Il leur a fallu du temps pour accorder leurs violons. Mais quatre mois avant le référendum du 7 juin, les associations et ONGs citoyennes se lancent. Lundi, la plate-forme Minté (pour Migrations et intégration), créée il y a une dizaine d’années dans le cadre de la réforme de la loi sur la nationalité, a présenté ses arguments en faveur du droit de vote pour tous les étrangers et annoncé une campagne de sensibilisation pour mars. Minté regroupe les associations de défense des étrangers (Asti, Caritas, Cefis ou la Ligue des droits de l’Homme), des cercles d’étrangers (les Français du monde, le Deutscher Verein, l’Amitié Portugal-Luxembourg, la Fédération des associations espagnoles), mais aussi, plus inattendu peut-être, les syndicats OGBL, FNCTTFEL, le LCGB, la Fédération des syndicats de fonctionnaires européens et l’Union nationale des étudiants luxembourgeois ou des organisations encore plus éloignées, comme l’Union grand-duc Adolphe. Elles furent une vingtaine à avoir adhéré jusqu’à lundi, des pourparlers avec d’autres associations étaient encore en cours cette semaine, notamment avec la Clae (Comité de liaison des associations d’étrangers), qui s’était déjà exprimé une semaine plus tôt en faveur du droit de vote des étrangers.
Lancé spontanément par le ministre de l’Économie Etienne Schneider (LSAP) en 2013, l’idée d’ouvrir le droit de vote aux législatives à tous les citoyens habitant le Luxembourg sembla d’abord incongrue. Et la souveraineté nationale ? Et l’obligation d’intégration des immigrés ? Ne venait-on pas seulement de libéraliser l’accès à la nationalité luxembourgeoise en introduisant la double nationalité ? N’y a-t-il pas un risque de « déstabilisation » du paysage politique luxembourgeois en permettant à tous, même à ceux qui viennent de pays lointains, de participer au pouvoir ? Soutenue assez vite par la Chambre de commerce, l’idée fit son chemin plus vite que d’autres et fut de toutes les manifestations électorales cette année-là. Le gouvernement Bettel/ Schneider/ Braz en fit une de ses priorités politiques et décida que le peuple (luxembourgeois) aurait son mot à dire en l’inscrivant parmi les questions qui seraient posées au référendum du 7 juin. Depuis que l’accord entre l’État et les cultes a rendu superfétatoire la quatrième question, celle sur le financement des ministres des cultes, la question du droit de vote des non-Luxembourgeois aux législatives est la plus fondamentale – les deux autres, concernant la limitation des mandants ministériels à dix ans et l’accès au droit de vote dès seize ans, étant plus périphériques.
Il y a deux ans, l’idée d’Etienne Schneider sembla avoir pris tout le monde de court. Pour le moins ses collègues ministres, notamment l’allié du LSAP, le CSV, réticent à cette idée. Le Premier ministre de l’époque, Jean-Claude Juncker (CSV), mit en garde devant la division de la société que risquerait de provoquer le débat et devant les dérives racistes que pourrait provoquer la question. Depuis, le CSV n’a pas changé son fusil d’épaule. « Lundi prochain, notre comité national va encore une fois se concerter pour discuter notre position sur les questions du référendum, explique Claude Wiseler, le président du groupe parlementaire, joint par le Land. Nous voulons notamment ajuster notre argumentation. » Le CSV s’était accordé à appeler à voter quatre fois non au référendum ; donc maintenant, il campe sur ses trois « non ». « Nous restons, bien sûr, persuadés que la participation politique est une nécessité, poursuit Claude Wiseler. Mais le principe de la nationalité doit encore faire sens. C’est pourquoi nous avons fait toute une série de propositions pour modifier la loi sur la nationalité, notamment la possibilité d’introduire un droit du sol, qui ouvrirait son accès à tous les enfants nés au Luxembourg, la réduction de la clause de résidence de sept à cinq ans (durée que le ministre de la Justice CSV, François Biltgen, avait augmentée, ndlr.) ou une libéralisation de certaines conditions, par exemple linguistiques. Pour nous, il est maintenant temps de discuter tous ces points, sans dramatiser. » Toutefois, avec son refus net du droit de vote des étrangers, le CSV s’isole à droite, avec comme seul allié l’ADR, très virulent sur la question, dans une position de refus d’un progrès sociétal qui pourrait faire du Luxembourg un pays précurseur sur la question.
