Quel mois d’enfer pour Nicolas Schmit ! Le 4 octobre, le Tribunal administratif réforme une décision de placement en rétention administrative du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration à l’encontre d’un immigré en situation irrégulière et ordonne sa libération immédiate (d’Land 40/10). Onze jours plus tard, le 15 octobre, la Cour administrative saisie en appel réforme ce jugement. Un grand soupir de soulagement a dû traverser la direction de l’immigration du ministère ce jour-là, parce que la libération d’un retenu pour les raisons formelles invoquées – la non-conformité à la loi sur l’immigration de 2008 du placement d’immigrés en situation illégale dans l’enceinte d’une prison au lieu d’une structure autonome, pourtant imposée par la Cour administrative pour la date butoir du 1er octobre 2010 – aurait probablement impliqué la libération de tous les retenus placés, soit 17 personnes à ce moment-là, et rendu impossible tout placement à court terme. Dans son arrêt du 15 octobre, la Cour accepte les explications du gouvernement sur les raisons du retard du chantier pour le centre de rétention au Findel, qui sont essentiellement d’ordre procédural – les mauvaises portes auraient été livrées suite à l’appel d’offres – et un report de son ouverture jusqu’au printemps 2011.
Le même jour, vendredi 15 octobre, le conseil de gouvernement a adopté le projet de loi réformant la loi d’août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et celle de mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. Il s’agit avant tout de transposer, avant le 24 décembre de cette année, la directive 2008/115/CE dite « directive retour » – ou « directive de la honte » par ses détracteurs, durant les discussions politiques qui l’entouraient.
La veille, jeudi 14, Nicolas Schmit (LSAP) avait discuté entre autres avec le ministre de la Justice François Biltgen (CSV), le médiateur Marc Fischbach (CSV) et Serge Kollwelter de l’Asti des drames humains que cachent les décisions administratives sur la rétention ou l’expulsion de personnes en situation irrégulière, après la projection du film de fiction Illégal (Olivier Masset-Depasse, Iris Productions). Voilà réunis en quinze jours, avec une intensité rare, tous les ingrédients de la politique d’immigration : drames humains, émotions fortes, volonté politique européenne d’harmonisation des normes et rôle prépondérant joué par la justice.
La jurisprudence prend, en effet, une importance croissante dans la définition de cette politique. « En 2009, lit-on dans le rapport annuel du ministère des Affaires étrangères, la direction de l’Immigration a traité un grand nombre d’affaires contentieuses devant les juridictions administratives, tant dans le domaine de l’asile que dans le domaine du droit d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers. » Ainsi, au cours de l’exercice 2008-2009, 393 des 954 nouvelles affaires devant le Tribunal administratif et 171 des 209 affaires devant la Cour administratives touchaient l’asile et les migrations. Il n’est donc pas étonnant que les auteurs du projet de réforme de la législation invoquent à plusieurs reprises la « jurisprudence complètement contradictoire » ou l’insécurité juridique sur l’une ou l’autre définition ou pratique avant de tenter de clarifier les choses.
Un des changements majeurs, annoncés dans le bref communiqué sur les travaux du conseil de gouvernement et qui a suscité le plus vif intérêt des ONGs actives dans la protection des droits de l’homme est l’introduction de l’assignation à résidence des demandeurs d’asile déboutés et autres personnes en attente d’un retour chez eux comme alternative à l’incarcération en structure fermée. L’article 20 du projet de loi, que le Land s’est procuré, dit que seules sont éligibles à une telle assignation dans les lieux fixés par le ministre les personnes qui doivent quitter le territoire, mais dont l’exécution de la décision ne peut se faire pour des raisons techniques (comme l’absence de papiers d’identité ou de voyage), qui présentent des garanties de représentation et pas de risque de fuite. Elles peuvent ainsi être assignées à résidence pour une durée maximale de six mois et devront déposer leurs documents de voyage au ministère. « Pouvoir rester chez soi est toujours mieux que d’être enfermé, » estime le député vert spécialisé sur les questions de migrations Félix Braz, qui toutefois s’interroge sur la faisabilité de la mesure. Et sur le bien-fondé d’un centre de rétention pouvant accueillir jusqu’à 80 personnes si de telles alternatives sont parallèlement mises en place.
