommen in den Garten, détournement d’un proverbe allemand qui l’avait marquée à l’époque de ses études d’histoire de l’art à Vienne, Daniela Del Fabbro (qui est également collaboratrice du Land) a rassemblé des œuvres récentes de sept artistes venus d’Autriche et du Luxembourg autour du sujet de l’idylle. Dans le contexte de l’exposition, ce terme signifie particulièrement la notion du jardin comme lieu de retraite. Une métaphore pour le musée et son white cube (ce qui n’a pourtant rien en commun avec l’architecture du Konschthaus beim Engel), lieux que Daniela Del Fabbro désigne comme réserves artificielles de l’art.
Ainsi, le couple d’artistes Markus Hanakam [&] Roswitha Schuller a utilisé une citation de John Ruskin, qu’il a traduite en une animation vidéo au rythme saccadé et aux accélérations syncopées. Cette projection vidéo est cachée au deuxième sous-sol de la galerie du Marché-aux-poissons, mais elle constitue certainement l’œuvre à ne pas rater dans cette expo. Hanakam[&]Schuller ont réussi à faire évoluer un formalisme pop vers un détournement d’une interprétation esthétique datant de l’époque victorienne.
Les artistes autrichiens invités, Sophie Hirsch, Alfredo Barsuglia, Kay Walkowiak ainsi que Markus Hanakam [&] Roswitha Schuller présentent un choix intéressant qui illustre bien à quel point cette génération d’artistes n’a plus à assimiler le langage de l’art contemporain, mais l’utilise comme mode d’expression presque inné. Le mélange des genres et des médias n’est plus une lutte mais un acquis qui illustre bien le problème de l’art contemporain en général : les écoles d’art transmettent aujourd’hui une manière de travailler et une capacité d’analyse qui professionnalise leurs élèves tout en nivelant leurs productions aux attentes qui leurs sont posées. L’art contemporain en devient immédiatement identifiable comme tel.
Vera Kox quant à elle, après une deuxième exposition monographique à l’ambassade du Luxembourg à Londres et une participation au projet privé de Pearls of the north au Palais d’Iéna à Paris (voir d’Land du 21 octobre 2011) a enchaîné trois expositions ces six dernières semaines. Après avoir exposé une première fois au Kiosk, place de Bruxelles, Vera Kox affirme ici son travail sur le sujet d’une urbanité redéfinie. Sorte de poïétique du béton qu’elle développe dans un langage formel qui tente constamment de se soustraire aux conventions des catégories visuelles. Confrontant photographie et sculpture, la description de son travail ne se limite pas à ces médiums. Son travail exposé au Konschthaus beim Engel est une redite de l’exposition à Londres, mais il reste à découvrir au Luxembourg. Il sera intéressant de suivre l’évolution de cette jeune artiste qui vient de terminer ses études à la prestigieuse Goldsmith University dans la capitale britannique.
Quant à Roland Quetsch, il reste inébranlable dans ses convictions artistiques. Il a choisi de s’imposer lui et sa peinture, dans un effort d’individualité et de persévérance. Quetsch ne veut pas être à la mode, il se positionne aux antipodes d’un art « design », en pratiquant une peinture brute et pure dans son expression. Pour l’instant, son obstination dans une répétition un peu trop systématique peut irriter, mais un jour, cet homme nous surprendra.
L’art change, mais le lieu d’exposition du Konschthaus beim Engel continue d’imposer son architecture exiguë et son ambiance désuète, pour ne pas dire complètement dépassée. Max Mertens s’en émancipe en s’adaptant. Son installation intitulée Unterpächter (qui n’a rien à voir avec l’Untermieter de Simone Decker) se joue de l’ambiance rustique du lieu avec une disposition de lustres dorés sur le sol en carrelage (facile à nettoyer) qui clignotent dans le rythme particulier du code Morse, en transmettant le règlement en vigueur dans les « Schrebergarten » au Luxembourg. Un clin d’œil à une situation de l’art au Luxembourg ?
Entre ambiance faussement bourgeoise et détournements d’une nostalgie bucolique, une bonne moitié des installations et œuvres montrées cette fois au Konschthaus beim Engel valent le détour et présentent des réflexions contemporaines qui réussissent parfois à s’évader, du moins par leur contenu, des tristes caves du Marché-aux-poissons.