Alexandra Fixmer, auteure de plusieurs recueils de poésie, nous plonge avec son premier roman, La reine du Lampertsbierg, dans le monde de son enfance. Et nous voilà, au fil des pages, en train de nous remémorer la nôtre. Période marquée par l’insouciance pour certains, douloureuse pour d’autres, il est rare qu’une fois devenus adultes nous aimions nous y replonger. Quel est le sort que nous jette donc Alexandra Fixmer ? Peut-être parvient-elle à faire remonter en nous nos souvenirs oubliés voire refoulés en faisant le récit d’une enfance heureuse, presqu’idéale. À nos yeux en tout cas.
La reine du Lampertsbierg narre l’enfance d’une petite fille, bercée par les contes de fées et Heidi, que son grand-père surnommait princesse et qui comptait bien devenir reine un jour. Pas une enfance dorée, juste une enfance avec les privilèges et les inconvénients de l’âge. Une enfance qui fait la part belle aux relations intergénérationnelles. Pour le meilleur – les grands-parents sont des complices indéfectibles – et pour le pire – X a un fort penchant pour la bouteille, Y porte un dentier, Z a un cactus dans la bouche.
C’est l’histoire d’une enfance passée au Luxembourg, rythmée par la Schueberfouer, la Saint-Nicolas et l’Octave, mais baignée de plusieurs cultures et langues. L’essentiel se vit au pays, mais on le quitte parfois pour aller à Rédange, en Lorraine, où habite l’autre grand-mère, ou à la côte belge. Souvenirs de postes-frontières. Mélange d’odeurs de cordon bleu, de bouchées à la reine, de saint-honoré, de petits-beurre, de Riesling et de grenadine.
Reflet de l’époque du questionnement à tout-va et de l’acceptation sans conditions à la fois. D’un côté fusent les questions commençant par « pourquoi ». D’un autre, l’on sait aussi se contenter d’explications vaseuses comme quand la petite fille est envoyée un étage plus bas chez ses grands-parents pour que ses parents aient un moment d’intimité de couple.
Et puis, il y a cette imagination féroce dont l’aptitude se perd au fil des ans. L’on se fomente des histoires à dormir debout, on avale les couleuvres des autres aussi, on s’invente des mondes propres. L’ennui n’existe pas.
Ce livre, c’est l’enfance d’une génération, celle née dans les années 1970 comme l’auteure, celle qui portait des chaussures Kickers, aux points vert et rouge, des sous-pulls qui grattaient et des kilts fermés d’une épingle, qui mangeait de la soupe à l’alphabet, dont les yeux brillaient devant les œufs Kinder surprise, qui regardait L’école des fans de Jacques Martin, qui écoutait Boy George et Boney M, qui s’empêtrait les doigts dans le cadran du téléphone, qui jouait aux poupées Barbie, qui croquait du chocolat Poulain pour collectionner les images, qui salivait devant des Smarties ou un Raider avant que ça ne devienne Twix, qui connaissait la chorégraphie de La danse des canards par cœur.
Mais c’est aussi une enfance tout court. Celle où seuls les adultes ont le droit de dire des gros mots. Celle où certaines choses sont strictement défendues comme toucher à la gazinière. Celle où il faut toujours manger son assiette. Celle des repas dominicaux. Celle des grandes vacances. Celle où on devine l’âge d’une coccinelle en comptant les points noirs qu’elle a sur le dos. Celle où les distances semblent si grandes. Celle où on va à l’église sans bien savoir pourquoi. Celle où on adore faire les courses au supermarché.
Le roman d’Alexandra Fixmer, plein de sous-entendus, clins d’œil et second degré, reste, pour notre plus grand plaisir, un livre pour adultes. Tel une chiquenaude, il donne l’envie d’un retour à la spontanéité, au non-self control. L’envie de prendre des résolutions telles que : ne plus commencer une phrase par une majuscule, ne plus tourner la langue sept fois dans sa bouche avant de parler, prononcer les mots comme on en a envie, donner des explications qui n’en finissent pas,...
La reine du Lampertsbierg, vous l’aurez compris, ça fait du bien.
Elise Schmit
Catégories: Luxemburgensia
Édition: 30.11.2012