d’Lëtzebuerger Land : On savait que le formateur Jean-Claude Juncker voulait un homme fort à la tête du groupe parlementaire du CSV, on avait aussi entendu que Michel Wolter ne voulait plus assurer sa propre succession à ce poste, mais le 20 juillet, jour de la proclamation du nouveau gouvernement, votre nomination à ce poste fut une surprise. Aussi pour vous ? Jean-Louis Schiltz : Je ne conteste pas que cela ait pu paraître surprenant pour beaucoup de personnes. Mais la politique au Luxembourg n’est pas seulement façonnée par une demi-douzaine de ministres, la politique, c’est pour l’essentiel l’interaction entre le parlement et le gouvernement – et on oublie parfois que la Chambre des députés est, en tant que pouvoir législatif, le premier pouvoir dans ce pays. Dans cette constellation, le président du plus grand groupe parlementaire a un rôle éminemment central à jouer, en ces temps de crise actuels encore davantage qu’en temps normaux. C’est pour cette raison que j’étais prêt à assumer ma responsabilité et à reprendre le poste de Michel Wolter.
N’auriez-vous pas préféré rester ministre ? Votre très bon score personnel et votre classement en troisième position de la liste du CSV Centre – contre huitième en 2004 – vous y auraient donné droit, non ?La politique ne se réduit pas à une question de postes à pourvoir, ni d’ailleurs de préférences personnelles. Néanmoins, puisque le CSV a remporté 38 pour cent de suffrages lors des élections du 7 juin, il avait un certain nombre de postes à pourvoir : neuf ministres, le président du parlement, le président du groupe parlementaire, un commissaire, puis il y a encore le président du parti… – et dans ce contexte, c’est l’ensemble qui compte, même s’il est évident qu’il faut tâcher de trouver pour chaque poste la personne qui convient le mieux. Je rappelle que le Premier ministre a souligné dans une interview que le poste de président du groupe parlementaire du CSV était « au moins aussi important qu’un poste de ministre ». Je ne peux pas ne pas être d’accord avec cette affirmation.
Vous n’êtes donc ni déçu, ni amer ??Non. J’ai été secrétaire général du parti durant six ans, période durant laquelle j’ai pu contribuer à l’orientation générale du CSV dans tous les domaines politiques, notamment lors de l’élaboration du nouveau programme fondamental en 2002. Durant mon mandat en tant que ministre, j’ai eu à gérer, avec la Défense, la Coopération et les Communications, trois portefeuilles plutôt spécialisés. Ce poste-ci me permettra à nouveau de travailler de manière transversale, de m’occuper de la politique globale. Je me retrouve dans l’un et dans l’autre, mais en aucun cas je ne suis ni aigri, ni amer. Pas du tout. Au contraire, je me réjouis de pouvoir prendre ce nouveau défi à bras-le-corps. De toute façon, je vois toujours la vie davantage en termes d’opportunités et de chances qu’en regrets. J’ai fait bouger pas mal de choses en dix ans et je compte bien continuer à le faire ici.
La collaboration entre les deux fractions et le gouvernement doit être collégiale et constructive, mais, en ce qui nous concerne, notre groupe parlementaire prendra certainement aussi des initiatives et donnera des impulsions dans une direction ou une autre. Très modestement, je nous vois aussi comme une « fabrique d’idées ». Je veux que, au-delà des affaires courantes et des dossiers à traiter au quotidien, nous redéfinissions aussi certains positionnements stratégiques du CSV ou que nous contribuions à définir certains concepts évoqués dans le programme de coalition, comme le PIB du bien-être. En aucun cas le groupe parlementaire ne peut être une machine à adopter des projets de loi du gouvernement.
Ceci dit, et n’en déplaise à Lucien Lux, il me semble, pour des raisons évidentes de séparation des pouvoirs, tout à fait inconcevable que les présidents de fraction assistent aux réunions des conseils des ministres, rien que formellement, c’est tout à fait exclu. Certes, il y aura des réunions régulières entre le gouvernement et les présidents des groupes parlementaires de la majorité pour discuter de la mise en œuvre de l’accord de coalition ou encore de projets spécifiques, cela me semble tout à fait normal. Mais de là à assister aux conseils des ministres ? En ce qui me concerne, je ne le ferai pas.