L’assignation à résidence est déjà pratiquée dans d’autres pays, comme la France ou l’Australie, parcimonieusement dans le premier pays, très largement dans le deuxième. Bien que difficile à mettre en œuvre, comme le note l’ONG France terre d’asile dans une publication récente sur les « alternatives à la rétention administrative », ces traitements dignes et plus respectueux des personnes tendraient à entraîner une position plus volontariste de l’intéressé, une diminution du taux de fuite et une augmentation des retours volontaires1.
Ce serait sans conteste un effet collatéral bienvenu au ministère, car les retours volontaires des demandeurs d’asile déboutés se font toujours au compte-goutte. En 2009, 504 personnes ont déposé une nouvelle demande d’asile, toujours majoritairement en provenance de l’Europe. Sur les dossiers en cours de traitement, 141 personnes se sont vues accorder le statut de réfugié, onze la protection subsidiaire, trente la tolérance sur le territoire et 176 personnes ont pu rester pour raisons médicales, malgré une décision d’éloignement. La même année, toujours selon le rapport annuel du ministère, 207 personnes ont été rapatriées, dont un peu plus de la moitié, 107, volontairement, et 52 ont été expulsées par la force. Seuls 36 concernés, ou 17 pour cent, ont eu recours à une assistance au retour organisée par l’OIM (Office international pour les migrations), financée par l’État suite à un accord bilatéral (un million d’euros prévus dans le projet de budget pour 2011).
Avec la réforme, le retour volontaire doit être davantage promu : après qu’une décision de quitter le territoire ait été signifiée à la personne concernée, elle disposera de trente jours pour avoir recours à ces aides au retour – aujourd’hui, les sommes en cash varient entre 300 à 600 euros par personne, plus 2 000 euros pour la réintégration dans leur pays d’origine, où l’OIM peut les encadrer avec des aides au logement, une assistance légale, des formations, une assistance médicale, une aide à la recherche d’un emploi et autres conseils personnalisés. Nonna Sehovic de la Caritas, qui assure actuellement le secrétariat tournant du Lëtzebuerger Flüchtlingsrot (LFR), constate par exemple que les personnes qui contactent leurs services sont peu informées sur ces possibilités, ce qui pourrait expliquer le manque d’intérêt. Un échange de vues avec l’OIM fin novembre pourrait aider à améliorer les flux d’information.
La mise en place d’une « politique efficace d’éloignement et de rapatriement » est un des objectifs de la directive retour, lit-on dans l’exposé des motifs du projet de loi, mais aussi que ces rapatriements se fassent « d’une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux et de leur dignité ». Le texte proposé insiste sur l’introduction d’un traitement désormais égalitaire entre toutes les personnes en situation irrégulière, qu’elles aient immigré de manière illégale ou qu’elles aient été déboutées en dernière instance d’une demande d’asile. En outre, la décision du ministre sur l’illégalité du séjour sera désormais automatiquement considérée comme décision de retour.
Par contre, le ministre disposera alors d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder une autorisation de séjour pour motifs humanitaires, qui ne doit plus être « d’une exceptionnelle gravité » comme c’est le cas actuellement – et qui « annule automatiquement toute décision de retour prise antérieurement ». Dans son bilan de la loi de 2006 sur l’asile publié cet été, le LFR salue les avancées de cette loi, regrette les lenteurs qui demeurent dans l’analyse des dossiers et demande des clarifications des critères et définitions. Au quotidien, ce sont souvent justement les mesquineries des fonctionnaires et des agents (d’Land 42/10), comme la suppression des aides sociales, ou, comme ce fut encore récemment le cas, l’interdiction d’entrer dans leur foyer, à la fin de la procédure, qui font le plus souffrir les personnes concernées.