La montée en puissance de l’oligarque russe Serguei Pougatchev dans le capital de Luxe TV aurait eu l’effet exactement contraire à celui escompté par ses fondateurs de la chaîne de TV dédiée au monde du luxe, placée en faillite le 15 octobre dernier. L’argent frais qu’il y a injecté n’a pas pu compenser les défaillances du modèle d’affaires ni les mésententes entre les actionnaires et encore moins en faire la « CNN du Luxe » comme le rêvaient ses pères fondateurs : le clan Pougatchev, avec ses 72 pour cent du capital (contre 25 p.c. lors du lancement commercial de la chaîne en 2006), ne s’est pas entendu avec celui des fondateurs, dont le principal fut Jean Stock qui en détenait huit pour cent à titre personnel et quinze avec sa famille. Le reste du capital était aux mains de proches (ou d’anciens proches) de l’homme de télévision, tel Charles Ruppert, l’ex-patron du Wort. Une partie de la bande à Jean Stock avait réussi à vendre ses parts à bon prix, il y a un an, à Serguei Pougatchev, celui que l’on a longtemps présenté comme le banquier de Poutine, mais dont la banque Mejprombank est actuellement en défaut de paiement avec une ardoise qui atteindrait les 2,7 milliards de dollars. Freddy Thyes s’est ainsi fait racheter ses actions, l’épouse d’Helmut Thoma a aussi cédé les siennes.
La faillite de Luxe TV, le 15 octobre dernier, à l’instigation d’Algave, une des sociétés personnelles de Jean Stock et de sa famille, n’a pas fait le noir sur les écrans, les juges ayant laissé un répit de quinze jours au liquidateur de la chaîne pour lui trouver un repreneur viable.
Le curateur est alors entré dans des discussions exclusives avec Jean Stock pour la reprise des actifs (nom de la chaîne, bibliothèque des programmes et réseau), non pas de la société, de ses dettes et de ses engagements vis-à-vis du personnel – le plan social, négocié l’été dernier par les syndicats, est tombé à l’eau avec la faillite qui est intervenue juste avant qu’il n’entre en vigueur (d’Land du 6.08.2010). Selon les déclarations du fondateur de Luxe TV au Land, son offre aurait été la « mieux disante ». Le curateur Yann Baden n’a pas pu être joint par la rédaction.
Financée par le denier public pendant deux semaines après la liquidation, la diffusion de Luxe TV est actuellement assurée par Jean Stock sur ses fonds personnels. Ce dernier ne souhaite pas à ce stade des négociations autour de la reprise des actifs fournir le détail de son offre ni s’étendre sur son plan d’affaires pour relancer la chaîne qu’il a créée, il y a quatre ans. Il devrait, s’il parvient à un accord avec le liquidateur, y mettre davantage de touche « life style » et une dose plus modérée de « luxe ». « Le véhicule doit élargir le cercle et ne pas s’adresser seulement à une élite aisée, qui de toute façon sous-consomme la télévision », indique-t-il dans un entretien au Land.
La relance signifiera aussi des nouveaux investissements, dans les programmes notamment, qui tournaient en boucle, inchangés depuis un an, certains sujets ayant même plus de trois ans d’âge et un site Internet, en souffrance depuis février 2010. Jean Stock devra chercher des partenaires, mais l’intéressé juge prématuré de fournir des noms d’investisseurs qui seraient prêts à le suivre pour une renaissance de Luxe TV. L’ancien business plan chiffrait en tout cas le prix de la relance à neuf millions d’euros jusqu’en 2013, au-delà donc de la concession qui est accordée jusqu’à fin 2011.
