Depuis qu’il s’est implanté en 2010 dans le paysage messin, le Centre Pompidou-Metz ne cesse pas d’interroger, voire de surprendre. Pour le meilleur comme pour le pire. Après l’euphorie des débuts – des milliers de spectateurs se précipitaient à ses portes pour découvrir le spectaculaire bâtiment et le trésor qu’il recelait –, c’est la gueule de bois. La fête est finie.
Certes, la structure en bois tressé est une belle réussite architecturale signée Shigeru Ban et Jean de Gastines. Mais au premier hiver, le revêtement de la toiture s’est déchiré sous le poids de la neige... Drôle de chapeau chinois. L’exposition inaugurale Chefs-d’œuvre ? élaborée à l’époque sous la direction de Laurent Le Bon (aujourd’hui directeur du Musée Picasso, à Paris) affichait des ambitions à la hauteur d’un satellite de la prestigieuse institution parisienne. Mais celle-ci a duré plus d’un an, quasiment sans aucune proposition alternative qui ne soit digne de ce premier évènement. Résultat : même les spectateurs les plus enthousiastes ont fini par se lasser.
C’est donc avec une certaine appréhension que l’on attendait l’exposition intitulée Jardin infini, de Giverny à l’Amazonie, organisée sous le patronage de la nouvelle directrice de l’institution, Emma Lavigne (également commissaire aux côtés de Hélène Meisel). Ce qui frappe tout d’abord en arrivant au premier niveau de l’exposition, c’est le soin particulier porté à la scénographie – une signature qui permet aujourd’hui d’identifier le Centre Pompidou-Metz au sein du paysage muséographique. Colorée, aérée, ludique, la mise en espace des œuvres incite le spectateur à une libre déambulation. C’est plutôt du côté du contenu – des œuvres – que ça pêche parfois. Après quelques semaines d’exposition seulement, le médaillon représentant les nymphéas de Monet (Nymphéas, 1907) a disparu des cimaises pour retourner au musée d’Art moderne de Saint-Étienne... On n’en verra pas d’autres, des nymphéas, et c’est bien dommage. De Monet (1840-1926), il ne reste qu’une photographie dans son jardin et quelques lettres écrites de sa main. Dès le début, l’exposition perd donc son point d’entrée.
Que reste-t-il alors pour nous consoler de ce faux-départ, pour ricocher après le grand « plouf » de Giverny ? Il y a le portrait sensuel d’un iris blanc (White Iris N°7, 1957) peint à l’huile par Georgia O’Keeffe. Il y a la féérie d’un jardin aquatique tel que l’a rêvé Paul Klee (Aquarium in Garten, 1928), dont le bocal aux poissons rouges évoque la série peinte par Matisse au début des années 1910. Dans les pas de Monet, Pierre Huyghe a reconstitué l’écosystème de l’étang de Giverny (Nymphéas Transplant, 14-18, 2014) ; dans l’eau prélevée à cette source ondulent poissons et amphibiens, aquarium qui rencontre l’émerveillement des enfants. Signalons l’œuvre immersive de Gabriel Orozco, Color travels through flowers (2015), constituée de feuilles trouvées dans une usine de fleurs artificielles, sans oublier la peinture faussement naïve de la brésilienne Tarsila do Amaral (A Cuca, 1924) et les racines de palétuvier servant aux sculptures amazoniennes de Frans Krajberg (Sans titre, 1987).
Au second niveau du parcours, la scénographie débarrassée de ses fioritures fait place à un éclairage propice au recueillement. Dans la première salle, le spectateur est accueilli par les œuvres du génial Frantisek Kupka (1871-1957), et d’une artiste suédoise tombée dans l’oubli, Hilma af Klint (1862-1944). Les deux artistes sont, au même titre que Kandinsky, des pionniers de l’abstraction. Éclosion de formes germinales pour le premier, où la vie terrestre communique avec le céleste (Printemps cosmique I, 1911-1920), puis mysticisme de la symétrie (The Dove, N°2, 1915) et des auréoles de couleurs au sein des aquarelles de la seconde (The Birch, 1922). Sur la gauche, on est happé par la lumière éblouissante que propage la pièce de Claudio Parmiggiani (Luce, luce, luce, 1968/2016), composée uniquement à partir de pigment pur de jaune de cadmium. Ses rayons côtoient la clarté métaphysique dans laquelle baigne le paysage-atelier de Pierre Bonnard (L’Atelier au mimosa, 1939-1946). Ce tableau est cependant bien connu des habitués du Centre Pompidou-Metz puisqu’il était déjà exposé à l’occasion de l’exposition Chefs-d’œuvres ?...
D’autres œuvres surprennent davantage par leurs matérialités et leurs qualités de présence. On retiendra notamment deux « météorites » déposées par Lucio Fontana (Ceramica spaziale, 1949 ; Concetto spaziale, Natura, 1959-1960) et la Jardinière de Thierry De Cordier, cabane habillée de couvertures dans laquelle l’artiste belge se réfugie pour écrire. Soulignons la très belle salle dédiée à Jean Dubuffet et à ses mosaïques minérales et végétales, parfois même composées d’ailes de papillons (Paysage aux argus, 1955). Celles-ci dialoguent avec les objets naturels collectionnés par le galeriste Daniel Cordier. Ce dernier ensemble confirme la Nature comme étant créatrice de formes et de forces. L’itinéraire est en outre ponctué de films choisis. Au programme : les battements d’ailes et de feuilles que fait danser Stan Brakhage (Mothlight, 1963 ; The Garden of Earthly Delights, 1981), les fulgurances pop et lyriques de Derek Jarman (The Garden, 1990), l’odyssée psychédélique de James Whitney (Lapis, 1966), sans oublier Minutes Bodies, réalisé par Stuart Staples, chanteur du groupe Tindersticks, à partir d’archives filmiques ayant appartenu au naturaliste Franck Percy Smith (1880-1945).
En quittant les lieux, la mélancolie nous envahit devant la forêt de bitume qui enceint le bâtiment et empêche le paysage de respirer. Le temps est venu, en effet, de cultiver son jardin. En commençant par chez soi.