Les œuvres de Christodoulos Panayiotou sont dérivées du genre de la performance et se distinguent par leur dimension théâtrale. Bien réfléchies et souvent inspirées par le pays natal de l’artiste, Chypre, elles jouent sur les références historiques et anthropologiques et remettent en question les conventions visuelles. Pour ses installations, Panayiotou sort les objets de leur contexte et les insère dans un autre afin de tisser des liens complexes. L’exposition que le Casino dédie actuellement à Christodoulos Panayiotou constitue une narration continue construite autour de différentes sources qu’il s’avère indispensable de connaître afin de bien comprendre l’histoire racontée par les œuvres.
Le visiteur est d’emblée confronté à une vue plutôt inhabituelle du Casino, forum d’art contemporain. Le jeune artiste, né en 1978, a fait enlever les paroisses d’exposition qui masquent le cadre originel de l’ancien casino, respectivement restaurant, faisant resurgir les murs et les miroirs marqués par le temps. Il vise ainsi à l’élimination de l’artificiel et du contexte visuel habituel d’un musée caractérisé le plus souvent par des murs nets, voire blancs.
Panayiotou investit ce décor originaire de façon quasi minimaliste en y déposant trois paires de chaussures confectionnées à partir de sacs à main (Untitled de 2013) et des objets ronds emballés de papier journal. Grâce au guide de l’exposition, on apprend qu’il s’agit de bougies emballées. Si l’artiste a fait enlever les murs d’exposition pour mettre à jour une coulisse cachée pendant trop longtemps, il procède en même temps au processus inverse en voilant les cierges de façon à ce qu’elles ne soient plus reconnaissables. Dans le même état d’esprit, et pour brouiller encore davantage les repères des visiteurs réguliers du Casino, Panayiotou a décidé de fermer la salle à côté du labo. On passe ainsi devant un simple mur blanc et seul un marteau de porte renvoie à ce qui pourrait se trouver derrière lui.
Au rez-de-chaussée du musée, on retrouve en outre deux travaux montrés à la Documenta l’année passée : The Sea et Independence Street. Le sol menant vers l’aquarium est recouvert de carrelage en terre cuite, réalisé non pas avec de l’eau normale, mais avec de l’eau de la Méditerranée. D’anciens poteaux électriques sont posés sur ce carrelage. Le fait qu’ils proviennent de la ville natale de Panayiotou, Limassol, ne leur confère pas seulement un côté nostalgique aux yeux de l’artiste, mais renvoie aussi au changement de la structure du réseau électrique, c’est-à-dire au remplacement des pylônes par un système souterrain de câbles électriques. Le changement d’un état d’un objet à un autre ou la transformation d’une image ou d’un statut à travers le temps sont des thèmes récurrents dans l’œuvre de Panayiotou, qui expliquent sa prédisposition pour la performance.
Au premier étage, on est accueilli par diverses projections photographiques qui se basent sur un travail d’archive et font allusion à la formation d’anthropologue de l’artiste. L’œuvre I Land (2010) consiste en une double projection. D’un côté, on perçoit des images de l’archevêque Makarios III prises lors de cérémonies et, de l’autre côté, des images prises sans l’évêque par les photographes lors de ces mêmes cérémonies et enregistrées malgré tout par le Press and Information Office sous le mot clé « Makarios ». La deuxième projection est consacrée aux défilés de carnaval (Wonder Land de 2007). Les styles et modes distincts témoignent des différentes époques et montrent l’évolution des défilés et des costumes à partir de 1975. Panayiotou souhaite montrer par là les influences auxquelles même les traditions sont sujettes et surtout les changements amenés par l’inter nationalisation et la pensée globale. De même, Never Land (2008) est une composition de clichés de l’archive d’un journal chypriote. Des photographies de vacances, d’hommes et de modèles nus, de guerres et d’accidents défilent sur le mur selon le rythme alterné des trois projecteurs. Ces images datent toutes des années 1990. La maîtrise de la chorégraphie et de la dramaturgie se décline non seulement dans l’orchestration des trois projecteurs, mais aussi dans la suite des images. La succession de l’image d’un cheval mort par un cliché où des hommes font du cheval n’est pas un pur hasard, mais vient renfoncer la puissance visuelle de la projection.
Une autre œuvre qui dégage un impact visuel fort est 2008 (de 2008), un tas de papier. En regardant de près, on distingue qu’il s’agit d’argent. Le titre de l’œuvre révèle qu’il s’agit plus précisément de billets chypriotes qui furent remplacés en 2008 par l’euro. À travers ces œuvres dédiées à la Chypre, l’artiste examine la constitution identitaire d’un pays et sa réception par d’autres pays. Comment un pays est-il perçu par le monde ? Quel est le rôle des médias dans ce processus ? En opérant un choix dans les archives et en ne montrant qu’une partie des photographies, on délimite par le même acte l’histoire et on change le regard qui est porté sur un fait, une tradition ou une personne.
D’autres œuvres de Panayiotou montrées au Casino sont plus simples. Ainsi, Rapporter le monde au monde (2012) est un film noir et monochrome. Même si le film est réalisé à partir des plans noirs du film Mary Poppins de 1964, il est improbable que le spectateur reste docilement debout devant l’écran pendant 38 minutes. Il en est pareil pour les tableaux Untitled (2013) placées par endroits au premier étage. Monochromes et dorés, ces tableaux évoquent en même temps une icône et l’absence d’une icône, tout en rappelant les monochromes de Klein ou certaines des œuvres de Beuys, pour qui l’or revêtait aussi un caractère de pureté.
Si Christodoulos Panayiotou s’intéresse aux constructions et aux structures qui se tissent à l’arrière-plan de la société ainsi qu’à l’image collective ou encore à la représentation et à l’acceptation commune des choses, cette analyse transparaît surtout au fil du parcours de l’exposition et dans la chorégraphie des œuvres dans l’espace. Certaines des pièces montrées sont difficiles à comprendre sans le guide, car leur histoire est longue et lourde. L’exposition vaut le détour, si ce n’est que pour l’apparence inhabituelle du Casino dénudé en partie de son artificialité.