d'Land : Dans le programme de coalition PCS/PDL d'il y a un an, on lit que « la politique du gouvernement en matière de drogues doit reposer sur quatre piliers : 1e la prévention, 2e la thérapie, 3e la prévention des risques et 4e la répression », ce qui la situe en fait dans la continuité de la législature précédente. Ce qui est nouveau par contre, c'est que « le ministre de la Santé regroupera au sein de son département les différentes compétences ». Comment est-ce que cette nouvelle organisation fonctionne concrètement ? Et est-ce que cela veut dire que les associations travaillant sur le terrain sont maintenant toutes conventionnées auprès du ministère de la Santé ?
Carlo Wagner : En effet, seul le volet de la répression reste sous l'autorité du ministère de la Justice, alors que nous regroupons désormais tout le volet thérapeutique. Ainsi, nous avons effectivement repris la tutelle des quatre associations Abrigado, Jugend- an Drogenhëllef, MSF Solidarité Jeunes et du Centre de prévention des toxicomanies (CePT), qui auparavant étaient conventionnées auprès des ministères de la Famille respectivement de l'Éducation nationale. Cela nous permettra de mieux coordonner notre politique dans le domaine des toxicomanies.
Rien que la progression du budget alloué à ce domaine prouve d'ailleurs quel poids nous accordons à la lutte contre la toxicomanie : en 1999, ce volet disposait de 36 millions de francs, en 2000, première année du regroupement, le budget a presque doublé pour atteindre 70 millions de francs, et le projet de budget 2001 marque encore une nouvelle progression de 65 pour cent à 115 millions de francs.
Pour gérer cette politique nous disposons, au sein de la direction de la Santé, d'une nouvelle division, à savoir celle de la médecine sociale et des toxicomanies, qui fonctionne sous les auspices du Dr. Arno Bache. Elle comprend e. a. un service spécifique de la toxicomanie dirigé par Alain Origer, qui est à la fois coordinateur national des actions dans le domaine de la toxicomanie et responsable du Point focal du Luxembourg de l'Observatoire européen des drogues et toxicomanies.
Dans le rapport annuel 1999 du ministère de la Santé, vous notez que des consultations étaient entamées « au niveau des différents intervenants » et ce « en vue de l'élaboration des orientations et plans d'actions » dans le domaine des drogues et des toxicomanies... Où en êtes-vous ? Quel est ce programme d'action ?
Depuis le regroupement des compétences dans notre ministère, nous avons divisé la politique en matière de drogues et de toxicomanies en six sous-sections : la prévention primaire, les structures de consultation ambulatoire, les structures de sevrage, les structures thérapeutiques résidentielles, les structures post-thérapeutiques et les structures bas-seuil (streetwork, réduction des risques etc.) Dans tous ces domaines, nous nous sommes dotés d'un programme sur trois ans, qui a commencé cette année. Ainsi, nous avons ouvert une antenne de Jugend- an Drogenhëllef à Ettelbruck et augmentons sensiblement les moyens de l'association. En septembre, ils vont lancer une nouvelle initiative, le service de bas-seuil pour toxicomanes.
L'année prochaine, en 2001, nous allons entamer, par le biais du Centre de prévention des toxicomanies et en collaboration avec le ministère de l'Éducation nationale et de MSF Solidarité Jeunes, une campagne de prévention grand public intitulée D'Schoul op der Sich, dans les écoles. Ainsi nous tenterons par exemple de sensibiliser les directeurs d'école et les enseignants pour que leur comportement envers un élève drogué change : actuellement, le jeune est le plus souvent simplement renvoyé de l'école. Nous voulons arriver à un changement de mentalité, à une pensée plus progressive et solidaire. Aussi allons-nous augmenter les crédits du Centre Emmanuel qui travaille avec le centre de thérapies de sevrage de Lecce en Italie.
Puis nous allons créer des structures d'accueil à moyen terme afin de permettre aux dépendants en attente d'une thérapie de ne pas se retrouver dans la rue et d'offrir un espace de protection et d'assistance sociale aux personnes en crise. L'année prochaine, un projet d'aide au logement pour toxicomanes devrait pouvoir fonctionner en réseau national. En plus, nous allons installer Abrigado Szenekontakt, qui travaille actuellement dans un container sur le terrain des CFL à la gare, dans un vrai bâtiment, rue de Hollerich et disposons pour cela de quatorze millions de francs provenant du Fonds de lutte contre le trafic de stupéfiants. Parallèlement, nous sommes en train de chercher un nouveau site pour Jugend- an Drogenhëllef.
