Conceptions, le dernier recueil de poèmes de Jean Portante, est un hommage vibrant à la vie et à la mort, deux réalités intrinsèquement liées. Au départ, la vie, par qui tout commence, est donnée. Puis est reprise selon le cours inexorable et implacable de la nature. Mais qu’existe-t-il de plus injuste quand il s’agit de la mort de celle qui a donné la vie, la génitrice, la mère ?
Conceptions, ce sont les vies données par fécondation. Conceptions, ce sont des perceptions de l’abandon du corps et de l’envolée de l’âme. Conceptions, c’est le pluriel d’un prénom, celui de Concettina en italien, celui de la mère de l’auteur. Un pluriel car ces poèmes sont universels ; ils sont les odes d’un fils à sa mère. Conceptions, ce sont 107 poèmes, peut-être 107 visites de l’auteur à la mourante, 107 jours passés à son chevet entre le 16 novembre 2011, jour où elle entra à l’Hôpital Emile Mayrisch d’Esch-sur-Alzette, et le 10 mars 2012, jour où elle décéda. Conceptions, ce sont cinq mois qui s’écoulèrent, tels des chapitres, sobrement indiqués par des dessins de Robert Brandy.
Tout commence en automne, la saison de la vieillesse et du déclin. Or, l’automne sait revêtir des couleurs chaudes où l’espoir est encore permis (« C’est encore la moitié éclairée qui domine / Comme si tu n’avais fermé que le nord / De tes yeux »).
S’instaure alors un dialogue faussé entre les deux protagonistes (« Que regardes-tu quand tu ne vois plus / De quoi parles-tu quand tu ne dis plus rien ») propice à la résurgence de souvenirs – des origines en Italie, un départ sans billet de retour, l’exil – comme pour pallier l’absence de réponses et meubler le vide. Alterne avec la parole la contemplation. La progression de la faucheuse est disséquée (« Ton visage a pris la forme de l’éternité », « Ta langue est si blanche », « Tu t’habites de moins en moins ») et cette intrusion maudite de la mort amène à un tas de questionnements sur l’au-delà (« On dit mourir est une tasse d’obscurité / et on dit boire dans cette tasse / N’empêche pas de voir »). Tout finira ironiquement au printemps, la saison du renouveau.
Dans ce journal de bord où foisonnent les mots, les images et les sentiments, qu’entend-on ? Des paroles de conversation, des réflexions intérieures, des interrogations existentielles, comme s’il ne fallait pas cesser de parler de peur que le fil de la vie ne soit coupé. Les images, a contrario, fixent l’instant car, un jour, seules elles subsisteront. Les images, ce sont aussi des métaphores dont la profondeur et la beauté n’ont d’égales que la grandeur de l’amour que l’auteur porte à sa mère. Les sentiments, quant à eux, envahissent chaque page. Déchirants quand le fils assiste impuissant à l’inévitable qui emporte peu à peu l’être cher, aux derniers soubresauts, à la dématérialisation (« Tu prends l’allure d’une danse »), puis se résigne enfin à voir le bateau prêt à larguer les amarres et à s’éloigner pour toujours de la rive, les voiles gonflées par le vent.
Elise Schmit
Catégories: Luxemburgensia
Édition: 26.10.2012