Idomeni, petit village grec à la frontière macédonienne de quelques centaines d’habitants seulement, est en train de devenir le symbole du naufrage de l’Europe. Plusieurs milliers de réfugiés en provenance de Syrie, d’Irak et d’ailleurs, y sont bloqués depuis que les pays des Balkans, avec l’Autriche en alliée, ont fermé les frontières la semaine dernière, barrant la route vers l’Europe du Nord, l’Allemagne et l’Angleterre surtout, à ces désespérés qui fuient la guerre et viennent de survivre à une périlleuse traversée de la mer Égée. Les camps de réfugiés, initialement prévus pour 1 500 personnes, en accueillent jusqu’à 8 000 ; les ONGs parlent d’une situation humanitaire désastreuse, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés même d’une « crise humanitaire imminente ». Les enfants jouant dans la boue, des familles dormant à ras le sol. Tout y manque côté grec, seuls les bénévoles viennent en aide aux réfugiés, mais quand ces derniers s’insurgent, tentent de passer par les fils de fer barbelé, la police macédonienne répond par du gaz lacrymogène. Vienne reproche à la Grèce et à la Turquie de ne pas surveiller les frontières extérieures de l’Europe ; comment faire, elles sont en pleine mer ?, répond Athènes. Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, parle d’une « décision inamicale et honteuse, violant les principes de solidarité européenne » et craint que son pays, déjà si gravement touché par la crise, ne soit transformé en un « entrepôt d’âmes humaines ».
À Calais, la police a commencé cette semaine à démanteler la zone sud de la « Jungle », camp improvisé abritant plus de 3 400 réfugiés, dont 300 mineurs non accompagnés, en attente de passer vers l’Angleterre. Ils y végètent dans des bidonvilles insalubres, assistés seulement par des ONGs qui apportent nourriture, vêtements et abris de fortune. Le démantèlement pourtant ne résoudra rien au problème, il aura comme seule conséquence de rejeter sur la route des milliers de migrants qui ne veulent même pas rester en France, mais cherchent à passer de l’autre côté de la Manche, par quelque moyen que ce soit. La France, pays des droits de l’homme, est devenue un de ses fossoyeurs, sous un gouvernement de gauche en plus, qui fait tout pour plaire à l’électorat du Front national. En réaction à l’évacuation de la Jungle, la Belgique a fermé ses frontières avec la France, de peur de voir débarquer les demandeurs de protection internationale sur son territoire, à la recherche de nouveaux passages possibles vers l’Angleterre, pays de leur rêve qu’ils imaginent libéral envers les immigrants..
Plus qu’avec le possible Brexit, l’idéal européen est en train d’échouer avec la crise migratoire : Bruxelles a beau développer des plans de relocalisation des réfugiés, la majorité des pays ne l’appliquent pas, et même ceux qui se veulent volontaristes, comme le Luxembourg, n’ont pu en accueillir que quelques dizaines jusqu’à présent. Alors que l’agence Frontex estime qu’un million de réfugiés pourrait débarquer sur les côtés européennes cette année encore, la plupart des pays manquent de solidarité et répondent par un repli identitaire à cette urgence. Leur idée : repousser la responsabilité à la lisière du continent ; le 7 mars encore, un nouveau Sommet demandera à la Turquie de se faire État-tampon, en contrepartie d’aides financières en provenance de Bruxelles et d’une perspective d’adhésion à l’Union à moyen terme.
Dans ce ballet d’égoïsmes, la chancelière allemande Angela Merkel fait figure d’héroïne, de défenderesse courageuse et isolée des droits de l’homme les plus élémentaires, lorsqu’elle parle d’un « impératif humanitaire » et du devoir des pays riches comme le sien d’aider les plus pauvres. Et elle résiste à la tentation populiste, s’oppose catégoriquement à ceux qui mettent le feu aux foyers pour réfugiés dans son propre pays. Alors que Jean Asselborn, le ministre socialiste des Affaires étrangères luxembourgeois, craint que l’UE ne tombe dans le chaos sur la question de l’asile, le CSV vire de plus en plus à droite avec des questions parlementaires démagogiques qui n’hésitent pas à faire des amalgames et d’insinuer que la plupart des demandeurs de protection sont des profiteurs du système. « Le pire [dans cette crise], écrit le philosophe français Etienne Balibar, dans une tribune libre dans Libération, c’est le poujadisme historique ».