#BFF – sur les réseaux sociaux, c’est le mot dièse préféré des jeunes filles en fleurs pour « best friends forever ». Depuis fin janvier, c’est aussi l’acronyme de Beiler François Fritsch, le deuxième bureau d’architecture et d’urbanisme du pays en termes de taille – avec soixante collaborateurs, dont 36 architectes, il se place derrière celui de Jim Clemes (63 personnes), mais devant Beng (52 employés, selon l’OAI). Dans leur communication très professionnelle autour de cette fusion, les associés, tous quadragénaires, posent en col roulé et jean, dynamiques et volontaristes, dans un bâtiment en cours de gros-œuvre. Nous en retrouvons deux, Tom Beiler et Mathias Fritsch, quinze jours plus tard rue des Gaulois à Bonnevoie, dans les bureaux de l’ancienne agence
Paczowski et Fritsch, en attendant que de nouveaux bureaux, en cours de construction à Gasperich, soient achevés. Françoise Kuth, la juriste du quatuor d’associés, et l’architecte Stéphane François, n’ont pas pu se libérer pour l’entretien.
Objectif de la rencontre : comprendre ce qui motive une telle fusion, au-delà d’une meilleure organisation administrative (y compris un service juridique ou un service informatique et tout le toutim), permettant de rationaliser les différents stades d’un projet de construction – du concours ou de la conception en passant par les procédures administratives jusqu’au suivi du chantier ? Est-ce vraiment avant tout une démarche d’optimisation et de recherche de synergies, et comment feront-ils pour développer une « patte commune », une signature, une esthétique du bureau ? Certains des grands groupes d’architectures luxembourgeois ont une telle « patte » immédiatement reconnaissable, comme François Valentiny, et, à un certain degré aussi Christian Bauer et Jim Clemes. D’autres, comme notamment Beng, se développent dans tous les sens, et dans tous les styles. « C’est un de nos objectifs avec cette fusion, souligne Tom Beiler : nous voulons pouvoir nous consacrer davantage à la conception architecturale, qui soit de qualité et réponde aux critères du développement durable… »
Pour voir si cela peut coller, il suffit de regarder les portfolios des deux bureaux : Mathias Fritsch, 45 ans, vient du mythique bureau Paczowski & Fitsch, créé en 1989 par son père, Paul Fritsch, et Bohdan Paczowski, architecte polonais qui s’est installé à la fin des années 1980 au Luxembourg et a marqué la scène non seulement par son architecture, mais aussi par son érudition et par son engagement à faire naître un débat autour de l’architecture au grand-duché. Paczowski est mort en janvier 2017 et Paul Fritsch est à la retraite, Mathias – qui avait rejoint le bureau en 2003, après avoir travaillé e.a. avec Dominique Perrault à Paris – se retrouvait donc, à la quarantaine, à gérer un bureau d’une trentaine de collaborateurs, à dégoter des commandes, concevoir des projets et suivre des chantiers. APF – pour Architectes Paczowksi et Fritsch – s’est fait un nom d’abord avec ses grands complexes de bureaux, comme l’Atrium Business Park à Bourmicht, le « Rocade de Bonnevoie » de la Ville de Luxembourg ou le Laccolith à la Cloche d’or (avec ses plus de 13 000 mètres carrés) : à chaque fois, ils employaient beaucoup de verre, des structures géométriques claires, et un élément original : les rondeurs à Bonnevoie, les colonnes à la Cloche d’or. Puis, grâce au hasard –ou aux compétences –, ils devinrent les experts des grandes infrastructures publiques, construisant le nouvel aéroport de Luxembourg-Findel avec son toit flottant et ses grandes verrières, ou remportant le concours d’architecture pour la nouvelle gare périphérique de Cessange en 2009 (jamais construite). En dernier, Mathias Fritsch a pu assister à l’inauguration festive, le 10 décembre, de la nouvelle gare « Pont rouge » reliant la vallée du Pfaffenthal au plateau du Kirchberg via funiculaire. Un bâtiment imposant de 22 000 mètres carrés, tout en horizontalité, qui, explique la description du projet, s’inspire de la forteresse avec son socle massif, surmonté d’une toiture légère, qui est devenue la signature du bureau.
