La place de la Résistance – Brillplaz – est un endroit bizarre. Les crottes en cuivre chauffent sous la canicule et les haies en buis, taillées de manière sophistiquée pour reprendre les formes organiques des sculptures ont cet aspect factice qu’on aime détester dans les jardins contemporains. Les arbres et arbustes sont encore trop jeunes – ils ont été plantés en 2013 seulement – pour faire de l’ombre. D’un côté de la place, le Musée national de la Résistance est en rénovation, un seul panneau d’une « exposition » dédiée à Aristides de Sousa Mendes subsiste, les autres ont été volés. De l’autre côté, le Théâtre d’Esch, encore fermé ; des gens déjeunent en terrasse. Le restaurant de sushis installé dans un des deux pavillons est presque vide. Devant le deuxième pavillon, à côté de l’entrée vers le parking souterrain, des autocollants indiquent les distances à garder entre spectateurs lors d’événements. Rien ici ne signifie qu’on est bienvenu. L’espace public conçu par l’architecte berlinois Kamel Louafi semble surtout pensé pour prendre de belles photos aériennes et ne laisse pas de place aux utilisateurs. Son grand avantage fut à l’époque de Lydia Mutsch (LSAP) de faire oublier la débâcle du projet André Heller et ses masques dorés aussi surdimensionnés que le budget.
Le deuxième pavillon, en face du restaurant asiatique, a été mis à disposition par la Ville d’Esch à l’association Esch22, capitale européenne de la culture. Même si aucune des deux équipes, ni la première de Wagner/Strötgen ni celle de Nancy Braun, n’a jamais voulu y élire domicile (elle est installée au 1535 à Differdange), c’est, de par sa structure ouverte, un lieu idéal pour faire vitrine. Aussi en temps de confinement, comme il s’est avéré, puisque les passants peuvent avoir un aperçu d’une œuvre de l’extérieur. Un peu comme le fut le pavillon de l’Aica jadis, ou comme l’est actuellement la Cecil’s Box du Cercle-Cité à Luxembourg-Ville. Après Thibault Brunet et ses paysages numériques Topographia naturalis pour la Nuit de la culture l’année dernière et la ville miniature Playful connect de Floris Hovers en février, Esch22 a invité Paul Schumacher aka Melting Pol à s’approprier le pavillon appelé Annexe22. Il le fait avec une installation qui lui ressemble : Under construction est une œuvre lumineuse au sens propre du terme : les structures de deux échafaudages industriels, comme ceux qu’on utilise généralement pour les chantiers de construction, sont remplacées par des tubes en LED blancs ; les plateformes sont en plexiglas translucides. Under construction au propre comme au figuré : l’installation est aussi censée indiquer que derrière les coulisses des ragots et des scandales qui entourent le projet de capitale européenne de la culture, quelque chose d’enchanteur se construit.
Originairement, Paul Schumacher vient de l’événementiel : il travailla à un moment dans la conception des foires et salons à Luxexpo. C’est donc un monde qu’il connaît, même si son activité artistique de premier veejay au Luxembourg a peu à peu pris le dessus. Très prolixe, Schumacher s’est d’abord associé à des musiciens, danseurs et acteurs, avant de se réorienter vers le videomapping, cette récente mode de projeter des images sur des surfaces architecturales. Il connaît le charme qu’exerce la lumière, matière fragile et éphémère – comme l’a prouvé jadis Enrico Lunghi avec deux expositions d’œuvres basées sur la lumière au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain (Light Pieces en 2000 et On/Off en 2006/2007). Matière trompeuse aussi, qui permet de faire de l’effet avec bien peu de choses – comme l’ont prouvé les Open market days d’Esch22, en février dans l’ancienne halle de marché à Esch. Or, comme le précise la directrice de la programmation d’Esch22, Françoise Poos vis-à-vis du site Reporter.lu, « une capitale européenne de la Culture, ce n’est pas une biennale d’art. Pour la Commission européenne, c’est un projet sociétal où l’art et la Culture doivent avoir un impact systémique sur l’économie ». Dans ce sens, l’installation de Melting Pol tire dans le mille : un peu d’éblouissement pour revaloriser la ville après la désindustrialisation.