Qu’est-ce qui s’est passé entre l’été 2009 et l’automne 2012 ? Il y a trois ans, le gouvernement Juncker/Asselborn II retenait dans son programme gouvernemental, sous le chapitre « dialogue interculturel » que « le gouvernement confirme son attachement au système constitutionnel de la conclusion de conventions entre l’État et les communautés religieuses. » Bien au-delà, « il entend l’étendre à d’autres communautés pour autant que celles-ci aient des activités substantielles et un nombre important d’adhérents au Luxembourg et qu’elles s’engagent à respecter la Constitution, les lois et l’ordre public du pays. » On s’attendait donc à un conventionnement de la communauté musulmane durant cette législature, afin qu’elle soit mise sur un pied d’égalité, sinon avec l’Église catholique, au moins avec les autres communautés religieuses minoritaires – ce qui n’a pas encore été fait –, plus quelques concessions à gauche, comme l’ouverture de l’une ou l’autre Maison de la laïcité – dont la première a été lancée à Sanem.
Or, lundi, comme si le vent avait tourné, Alex Bodry, le président du LSAP, s’est montré soudain beaucoup plus combatif, affirmant que les socialistes avaient toujours défendu une séparation nette entre l’Église et l’État, brandissant même l’idée d’un référendum sur la question. En réponse à la demande du ministre des Cultes, François Biltgen (CSV), lancée à toutes les organisations religieuses, aux associations et aux partis politiques de prendre position sur le rapport d’experts sur « l’évolution future des relations entre les pouvoirs publics et les communautés religieuses ou philosophiques », le LSAP a proposé une version maximaliste (et, en guise de voie de secours, une version plus minimaliste) d’une telle modification.
Tout en se portant garant et en respectant la liberté de religion et d’expression, le LSAP estime que le temps de la fin des privilèges historiques dont jouit l’Église catholique au Luxembourg serait venu : « En effet, écrivent les socialistes dans leur avis, le LSAP constate qu’avec le système actuel au Luxembourg, l’Église catholique notamment cumule deux avantages contradictoires : la liberté d’organisation et le financement public ». Or, qui reçoit des deniers publics – quelque 76 millions d’euros annuels iraient aux subventionnement en tout genre des cultes (salaires du personnel, entretien des immeubles, logement des curés, subsides pour les activités...), dont 95 pour cent à la seule Église catholique –, a forcément aussi des obligations de transparence quant à la gestion responsable de cet argent. Ainsi, le DP propose même que la Cour des comptes puisse effectuer des contrôles comme elle le fait pour un banal établissement public. « Il faut traiter les Églises comme n’importe quelle force de la société, insiste Alex Bodry, ni mieux, ni moins bien. » Ainsi, un inventaire général de la richesse en capital et en immobilier serait à dresser avant toute discussion future sur le financement de l’Église, revendiquent le LSAP et le DP.
Au vu de cette prémisse, un certain nombre de privilèges extraordinaires dont jouissent les seules communautés religieuses, et, a fortiori, l’Église catholique seraient, selon Alex Bodry, de toute évidence à abolir : le conventionnement inscrit dans la Constitution (article 22, que le LSAP, dans sa version maximaliste, veut supprimer et que le CSV veut garder, bien que légèrement modifié, avec un renvoi à une loi organique), le fait que le payement, par le budget de l’État, des traitements et pensions des ministres des cultes soit inscrit dans le même texte fondamental (article 106), l’obligation imposée aux communes de mettre gratuitement à disposition des curés des logements ou d’entretenir leur patrimoine, par exemple en comblant les déficits des fabriques d’églises (plus de 400 000 euros pour l’entretien de la seule Cathédrale de Luxembourg cette année, à charge du budget de la Ville de Luxembourg). Les socialistes et les Verts évoquent la création d’un impôt d’église ou de conviction, Kirchensteuer en Allemagne, qui, bien que difficile à mettre en œuvre, permettrait de faire participer plus directement les croyants – et eux seuls –, aux frais liés à l’exercice de leur culte.
À côté de cela, il y a aussi des enjeux moins directement matériels, mais ayant trait à la transmission de valeurs et à l’influence sociétale, comme le maintien ou l’abolition des cours de religion à l’école publique. Selon la proposition des experts, dans une volonté d’égalité de traitement, ces cours devraient pourvoir être ouverts à toutes les religions conventionnées ; ce à quoi le LSAP, les Verts et le DP rétorquent qu’ils devraient plutôt être abolis et remplacés par une formation aux valeurs unique et neutre. Or, une proposition pour une telle formation avait été élaborée par un groupe de travail, mais n’a jamais été introduit par la ministre socialiste de l’Éducation nationale, Mady Delvaux. Ou plus fondamentaux et symboliques, comme l’inscription de « la liberté de pensée, de conscience et de religion est garantie, » dans la Constitution, comme le demandent les cultes conventionnés dans une prise de position commune. Ou la possible réaffectation profane de ceux des quelque 600 lieux de culte à travers le pays qui ne servent plus depuis que le nombre des catholiques pratiquants et des curés pouvant faire office sont en chute libre, qui est un thème cher aux Verts notamment.
Alors, que s’est-il passé entre 2009 et aujourd’hui, pour que le LSAP ose à nouveau brandir son vieux slogan de la séparation de l’État et de l’Église ? Peut-être que ce furent les résultats de ce sondage commandité en septembre et auquel la grande majorité, 67 pour cent des personnes interrogées, répondaient qu’elles seraient aujourd’hui pour une telle séparation ? Ou alors le débat sur l’avortement, dans lequel les socialistes estiment avoir remporté une victoire en poussant le CSV dans les derniers retranchements ? Peut-être est-ce aussi un effet de la crise que de vouloir reprendre toutes les dépenses sur le métier ? Or, dans son avis publié hier, jeudi, le CSV se prononce, comme les experts, pour le statut quo sur les questions des finances et de l’enseignement religieux, ce qui tempère cette ambiance de renouveau ressenti en début de semaine..
Le ministre François Biltgen aimerait voir organisé un débat de consultation d’ici début 2013 et la commission parlementaire des Institutions va attaquer les articles de la constitution ayant trait aux religions dans une de ses prochaines réunions.
Romain Hilgert
Kategorien: Gesellschaftspolitik
Ausgabe: 30.11.2012