Le dossier qui a le plus fortement marqué la précédente législature au Parlement était l’euthanasie, sujet sur lequel une majorité éclectique entre les Verts, une partie du LSAP et des libéraux a réussi à mettre le CSV en minorité. Le débat a déchiré la société, y compris jusque dans vos propres rangs… C’est pourquoi, lors des négociations de coalition, vous avez convenu que les deux partis n’allaient pas chercher « d’alliances alternatives » d’ici 2014. Or, comment éviter qu’il y ait des opinions divergentes au sein de la majorité ? Les conflits seront-ils alors résolus en coulisses ? Dans notre système politique, les députés sont les représentants du peuple, ce qui leur confère un certain nombre de droits, comme celui de poser des questions parlementaires aux ministres ou de déposer des propositions de loi. Mais en même temps, ils font tous partie d’un ensemble politique, en l’occurrence un parti et son groupe parlementaire. C’est le contexte dans lequel ils évoluent, les partis de la majorité ont en plus comme base l’accord de coalition, qui leur indique la marche à suivre. Ils restent tout à fait libres de prendre des initiatives, mais la majorité ne les endossera que si elle est d’accord – c’est le jeu politique.
En ce qui concerne le dossier de l’euthanasie, j’estime que les conséquences politiques des débats ont été largement surévaluées. Par là, je ne veux pas dire que le sujet n’était pas d’une importance primordiale. Au contraire, c’est parce que des questions aussi fondamentales et sensibles ont dû être évoquées dans ces débats qu’un certain nombre de mécanismes démocratiques n’ont pas fonctionné comme ils le font normalement. Mais de telles questions ne se posent que très rarement.
À 45 ans, et après un mandat de ministre, vous siégez pour la première fois au parlement. Et tout de suite en tant que président. Est-ce difficile de s’y imposer ? Comment allez-vous gérer le très grand groupe parlementaire de 25 personnes (plus Laurent Mosar, endossant la responsabilité de président de la Chambre), parfois foncièrement différentes les unes des autres ? Comment ferez-vous par exemple le grand l’écart entre les catholiques convaincus et des positions plus libérales, entre traditionalistes et progressistes ? Ce n’est pas comme si je n’avais jamais été élu député auparavant : en été 2004, j’ai siégé un jour au parlement, lors de la validation des résultats des élections. Et puis, je connais quand même assez bien le travail parlementaire pour y avoir collaboré d’abord en tant que secrétaire général du parti, puis en tant que ministre. Je crois que mon expérience politique est telle que je n’ai aucun handicap à assumer ce rôle-ci.
Ceci dit, il est clair que ce groupe parlementaire, ce sont 25 talents, 25 compétences et 25 énergies différentes – il s’agit de faire en sorte qu’ils puissent se développer. Le CSV est un grand parti populaire, dans lequel on retrouve forcément la diversité de la population. C’est ce qui fait notre force. Je considère que mon rôle à moi est d’être le chef d’orchestre de cet ensemble. Mais voyez mes deux vice-présidents, Marc Spautz et Lucien Thiel – est-ce que leurs positions sont les mêmes sur tous les dossiers ? C’est l’ensemble qui fait que tout cela devient harmonieux et équilibré.
Du temps de votre mandat de secrétaire général du CSV, vous vous étiez notamment engagé pour un renouveau et un rajeunissement du CSV, par sa campagne et par les mandataires. Les députés CSV toutefois ont une moyenne d’âge de 52,6 ans – plus que dans la moyenne générale – et vous comptez, avec Paul-Henri Meyers (72 ans), le doyen dans vos rangs… Doit-on s’attendre à des initiatives allant dans le sens d’un renouveau de la fraction ?D’abord, je voudrais souligner que le renouveau n’a rien à voir avec l’âge de ceux qui le font. Je ne veux pas encore en dire davantage sur les initiatives de renouveau que nous envisageons, car avec le nouveau « coordinateur politique » Paul Weimerskirch nous y travaillons seulement depuis le début de la semaine. En tout cas, vous pouvez vous attendre à des surprises, nous allons les présenter jeudi prochain, lors d’une conférence de presse. J’estime que nous devons combiner continuité et renouveau.