Jean Stock ne veut pas passer pour le « fourvoyeur » de DVL TV, bien que sa société Algave (d’Land du 22.10.2010) ait été à l’origine du jugement de faillite le mois dernier. Le fondateur de la chaîne raconte que cette assignation en faillite était une exigence que lui dictait la loi, au risque sinon d’engager sa responsabilité d’administrateur et celle de sa famille dans une possible banqueroute, la chaîne étant endettée jusqu’au cou et ses actionnaires en bisbille peu disposés à injecter les capitaux nécessaires à son sauvetage.
Lorsqu’il a cédé le contrôle de Luxe TV en 2008 à la famille Pougatchev, Jean Stock assure avoir été obligé par l’oligarque russe de reinjecter « une partie importante » du fruit de la vente de ses participations dans la chaîne. C’est ainsi qu’il lui consentira, via Algave, un prêt de 3,250 millions d’euros, lequel ne fut remboursé qu’à hauteur de 800 000 euros alors qu’il aurait dû l’être intégralement en février 2010. Malgré des relances à l’actionnaire majoritaire de DVL pour rembourser le solde, une première assignation en faillite en juillet (qui fut retirée), puis des négociations infructueuses avec Pougatchev pour restructurer le prêt, Stock passe à l’offensive et assigne une bonne fois pour toute DVL.TV en faillite à la mi-septembre, quelques semaines après que le plan social ait été conclu pour le départ de 24 des 37 salariés de la chaîne. Jean Stock dénonce d’ailleurs aujourd’hui la légalité de ce plan qui aurait été selon lui finalisé sans l’aval du conseil d’administration. Quoi qu’il en soit, la faillite de la chaîne a définitivement compromis les chances des employés de le voir se réaliser.
Serguei Pougatchev aurait été disposé à remettre de l’argent frais sur la table, mais pas tout seul et au prix de quelque aménagement de la concession et de la gouvernance de la société. Une des conditions était précisément la restructuration du prêt d’Algave. La seconde était de placer son fils Alexandre, actuel patron du quotidien français France-Soir, à la présidence du conseil d’administration à la place de Jean Stock qui y était resté, bien que devenu minoritaire. Cette « anomalie » était en fait une exigence des autorités luxembourgeoises, raconte Jean Stock, qui devait rester pendant trois ans après la prise de contrôle des Pougatchev à la tête du conseil d’administration et son fils Jean-Baptiste en être l’administrateur délégué. Le gouvernement n’aurait pas été très chaud à l’époque à l’idée de donner le contrôle d’une chaîne de TV de droit luxembourgeois au banquier de Vladimir Poutine. Aussi, la présence de Jean Stock était un gage de probité.
Le gouvernement aurait en outre eu des sentiments plus favorables envers l’oligarque russe le jour où ce dernier a noué un partenariat en affaires avec l’un des neveux de la reine d’Angleterre. Pougatchev pouvait alors devenir l’actionnaire de référence de Luxe TV. Les conflits entre les différents clans d’actionnaires ont-ils fait échouer le « montage » ? Le 24 septembre, Jean Stock a donné sa démission, peu après qu’une réunion soit intervenue entre le patron du service des médias, Jean-Paul Zens, et le représentant de l’actionnaire majoritaire Jacques Rousseaux qui s’engagera alors à poursuivre l’activité, remettre de l’argent dans la machine (le besoin de financement était alors de neuf millions d’euros) et hisser un fils Pougatchev aux commandes de la chaîne TV. C’était quinze jours avant la faillite et l’annonce de l’arrivée d’Alexandre Pougatchev fut alors perçue comme une « bonne nouvelle », symbolisant la volonté des Russes de développer l’activité de Luxe TV sous tous ses aspects : conception, production, post-production et mise à l’antenne du programme.
Dans l’intervalle, un grain de sable est venu paralyser les plans de relance et personne ne sait exactement pourquoi la famille Pougatchev n’a pas tenu ses engagements à relancer Luxe TV. Les difficultés financières de la banque Mejprombank de leur groupe, en défaut de financer un chantier d’une centrale nucléaire flottante, n’est peut-être pas étrangère à ce scénario.