Soudain, tout est allé très vite. Lundi, une semaine après que les représentants du gouvernement Bettel/Schneider/Braz avaient trouvé un accord de principe avec les représentants des six cultes religieux reconnus au Luxembourg, sur une nouvelle convention impliquant une plus grande séparation entre l’État et les églises, l’accord pourra être formellement signé et entrer en vigueur. Mardi 20 janvier, dans une déclaration solennelle devant la Chambre des députés – dont le ton n’était plus celui du jeune Premier ministre un peu nerveux, mais celui d’un homme d’État qui veut signifier toute la portée du moment –, Xavier Bettel (DP) parla d’un moment historique. Mercredi soir, après le débat à la Chambre des députés et l’adoption de la résolution (avec 55 voix) et de la motion (avec les 32 voix de la majorité seulement) déposées par Alex Bodry (LSAP) et encourageant, pour la première, le gouvernement à supprimer la quatrième question du référendum du 7 juin et l’invitant, pour la seconde, « à formaliser l’accord avec les communautés religieuses », les députés de la majorité n’en revenaient pas : ils avaient, dans un long bras de fer avec les représentants des cultes et, surtout, avec le CSV, réussi à atteindre une laïcisation de l’État si longtemps appelée des vœux de la gauche, mais qui se heurta toujours à l’opposition formelle du CSV. Encore une fois, le CSV était mis en minorité et obligé de suivre.
Que s’était-il passé ? Dans le programme gouvernemental de décembre 2013, la majorité promet de dénoncer les conventions existantes et d’entamer des négociations afin de redéfinir les relations entre l’État et les cultes en vue de l’introduction de la neutralité de l’État, et de celles entre les communes et les cultes (concernant notamment le patrimoine bâti et son entretien) ainsi que l’introduction d’un cours unique d’éducation aux valeurs. Le quatrième point de ce chapitre stipule que, dès 2014, la fête nationale serait officiellement célébrée avec un acte laïc – ce qui fut fait. « Avec cet accord, nous pouvons donc considérer ce chapitre de notre accord de coalition comme clos ! » se réjouit Xavier Bettel mercredi.
Pour introduire le principe d’un État neutre et laïc dans la constitution toutefois, respectivement ne serait-ce que pour toucher à une virgule des articles 22 et 106 réglant les relations entre les deux côtés, le gouvernement avait besoin de l’aval du CSV, car une modification de la constitution implique une majorité des deux tiers des députés – quarante sur soixante. Or, le gouvernement n’a que 32 sièges. Et le CSV s’opposa formellement, et ce depuis au moins les deux ans que durent les travaux, à une telle modification. Comment arriver à le convaincre ? Par de la pression politique, appliquée aussi bien sur le parti qui porte les valeurs chrétiennes dans son nom que sur les cultes, notamment l’Église catholique, eux-mêmes. Et la pression put monter grâce à l’introduction d’une quatrième question dans celles prévues au référendum sur la constitution. Cette question, d’apparence inoffensive, ne concerna que les salaires des ministres des cultes : les citoyens devaient se prononcer sur la seule opportunité que l’État continue à payer ces salaires – c’est ce qui est stipulé dans l’article 106 de la constitution : « Les traitements et pensions des ministres des cultes sont à charge de l’État et réglés par la loi ». Les sondages montraient une tendance évidente vers un « non » populaire à cette question, 61 pour cent selon un sondage TNS-Ilres-RTL-Wort de novembre 2014. Or, un non à cette question aurait délégitimé l’Église pour longtemps et prouvé que la société s’est sécularisée davantage encore que ne le laissent deviner les églises vides. Il fallait donc surtout éviter ça et sauver l’honneur.
Proposer une issue de secours, voilà la solution. Pour l’Église catholique surtout, cela allait « faire mal », comme le décrit l’archevêque Jean-Claude Hollerich à la télévision lundi soir, mais avoir la garantie de recevoir encore un soutien financier annuel de sept millions d’euros par an vaut mieux que de ne plus en recevoir du tout (voir ci-contre). Au CSV, il fallait proposer une pirouette qui lui permette de garder la face après s’être opposé si virulemment et avec force études et papiers de discussion à tout changement. Elle vint du président du groupe socialiste à la Chambre, constitutionnaliste et orfèvre de l’accord, Alex Bodry, mardi soir ou mercredi matin : Si le CSV demande à ce que les relations entre l’État et les églises soient fixées d’une manière ou d’une autre dans la constitution, donnons-lui ce qu’il demande.
