Le Luxembourg et les Roms

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d'Lëtzebuerger Land du 23.09.2010

Furieux d’être virulemment attaqué par la Commissaire européenne Viviane Reding (CSV), responsable de la Justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, pour sa politique ciblée et musclée d’expulsion de Roms, le Président français Nicolas Sarkozy (UMP) a, en guise de contre-attaque, suggéré devant des sénateurs de son parti que le pays d’origine de Viviane Reding accueille lui-même des Roms. Levée de boucliers au grand-duché, soulignant que la commissaire s’était exprimée au nom de l’Europe et non du Luxembourg, et qu’il ne faudrait pas tout mélanger (voir aussi pages 2-3). Certes, mais la boutade de Nicolas Sarkozy a néanmoins indiqué un malaise : les gens du voyage, quelle que soit leur origine, ne sont pas les bienvenus ici.

« Il y a, depuis toujours, une particularité de la présence de Rroms et des Jéniches au Luxembourg, estime ainsi Jürgen Michael Schulz1 : elle n’a guère laissé des traces. Ce phénomène que l’ethnologue belge Alain Reyniers désigne du nom de ‘présence invisible’, a plusieurs causes. (...) Il faut en chercher la cause principale dans la sévère législation édictée par l’État luxembourgeois dès le milieu du XIXe siècle dans le but de limiter à la fois l’émigration et, sur le plan économique, la concurrence exercée par les commerçants étrangers. » Mais l’Europe a peu à peu forcé le Luxembourg à ouvrir ses frontières et à abolir ses lois protectionnistes. Alors que des législations comme celle sur l’immigration ont été libéralisées suite à la pression internationale, le grand-duché a trouvé d’autres astuces pour exclure l’arrivée de communautés itinérantes.

La première, inattendue, se trouve dans la loi de janvier 2004 sur la protection de la nature, qui interdit le « stationnement de roulottes, de caravanes et de mobilhomes » en dehors des terrains de camping autorisés ou de chantiers par exemple. Ce qui fait dire au porte-parole de la Police, Vic Reuter, qu’il n’y a pas de phénomène de tels campements ici. Alors qu’en France, la loi Besson oblige les communes de plus de 5 000 personnes à mettre à disposition des gens du voyage des places de stationnement, le Luxembourg ne suit aucunement la recommandation du Conseil de l’Europe selon laquelle « les États membres devraient faire en sorte qu’un nombre suffisant de sites de transit/de halte soient mis à la disposition des Roms itinérants et semi-itinérants »2. Une telle communauté qui arriverait au Luxembourg aurait donc comme seule possibilité de se garer sur un camping commercial, aux tarifs prohibitifs. Une dernière expérience du genre remonte à 2006 au camping de Kockelscheuer et a vite mené à une expulsion, suite à des démêlées avec le propriétaire.

Si Viviane Reding a si clairement pris à parti la France dans son accusation du 14 septembre, c’est parce que les mesures ciblées à l’encontre de la communauté rom sont contraires aux traités européens, notamment en ce qui concerne la libre-circulation des citoyens, et parce qu’elles visent une communauté ethnique en particulier. Car depuis 2007, la Roumanie et la Bulgarie, dont sont originaires la plupart des Roms, font partie de l’Union européenne et leurs citoyens, issus d’une minorité ou pas, jouissent donc en principe des mêmes droits que tous les Européens. Le Luxembourg a toutefois là encore instauré dès 2006 une exception à l’encontre des citoyens bulgares et roumains, leur imposant de disposer d’une autorisation de travail ; cette exception a été prolongée jusqu’en 2013. Or, pour avoir une telle autorisation, il faut pouvoir prouver qu’on dispose d’un logement « approprié » et qu’on est déclaré auprès de l’administration communale de son lieu de résidence – ce qui est impossible sur un camping.

Rôdée aux ONGs luttant pour les droits des minorités et présidente de l’asbl Chachipe pour la défense des droits des Roms fondée l’année dernière et ayant son siège à Bereldange, la Luxembourgeoise Karin Waringo se dit scandalisée de la stigmatisation des Roms dans son propre pays. « À côté de l’absence des aires de stationnement, il y a la persécution des mendiants, » dit-elle, reprochant des actions ciblées et arbitraires à l’encontre des mendiants d’origine Rom aux forces de l’ordre. Le rapport annuel 2009 de la Police constate en effet une explosion du nombre d’infractions pour mendicité et vagabondage, de 639 faits en 2008 à 1 636 en 2009. Selon le Code pénal, seule la « mendicité en réunion » reste interdite, mais sa définition serait loin d’être claire, estime Karin Waringo. Les actions de sensibilisation de la Police contre les réseaux organisés de mendiants opèrent sans conteste avec des clichés – une femme (mal) déguisée en mendiante –, qui enragent la présidente de Chachipe.

L’amalgame entre gens du voyage, Roms, Roumains et criminels qu’on reproche au gouvernement français est aussi pratiqué au grand-duché. Les Roms constituent une minorité doublement, voire triplement stigmatisée, pour sa pauvreté (le chômage frappe dramatiquement cette minorité en Roumanie), son origine géographique et/ou ethnique ainsi que pour son mode de vie qui correspond si peu aux sédentaires grand-ducaux. Autant d’explications pourquoi ils sont indésirables ici. Et sans le dire, tout est fait pour éviter leur arrivée. Il n’y a ni chiffres ni textes trop officiels. Les statistiques internationales estiment toutefois qu’il y aurait quelque 300 Roms au Luxembourg. Jean Lichtfous de l’Asti confirme que des Roms sont entrés sur le territoire, mais « sans signe extérieur » de leur appartenance. Ils sont originaires du Kosovo, mais membres de la minorité rom, et ont déposé une demande d’asile en bonne et due forme. La Commission des migrations du Conseil de l’Europe vient de lancer un appel pour la suspension des retours forcés prévus de Roms au Kosovo – ils seraient 100 000 à avoir fui le pays, où une « situation sociale insoutenable » les attendrait en cas de retour. Le 11 octobre prochain, le ministre de l’Immigration Nicolas Schmit (LSAP) aura un échange de vues avec la commission parlementaire compétente sur la situation des Roms.

Le titre de cet article est du jéinesch / jéniche et pourrait se traduire par « casse-toi ! ».
josée hansen
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