Elle porte le superbe Kimono gris de son père et est assise à la première rangée de la salle du Opderschmelz ce mercredi soir, à attendre que le public s’installe. La Japonaise Yuko Kominami a 45 ans et elle vient de perdre son père il y a deux ans. Avec son nouveau spectacle, Iwa-Kagami, elle lui rend un hommage sublime et digne.
Quand le silence se fait, elle va sur scène, toute en douceur. Durant une quarantaine de minutes, elle va tenter d’incarner la vie de cet homme si important pour elle par les moyens de son art, la danse butō, auquel elle introduit le public luxembourgeois depuis une décennie. Partant des mimiques du bébé, de l’étonnement du nouveau-né au grand sourire, Yuko donne chair au souvenir. Son père fut un homme plein d’émotions, de joies, de souffrances et d’amour.
Sur une bande sonore conçue par son partenaire dans la vie, Tomás Tello, qui va de la musique classique aux sons électroniques, n’épargnant pas les dissonances si nécessaire, Yuko Kominami fait une démonstration magistrale de l’art du butō, une danse inventée après la Deuxième Guerre mondiale seulement par Tatsumi Hijikata pour répondre avec des formes nouvelles aux remous socio-politiques du Japon après Hiroshima. C’est une danse des petits gestes et des grandes rages, très introspective, imprégnée de la philosophie du bouddhisme.
Voir Yuko Kominami écarquiller les yeux et ouvrir grande la bouche, sauter de colère, danser de joie, son corps comme électrique trembloter ou tomber à l’arrêt comme si on l’avait débranché est d’une rare intensité. Ses mimiques sont éternelles, ses positions semblant sorties de gravures historiques.
« Notre mémoire et nos souvenirs constituent une part importante de notre identité, de notre personne et de notre corps », explique Yuko Kominami dans sa note d’intention du spectacle. Les Japonais ont un terme pour le phénomène du déroulement rapide de toute une vie devant les yeux du mourant : somato. Le somato de son père se termine sur une montagne, au moment de la floraison de l’iwa-kagami, une fleur rose que son père voulait absolument voir avant de mourir. Une fois les fleurs atteintes, il part en paix.
Les fleurs que Yuko a offertes à Danielle Igniti pour la remercier d’avoir pu travailler pendant une décennie au Opderschmelz étaient roses, elles aussi. josée hansen