Le 15 août, 24 employés sur les 37 qui restent à la société DVL TV SA recevront officiellement une notification de licenciement. DVL TV est la société de production de télévision Luxe TV, lancée en 2006 par le pionnier de RTL Télé Luxembourg et de M6 Jean Stock et son fils Jean-Baptiste, à l’époque gestionnaire de fonds à New York. Les 24 personnes travaillaient essentiellement dans la production et l’administration, seuls resteront quelques postes dans la diffusion et l’administration. L’Essentiel avait annoncé la nouvelle dès le 28 juillet, un accord entre la direction et le syndicat OGB-L a été trouvé ce mercredi. « Nous avons pu négocier des indemnités de départ volontaire, se réjouit Léon Jenal, en charge des négociations auprès du syndicat. La loi n’oblige au payement qu’après cinq ans d’ancienneté, or un seul des employés y était depuis si longtemps, la société était trop jeune. » En plus, Luxe TV met à disposition des budgets pour l’outplacement et pour la formation du personnel licencié, qui n’aura pas à prester de préavis. Le plan social vaudra un an. Si elle n’est pas en faillite et que les rediffusions d’éléments de programme continuent, la chaîne vit désormais de ses conserves ; sa licence expirera fin 2011. L’avenir est loin d’être assuré, « c’est assez impressionnant : depuis le début de son existence, les comptes ne sont jamais sortis du rouge, » souffle le syndicaliste.
Pourtant, tout le storytelling qui entoure Luxe TV en faisait une nouvelle success story du pôle média luxembourgeois, presque du même ordre que la CLT jadis. « L’aboutissement d’une carrière » écrivait ainsi PaperJam en février 2008, sous un portrait de Jean Stock, qui y raconte : « En parcourant le monde pour TV5, puis pour l’Eurovision, je me suis demandé quels types d’images de télévision circulaient librement dans le monde. Je n’en ai trouvé que deux : celles consacrées au sport et au monde du luxe. Alors que pour le sport, toutes les places étaient prises, il restait tout à faire dans le secteur du luxe. » Alors qu’il lança sa société seul avec son épouse, dès 1996, Jean Stock fut rejoint plus tard par ses anciens co-combattants de RTL : Jacques Neuen, Gust Graas, Charles Ruppert, Helmut Thoma, Freddy Thyes. Puis assez vite par le milliardaire russe Sergueï Pougatchev, par le biais de ses holdings OPK et Luxadvor, domiciliée à Luxembourg. À plusieurs reprises, Luxadvor a augmenté son capital dans Luxe TV.
Sergueï Pougatchev, surnommé « le banquier de Poutine » fut fondateur de la Mejprombank, puis s’est reconverti dans l’énergie, la construction navale, l’aéronautique et donc le luxe. Luxadvor a notamment acheté l’épicerie fine Hédiard et Pougatchev a acquis la majorité des parts dans France Soir pour son fils Alexandre, qui en a lancé la nouvelle formule en mars de cette année. À cette occasion, Le Monde (du 19 mars 2010) avait consacré un portrait aux Pougatchev et estimé la fortune du père à 2,5 milliards de dollars, ce qui le situe au 42e rang de la liste des Russes les plus riches – donc exactement le genre de High Net Worth Individuals que le ministre de l’Économie Jeannot Krecké (LSAP) et la place financière veulent attirer au Luxembourg.
Pourtant, côté contenu, Luxe TV est à dormir debout : des reportages promotionnels sur des hôtels de luxe sur des îles paradisiaques, des bijoux, de grosses bagnoles et des voiliers énormes, des cures de wellness ou de grosses montres clinquantes montées à un rythme pour seniors avec toujours la même musique lounge au kilomètre... Personne ne voulait voir cela, à part les clients d’hôtels arrosés de Luxe TV lors des queues devant les buffets ou les voyageurs en attente dans les aéroports. Pourtant, dans sa communication, souvent reprise telle quelle, la chaîne revendiquait 385 millions de téléspectateurs potentiels de par le monde. Selon l’étude TNS-Ilres-Plurimédia, même au riche Luxembourg, ils n’étaient que 0,7 pour cent des personnes interrogées à regarder ses programmes en 2009. La mystification semble prendre fin dans la douleur. Sur le site Internet Luxe.tv, qui est devenu une page blanche avec une adresse, on peut néanmoins toujours envoyer un courriel si on veut acheter de l’espace publicitaire. En appelant le numéro de téléphone de DVL, on nous dit que « ah si, ça continue », mais « il n’y a personne » de la direction pour dire comment. josée hansen