En contraste total, de premier abord, le nouveau château d’eau du petit village d’Altrier, dans la commune de Bech, à l’Est du pays : un volume rectangulaire irrégulier qui s’élève élégamment vers le ciel, avec quelques découpes dans sa géométrie qui, sans cela, serait trop banale. Les contraintes techniques – il faut d’abord stocker un important volume d’eau en altitude – ont ici été traitées « comme une sculpture » sourit Tom Beiler. Mais la dichotomie entre la tour d’eau de Beiler & François Architectes et APF n’est qu’apparente – ces deux constructions ont aussi des ressemblances, dans la recherche de matériaux naturels et durables, d’un langage formel rigoureux et adapté au contexte. Le bureau Beiler & François a été fondé en 2002, par Tom Beiler, ancien de chez Christian Bauer et Arco, et Stéphane François, architecte belge qui travaillait depuis la fin des années 1990 au Luxembourg. Il a beaucoup travaillé pour des maîtres d’ouvrage privés, immeubles de bureaux ou logements, mais aussi conçu des infrastructures publiques, comme l’École de musique avec foyer scolaire de Bonnevoie, multi-primée. Sur le nouveau site internet commun, bffarchitectes.lu, ont surtout été mis côte à côte des projets des deux bureaux qui ont un langage formel commun – un amour pour l’angle droit, une structuration claire des volumes par des ouvertures conçues de manière sérielle, peut-être aussi une certaine austérité (à mille lieues de l’esthétique lyrique de Bohdan Paczowski).
« Durant les presque vingt ans où nous avons tous les deux travaillés au Luxembourg, nous ne nous sommes jamais marchés sur les platebandes, ce qui me fait dire que nous sommes complémentaires », estime Mathias Fritsch. Chacun aurait évolué dans un segment distinct. « Mais nous nous sommes trouvés pour cette fusion parce que nous avons une même approche dans notre travail… » Soit une approche collaborative, un penchant pour le travail en équipe et l’échange durant la conception. Ensemble, les associés sont en train de discuter les structures et méthodes de travail à mettre en place pour atteindre cet idéal de communauté : des réunions stratégiques par exemple, entre les associés plus les chefs de projets, pour à chaque fois analyser si les derniers changements nécessaires du programme ou d’autres contraintes correspondent encore à l’idéal formel développé en amont. « C’est à ce stade que nous allons développer cette ‘signature commune’, estime encore Mathias Fritsch, cette ‘architektonische Oberleit-ung’ (direction architecturale générale) ». « Mais de toute façon, chaque conception est une quête permanente », ajoute Tom Beiler, pour qui le langage formel s’adapte aux contraintes techniques. « Notre expertise doit être de tous les niveaux, et elle doit être telle que chaque maître d’ouvrage – que ce soit la famille qui veut une transformation de sa maison ou le maître d’ouvrage public – puisse y avoir recours à son niveau ».
En vingt ans, les deux architectes ont aussi vu changer le marché de la construction, que ce soit de la part des maîtres d’ouvrage privés ou publics. Les attentes vis-à-vis des bureaux et de leurs compétences vont croissantes, il faut désormais souvent avoir une certaine taille pour pouvoir participer à un concours d’architecture, à Belval par exemple, ou au Kirchberg. Alors, souvent, les petites structures d’une dizaine de collaborateurs ne sont pas compétitives face aux rouleaux compresseurs que sont les « architectes stars » venus de l’étranger. Souvent aussi, les bureaux associés luxembourgeois sont alors réduits à des charges administratives lors de la phase d’exécution, « même si c’est très intéressant de travailler avec de grands bureaux internationaux comme Jean-Michel Wilmotte (le bureau Beiler & François a collaboré au développement du projet gagnant pour le nouveau siège d’Arcelor-Mittal au Kirchberg, ndlr.) ou Norman Foster, qu’on y apprend beaucoup, » note Tom Beiler. L’idéal des bureaux comme BFF serait d’avoir une taille suffisante pour pouvoir concourir à ce niveau-là, au Luxembourg comme à l’international – seul, ou avec un partenaire étranger plus petit, histoire d’inverser les rôles. Cela fait aussi partie du processus d’émancipation de l’architecture autochtone.