C’est sans doute une des meilleures présentations de ces dernières années au Mudam. Et ceux qui se chamaillent encore avec l’enveloppe si présente dessinée par Ieoh Ming Pei, risquent même bien de se réconcilier cette fois avec l’ego de l’architecte. Car ici, les espaces monumentaux se mettent en résonnance avec la puissance des œuvres présentées.
La Coréenne Lee Bul (on pourra prendre son temps pour découvrir et retourner à l’exposition qui dure jusqu’au mois de juin de l’année prochaine) est tout simplement une artiste extraordinaire. Née en 1964, elle n’est plus tout à fait « de la jeune génération » et le temps qui passe lui a permis de mûrir une réflexion, au départ, sur elle-même. Soit une femme et son corps dans l’espace et le temps d’une société en pleine mutation, à la recherche de l’efficacité parfaite, mais à marche forcée.
De cette expérience issue des années 1980 et poursuivie dans les années 1990, voici suspendus dans le grand hall du Mudam, ces Cyborgs et Anagram (1998 à 2001), aux formes du troisième type, à la fois fascinantes et inquiétantes, biologiques et mécaniques. C’est avec ces figures marmoréennes, que Lee Bul est devenue mondialement célèbre. Issue d’un milieu progressiste mais rebelle, car capable d’analyser les faces sombres d’un futur vanté comme enchanteur, la voici au Mudam, après une première exposition européenne à la Fondation Cartier à Paris en 2007.
Lee Bul plonge donc le visiteur dans un monde enchanté, apparemment esthétiquement parfait, mais suffisamment étrange pour qu’il ne soit pas tout simplement beau. Car elles ont l’apparence de la perfection, ces pièces (Sternbau n° 2, A Perfect Suffering et After Bruno Taut) qui entrent en résonnance avec la grande nef de l’atrium et l’escalier hélicoïdal menant au sous-sol où se poursuit l’exposition. Il s’agit de sortes de grands lustres qui miroitent de toutes leurs chaînettes en acier et aluminium et perles de cristal. Lee Bul fait ici référence à un des maîtres de l’architecture allemande et européenne de la première moitié du XXe siècle : Bruno Taut. Outre que celui-ci a réalisé parmi les meilleures cités sociales qui soient (on se rendra pour les visiter à Berlin), il fut un des leaders des artistes pacifistes au cours de la Première guerre mondiale. Entré en résistance sous le nom de « Verre », il illustra d’architectures futuristes une publication de son ami le poète Paul Scheerbart, La chaîne de verre. Il y faisait l’éloge d’une société transparente comme les sommets enneigés des Alpes. Soit une utopie.
Lee Bul se réfère donc explicitement à un état merveilleux mais en même temps, elle en pousse l’état de beauté à ses limites : c’est un impossible rêve. D’autant plus, quand on cherche à l’admirer, la tête renversée, depuis la plate-forme Dilivium (2012) installée dessous. L’équilibre du corps du visiteur devient précaire.
Strates superposées, sous-couches sédimentées, topographie qui se compose de souvenirs immémoriaux, jusque dans les entrailles de la terre… Le parcours merveilleux se poursuit alors à l’intérieur, littéralement du monde à la fois personnel et universel qu’explore Lee Bul, à l’étage inférieur du Mudam. On franchit une sorte de tunnel (Souterrain, 2012) qui, s’il est enrobant, tel un intestin ou pourquoi pas, un utérus – car qui se souvient de cette vie d’avant ? – multiplie les perceptions spatiales grâce à ses plis et replis miroitants. Au fond de cette salle, on pourra parcourir un labyrinthe (Via Negativa, 2012), sorte de palais des glaces, précise l’artiste, de la conscience humaine.
Pour les plus assidus, une troisième partie de l’exposition, le Studio, reconstitue l’atelier de production de l’artiste : un work in progress en quête de sens entre individualité et universalité, permanence et déséquilibre : le portrait en quelque sorte de la vie moderne.