On vous sait très libéral, notamment en politique économique, mais aussi sociétale… Tenterez-vous d’imprimer ce sceau à la ligne du groupe parlementaire ? Je ne sais pas exactement ce que cela voudrait dire dans le contexte de la crise actuelle, être « libéral ». Ce que nous savons, c’est que la crise économique et financière va avoir des conséquences directes sur le budget d’État pour les années 2009, 2010 et 2011 – au moins. Durant ces trois années, le paquet de mesures pour soutenir la conjoncture que nous avons adopté au printemps jouera pleinement. Mais si nous ne voulons pas hypothéquer l’avenir des générations futures – et il serait irresponsable de le faire –, nous devons tout faire pour stabiliser les finances publiques à moyen terme. Or, il est évident que si les entrées fiscales ne re-décollent pas après 2010 ou 2011, il faudra scruter le côté des dépenses, voir ce qui peut être supprimé ou réagencé.
Dans ce contexte de la crise, je plaide encore, premièrement, pour la recherche de nouvelles perspectives pour l’économie : nous devons trouver de nouvelles activités qui créent des emplois. Et deuxièmement, nous devons à moyen terme introduire davantage de sélectivité au niveau des transferts sociaux. C’est prévu dans l’accord de coalition. Ne pas le faire serait irresponsable notamment vis-à-vis des générations futures. Il ne faut, troisièmement, pas surestimer les premiers petits signes de reprise, je crains bien qu’ils ne seront pas durables.
Quels dossiers sont prioritaires pour vous cette rentrée ? Quels projets allez-vous traiter en premiers cet automne ? Les conséquences de la crise et la préparation du pays aux défis de demain. Concrètement, cela veut dire que nous avons à analyser le budget d’État, qui sera déposé le 29 septembre – je me suis déjà entretenu avec le rapporteur Lucien Thiel sur notre manière de procéder. Ce budget pour 2010 est encore sous le signe du programme de soutien à la conjoncture, donc nous devons continuer une politique d’investissements ambitieuse ; néanmoins, il faudra aussi définir aussi des pistes pour faire des économies.
Une autre priorité absolue est la lutte contre le chômage, notamment le chômage des jeunes. Il revient maintenant au nouveau ministre du Travail de déposer assez vite les textes que lui a légués son prédécesseur sur la réforme des mesures contre le chômage des jeunes et de faire en sorte qu’ils puissent être adoptés assez vite par le parlement.
Dès la première réunion plénière de la Chambre des députés en août, lors de la constitution des commissions, vous avez eu un « accrochage » avec les petits groupements politiques, notamment André Hoffmann (La Gauche) et Gast Gibéryen (ADR), qui affirmaient avoir été ignorés lors de la constitution de ces groupes… Quelle place accordez-vous aux petits partis ? Faut-il s’attendre à une forte domination du CSV au parlement ?Évidemment, il est important que toutes les sensibilités politiques puissent s’exprimer librement. C’est un principe de la démocratie. Néanmoins, un autre principe de notre système démocratique est celui de la proportionnalité. Or, il s’avère que le CSV a endossé légèrement plus de suffrages que Monsieur Hoffmann. J’ai expliqué à Gast Gibéryen, qui m’avait personnellement interrogé sur cette question, que ces délégations sont constituées de sorte à ce que des représentants de l’ADR ou bien sûr l’élu de La Gauche puissent encore se joindre à certaines d’entre elles, il reste des postes à pourvoir. J’aurais expliqué la même chose à Monsieur Hoffmann, mais il ne m’a jamais interrogé personnellement.
Comment voyez-vous l’opposition parlementaire en général, avec des Verts très stables, le retour de La Gauche, un ADR en perte de vitesse et le DP qui essaie de se renouveler, avec notamment son jeune président du groupe parlementaire, Xavier Bettel ??On ne peut pas évaluer un style politique de l’opposition sur base d’une seule réunion plénière que nous avons eue jusqu’à présent. En général, je me réjouis qu’il y a eu un renouveau à la tête des trois principaux partis, CSV, LSAP et DP. En plus, ces trois personnalités ont prouvé par le passé qu’elles pouvaient faire du bruit. Je me réjouis donc à l’avance des démêlés politiques que nous allons avoir. Ceci dit, il ne s’agit pas de faire de la polémique gratuite, surtout en temps de crise.
Théoriquement, un mandat parlementaire n’exclurait plus que vous briguiez en parallèle un mandat local. Serez-vous candidat aux élections communales de 2011 ? C’est bien la 300e fois qu’on me pose cette question ! Alors : je n’ai pas d’aspirations à devenir tête de liste pour les communales dans la capitale. Néanmoins, je n’ai jamais caché que j’ai vécu toute ma vie dans cette ville et que j’aime cette ville. Donc je dirais : voyons ce que l’avenir nous réserve.