En 2002, nous allons consacrer nos moyens au Centre thérapeutique de Manternach qui sera développé et agrandi, en partie avec l'aide des patients. Pour cette date est également prévu le lancement, avec Abrigado, des « piqueries » (Fixerstuben) dont on a déjà beaucoup parlé, ainsi que de la distribution contrôlée et médicalement assistée d'héroïne aux toxicomanes.
Vous voyez qu'il s'agit là d'un programme ambitieux et que nous nous sommes dotés d'une structure solide, sans failles. Même si quantitativement, des efforts supplémentaires restent toujours possibles, je crois qu'on peut néanmoins affirmer que qualitativement, nous sommes sans aucun doute à la hauteur.
Les deux dernières initiatives que vous citez sont déjà prévues dans le texte du projet de réforme de la loi de 1973 « concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie », déposé il y a trois ans. La commission spéciale « stupéfiants » du parlement semble avoir du mal à accorder ses violons. Qu'en est-il de ce projet de loi ?
Je suppose qu'il devrait encore pouvoir passer la Chambre des députés au cours de cette année. La nouveauté principale de cette loi sera que pour la seule consommation des drogues douces, les peines de prison seront remplacées par des amendes et que les peines de prison pour consommation de drogues dures pourraient être substituées par des thérapies. D'ailleurs nous avons d'urgence besoin de cette loi pour que le programme de substitution à la méthadone ait enfin une base légale.
Après une tentative d'ouverture vers une dépénalisation des drogues douces avec l'amendement Err sous la dernière coalition PCS/POSL, ce gouvernement retient dans son programme que la politique en la matière « ne pourra mener à une dépénalisation des drogues ». N'est-ce pas là le contraire d'une politique libérale ?
Non. Je ne crois tout simplement pas qu'on puisse considérer la problématique des drogues comme un problème spécifique pour le Luxembourg, mais qu'il s'agit d'une question à régler sur le plan européen. Personnellement, je suis tout à fait favorable à une dépénalisation, mais je suis également conscient que si nous nous lancions dans une telle aventure, nous risquerions de créer un nouvel Amsterdam ici au Luxembourg, ce que nous voulons éviter. Mais nous ne sommes certainement pas ceux qui s'opposeraient à un tel pas s'il était envisagé au niveau communautaire, ou au moins en commun avec nos pays voisins.
Pourtant, une récente étude du CePT sur la consommation du cannabis a prouvé que près de quarante pour cent des jeunes ne savent même pas si fumer des joints est permis ou défendu, s'ils se trouvent dans la légalité ou dans l'illégalité (voir d'Land 22/00). N'est-ce pas là une preuve supplémentaire que la politique est en retard par rapport à la réalité ?
La grande question est de savoir qui est en retard, la politique ou l'éducation ? - et je pense surtout à l'éducation des jeunes dans les familles. Les résultats de cette étude sont en même temps surprenants et alarmants. Voilà pourquoi nous ferons ces efforts d'éducation dans les écoles dès l'année prochaine : nous pourrons y informer les jeunes que le cannabis reste une drogue illicite et que le risque de passer de là à une consommation de drogues dures est élevé.
Tous les mois, des gens meurent d'overdose dans la rue. Pourquoi un pays aussi riche que le Luxembourg ne peut-il pas enrayer ce phénomène et offrir toute l'aide nécessaire pour au moins réduire ce risque ?
Nous devons effectivement essayer de maîtriser cette situation, le nombre était tombé de vingt morts en 1995 à neuf en 1998, pour remonter à 18 l'année dernière. Il est clair que le zéro pour cent n'existe pas, mais je crois que nous devons faire des efforts dans le domaine de la substitution à la méthadone, et je m'attends à de bons résultats de la part du programme de distribution contrôlée d'héroïne.
Une grande part de la misère des toxicomanes provient du fait qu'ils tombent peu à peu à travers tous les maillons du tissu social, jusqu'à se retrouver dans le rue et ne plus avoir les moyens de vivre décemment. Parmi vos projets prioritaires dans le domaine, on trouve l'aide au logement. Comment fonctionnera ce réseau ?
Avec un fonds d'un million de francs, nous allons pouvoir aider les personnes toxicomanes ou sortant de sevrages à trouver un logement en payant le fonds de bail ou en prenant en charge le loyer ou une partie du loyer jusqu'à ce que la personne puisse à nouveau le faire toute seule. Il ne s'agit pas là d'une mesure de prise en charge à cent pour cent, mais simplement d'une aide pour que ces personnes dépendantes retrouvent les moyens de mener une vie indépendante.