Mercredi matin, quelques heures seulement avant le débat au parlement, la commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle trouva donc un accord sur un nouvel article 117, qui supprime et remplace les articles 22 et 106, et qui dit : « En matière religieuse et idéologique, l’État respecte en vertu du principe de séparation, les principes de neutralité et d’impartialité. La loi règle les relations entre l’État et les communautés religieuses ainsi que leur reconnaissance. Dans les limites et formes fixées par la loi, des conventions à approuver par la Chambre des députés peuvent préciser les relations entre l’État et les communautés religieuses reconnues ».
Questions de principe « Pour nous, trois principes étaient essentiels dans ce débat, explique Claude Wiseler, président du groupe parlementaire CSV : qu’il reste un lien entre les deux parties dans la constitution – et dans ces liens, les principes de neutralité et d’impartialité sont essentiels pour nous –, qu’une loi soit adoptée pour donner un cadre à ces relations, et que les conventions à établir aient l’aval du Parlement et ne puissent pas être modifiées en catimini par n’importe qui ! » Il se réjouit donc que ces trois points avaient fait leur entrée dans les textes, pour les orateurs de la majorité, il s’agit d’une concession tout à fait acceptable. « Mais je dois ajouter que la méthode avec laquelle la majorité a fait une pression énorme dans ce dossier, ce n’est pas une manière de faire de la politique », ajoute Claude Wiseler – et le répéta à la tribune de la Chambre. Pour le CSV, la quatrième question au référendum a toujours été superfétatoire. Le fait d’avoir lié les deux, la réforme constitutionnelle et la négociation d’un accord avec l’Église, fut le coup de génie dans la gestion dans ce dossier. Mardi soir, même le vicaire général Erny Gillen, satisfait de l’accord, appela le CSV à la raison et au soutien via RTL Télé Lëtzebuerg. Le parti ne put que suivre.
Concrètement, l’accord entre l’État et les églises règle beaucoup de domaines de jonction entre les deux univers. En premier lieu, il s’agit d’une reconnaissance officielle de ces six cultes : l’Église catholique, bien sûr, toujours largement majoritaire dans la société luxembourgeoise, mais aussi, et c’est nouveau, le culte musulman, qui se voit enfin accorder cette attention financière qu’il réclame depuis si longtemps. Les quatre autres communautés, israélite, protestante, anglicane et orthodoxe, sont déjà reconnues actuellement. En deuxième lieu, l’accord révolutionne la question du patrimoine bâti des églises, des cimetières et autres presbytères, qui seront désormais gérés sur le plan national par un fonds au lieu de 285 fabriques d’églises, ou alors désacralisés et rachetés pour un euro symbolique par les communes (voir ci-contre). Et en troisième grand chapitre, l’accord introduit enfin ce cours unique d’éducation aux valeurs remplaçant l’instruction religieuse ou morale, si passionnément discutée par les milieux intéressés depuis des années (voir page 4).
« Pas de cours de yoga pour cause de neige et de verglas » dit le petit papier collé sur la vitre du centre culturel de Helmdange, où se retrouvèrent mardi soir une trentaine de citoyens, militants LSAP pour la plupart, pour assister à « Schneider on tour », une tournée des mandataires socialistes à travers le pays. Le ministre de l’Économie, sa secrétaire d’État Francine Closener et la ministre de la Santé Lydia Mutsch y dressaient un portrait rapide et élogieux des réformes effectuées depuis un an par la majorité, portrait que des intervenants peignaient par la suite dans les plus belles couleurs, « c’est beaucoup plus éloquent que ce qu’on lit dans la presse… » Or, l’accord « historique », pourtant présenté le matin même devant la presse et commenté avec beaucoup de polémique dans les médias et les milieux qui se disent progressistes, n’y fut qu’une note de pied insignifiante, la première question le concernant ne vint qu’après celles touchant la toxicité de l’aluminium dans les emballages, le chômage et l’augmentation des taxes. « J’espère qu’après la signature de cet accord, les partenaires de coalition auront enfin terminé leur programme idéologique et pourront enfin se consacrer aux vrais problèmes du pays », se moqua le député ADR Fernand Kartheiser à la tribune du parlement mercredi. Peu après, Xavier Bettel remercia au même endroit tous ceux qui soutenaient l’unité de la nation sur la question délicate des relations respectueuses entre l’État et les Églises et affirma ne pas réagir aux « extrémistes ».