Pour le progrès sociétal Les associations regroupées dans la plate-forme Minté ont bien compris qu’il s’agissait d’un terrain glissant, pouvant déchaîner de grandes passions lors des débats publics. Elles ont bien pu observer que le sujet du partage du pouvoir, qu’il soit économique ou politique, est un de ceux qui provoquent le plus de commentaires xénophobes et haineux sur les réseaux sociaux et dans les forums de discussions en-ligne des médias. Mais il n’y a pas de mouvement Pegida au Luxembourg, pas d’extrême-droite officiellement articulée et organisée. Les associations ont aussi pu observer que le gouvernement a formulé sa question de manière extrêmement prudente et avec beaucoup de restrictions (« Approuvez-vous l’idée que les résidents non luxembourgeois aient le droit de s’inscrire de manière facultative sur les listes électorales en vue de participer comme électeurs aux élections pour la Chambre des Députés, à la double condition particulière d’avoir résidé pendant au moins dix ans au Luxembourg et d’avoir préalablement participé aux élections communales ou européennes au Luxembourg ? »). Idéalistes, elles ont finalement décidé de prendre une position maximaliste et d’ignorer restrictions et limitations. Elles militent donc pour un accès au droit de vote des étrangers, point. Sans clause de résidence, sans autres exigences et sans limitations à l’une ou l’autre catégorie de non-Luxembourgeois. « Nous ne voulons pas entrer dans le détail, pour nous, il s’agit du principe en soi, disait Laura Zuccoli de l’Asti lundi, lors de la présentation de l’initiative. Nous voulons mobiliser la société civile sur le sujet et nous cherchons un large consensus dans la population. » Pour cela, une campagne de communication sera organisée, la plate-forme cherchera le dialogue avec les forces vives de la nation et ira à la rencontre des citoyens.
Le gouvernement est si prudent dans la formulation de ses questions parce que tous les partis ne sont pas de grands défenseurs du droit de vote des étrangers. Au début des années 1990, dans le cadre des débats sur le traité de Maastricht, le parti libéral fut ainsi opposé à l’introduction du droit de vote des citoyens européens aux élections communales qu’impliqua la ratification du traité. Or, depuis l’ouverture de ce droit de vote, en 1999, le poids de l’électoral étranger est resté relativement faible : en trois échéances, il est passé de six à douze pour cent (chiffres : Cefis) – sur un total de 44 pour cent de résidents étrangers –, et le taux d’inscription, donc le taux parmi les personnes potentiellement concernées, de douze à 17 pour cent. Rien que ces chiffres prouvent que l’hypothétique menace d’une déstabilisation politique n’est qu’une chimère. En plus, le paysage politique sur le plan communal n’a guère changé, et même l’ouverture du droit de vote actif aux ressortissants de pays tiers ou celle du droit de vote passif aux Européens n’a pas entraîné cette « perte d’identité » du pays que disent craindre les Cassandre.
La parallèle de 1919 Les partisans de l’ouverture du droit de vote à tous les résidents luxembourgeois ont tôt fait d’invoquer des parallèles à la réforme de 1919, lorsque fut introduit le droit de vote pour tous, l’élargissant aux femmes et aux ouvriers. « Nous pourrions aussi invoquer le slogan américain ‘no taxation without representation’, affirma Jean-Louis Schlesser de la Ligue des droits de l’Homme lundi. Exclure 44 pour cent de la population, qui travaillent ici, contribuent à créer notre richesse et payent leurs impôts et leurs cotisations sociales au grand-duché, de la prise de décision politique est une forme de discrimination ! » Afin d’arriver au plus large consensus possible, les associations ont dû négocier entre leurs positions à elles, différentes selon l’idéologie de chaque groupement. Leur adhésion au principe du droit de vote pour les étrangers est donc une affirmation maximaliste, sans prise en compte d’aucun autre critère pratique. Ainsi, les ONGs ne se sont pas non plus limitée aux Européens, qui constituent plus de 86 des étrangers au Luxembourg, mais demandent à ce que tous les résidents, y compris les ressortissants des pays tiers, puissent accéder à ce droit.
Le plus grand risque de la position de principe de la plate-forme Minté est qu’elle soit récupérée par la majorité gouvernementale, beaucoup plus restrictive dans sa proposition. La question qui sera soumise aux électeurs (luxembourgeois) en juin comportera un triple filtre : les non-Luxembourgeois devront vivre au grand-duché depuis dix ans – donc le double de la clause pour les communales et trois ans de plus que pour acquérir la nationalité – et avoir participé au moins à une des échéances communales ou européennes ayant précédé ces élections législatives. En plus, et contrairement aux électeurs autochtones, les non-Luxembourgeois ne seront pas inscrits d’office sur les listes électorales, mais auront le choix de le faire au pas (s’ils ne le font pas, ils ne seront pas soumis à l’obligation du vote). Malgré tous les appels qu’il ne faudra pas faire du référendum un vote-sanction pour ou contre le gouvernement Bettel/ Schneider/ Braz, son résultat sera au moins une sorte de motion de confiance sur une volonté affichée de moderniser le pays et de parfaire la démocratie. Selon un sondage TNS-Iles-RTL-Luxemburger Wort de novembre 2014, le résultat sur la question du droit de vote pour étrangers serait extrêmement serré : parmi les votants, donc Luxembourgeois, 47 pour cent seraient pour cette ouverture et 45 pour cent contre. Parmi les résidents étrangers (qui ne pourront se prononcer), le ,« oui » l’emporterait largement, à 80 pour cent. Le gouvernement a donc bien besoin de l’adhésion des ONGs pour faire passer la pilule.