Encore deux réunions de la commission spéciale stupéfiants de la Chambre des députés, et le travail sera terminé. De cela, le rapporteur Jean-Marie Halsdorf (PCS), adepte d'une " politique des petits pas ", est convaincu. Parce que la commission a, dans sa dernière séance déjà, trouvé un consensus sur le fameux article deux, qui avait causé le blocage final lors de la dernière législature. Après l'ouverture marquée par les socialistes avec l'amendement Err, qui proposait la dépénalisation de la consommation de drogues douces, les députés reviennent donc au texte initial de Fischbach / Lahure tel que déposé en août 1997.
La commission propose toutefois de réduire sensiblement les peines de prison pour la consommation et la détention de drogues dites dures : les peines de prison se situeront entre huit jours et six mois - contre un mois à un an dans le projet Fischbach / Lahure -, la consommation et la détention de drogues dites douces (à définir par règlement grand-ducal) resteront passibles d'amendes allant de 10000 à 100000 francs.
Ce qui s'est passé ? La majorité parlementaire a changé, les socialistes s'étant donnés si laxistes sont dans l'opposition, la nouvelle coalition PCS-PDL veut enfin avancer : en janvier 1999, le Conseil d'État avait frappé le projet de réforme d'une opposition formelle, indiquant que " en l'état actuel du droit positif, une dépénalisation de la consommation, avec maintien concomitant du caractère d'infraction punissable à l'acquisition et à la détention de stupéfiants, ne ferait aucun sens. Pour consommer, il faut nécessairement auparavant acquérir et détenir. " Et depuis le début des travaux parlementaires à ce sujet, le PCS tient particulièrement à réformer enfin les volets de la prévention des risques et de la thérapie.
La table-ronde Flagrants délires 2000 - politiques en matière de toxicomanie au Luxembourg, organisée mercredi soir par le magazine mensuel forum et l'asbl Agora - Plattform fir eng human Drogepolitik démontrait bien le gouffre qu'il y a entre les discussions politico-philosophiques sur le pour ou le contre d'une dépénalisation du petit joint du matin, sur les choix de société à faire ou des notions comme le " droit à l'ivresse " (Recht auf Rausch) et le cadre légal et logistique de ceux qui travaillent " sur le terrain ", avec les toxicomanes ou les exclus. La discussion, à laquelle participaient le ministre de la Santé Carlo Wagner (PDL) les députés Lydia Mutsch (POSL), Renée Wagener (Déi Gréng), Jean-Marie Halsdorf (PCS) et Aly Jaerling (ADR) ainsi que Guy W. Stoos de La Gauche, cherchait d'ailleurs une ligne claire, zigzagant entre les notions qui désignent les différents aspects de la consommation de stupéfiants. Et ne faisant guère de différence entre les consommateurs occasionnels de drogues et les toxicomanes dépendants.
Pour améliorer la coordination entre les services étatiques et les associations d'aide aux toxicomanes et de prévention des risques - comme Abrigado Szenekontakt, Jugend- an Drogenhëllef ou MSF Solidarité Jeunes - toutes les compétences viennent d'être regroupées au sein du ministère de la Santé. Toutes sauf le quatrième pilier, la répression bien sûr, qui reste l'affaire du ministère de la Justice. Ce regroupement veut dire concrètement que toutes les associations conventionnées le sont désormais par le ministère de la Santé, et non plus par le ministère de la Famille ou celui de l'Éducation nationale. Cela veut dire aussi que le Centre de prévention des toxicomanies (CePT), chargé de l'information et de la prévention, notamment auprès des jeunes, dépendra de ce ministère. Le ministre de la Santé envisage de créer une cellule spéciale entièrement dédiée aux toxicomanies. Mais rien n'est encore mis en place, beaucoup d'associations ignorent toujours sous quels auspices elles travailleront.
Mercredi soir, ce désarroi était flagrant. Alors que les hommes et femmes politiques discutaient de manière très décontractée sur le choix de société à prendre, les intervenants de la salle furent bien plus clairs : la situation réelle est devenue intenable, les médecins, les psychiatres, les travailleurs sociaux réclamèrent qu'enfin le législateur se bouge afin de répondre aux besoins réels de thérapie et d'aide. Ainsi, le programme de substitution à la méthadone, qui a fêté son dixième anniversaire l'année dernière, s'exerce toujours sans cadre légal, en tant que projet-pilote initié à l'époque par le ministre Johny Lahure (POSL). Tout comme d'ailleurs les programmes de distribution gratuite de seringues propres, instaurés dans une optique de réduction des risques (harm reduction) au moment de la propagation du Sida.
Le CHNP d'Ettelbruck se voit constamment surchargé par les placements. Les places en thérapie se font rares, la post-thérapie compte neuf places en tout, les structures d'accueil sont toutes surchargées et ne manquent pas uniquement d'infrastructures mais aussi et surtout de personnel, la consommation de drogues en milieu carcéral et toutes les questions de santé qui s'ensuivent débordent... "Oui, il reste à faire beaucoup d'efforts dans le domaine des structures de thérapie," commentait brièvement le ministre de la Santé, qui ne s'est visiblement pas encore spécialisé en la matière et demande de l'indulgence.
Or, le projet de loi n° 4349 " modifiant la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie " prévoit aussi qu'un juge pourra remplacer une peine de prison à l'encontre d'un consommateur de drogues illicites par l'obligation d'une thérapie. La question qui se pose alors est de savoir où ces thérapies se dérouleraient. Guy W. Stoos (déi Lénk) faisant d'ailleurs remarquer à juste titre qu'un toxicomane devrait garder ses droits fondamentaux, par exemple de pouvoir choisir librement s'il veut se soumettre à une thérapie ou non. Dans sa nouvelle approche, l'État considère les toxicomanes comme des malades, i.e. comme des irresponsables qu'il faut encadrer comme des enfants. " Cela crée une sorte d'aura autour d'eux et évite qu'on discute de l'aspect social, du choix de société, " remarqua Renée Wagener (Déi Gréng).
Le projet de réforme prévoit également l'instauration de nouveaux programmes pilotes pour réduire les risques de la consommation de drogues et combattre l'exclusion sociale, comme l'installation de "piqueries" (Fixerstuben) et la distribution contrôlée d'héroïne aux toxicomanes de longue durée. Ils ont été très peu discutés jusqu'à présent, vu la forte focalisation sur l'article deux et son éventuelle dépénalisation du cannabis.
Tout comme ont été peu discutés les modalités permettant au consommateur de se voir récompensé par une réduction de sa peine s'il fournit des informations aux forces de l'ordre qui leur aideront à remonter une filière de trafic. Seules les associations d'aide s'en offusquent, comme l'asbl Agora, qui voit là une institutionnalisation de la délation.