d’Lëtzebuerger Land : Après deux réunions, d’abord avec le syndicat de communes Syvicol, puis avec les maires des quatorze communes concernées par les fermetures projetées des commissariats de proximité dans le cadre de la réforme territoriale de la Police grand-ducale, vous avez annoncé lundi avoir réussi à convaincre la majorité d’entre eux du bien-fondé de cette réforme. Comment ? Avec quels arguments ? Et pourquoi ne pas leur avoir parlé avant que les projets ne soient discutés sur la place publique ?
Etienne Schneider : D’abord, je tiens à insister qu’il ne s’agit pas de fermetures de commissariats de proximité, mais de fusions entre deux petits bureaux. Mais j’y reviendrai. Ensuite, je savais que quelle que soit ma manière de procéder, je risquais de voir les projets publiés avant que je n’aie eu le temps de les discuter avec tout le monde. Nous sommes en contact permanent avec les syndicats de police, la direction et les communes pour faire le point sur l’avancement des groupes de travail que nous avons formés pour la réforme de la Police. J’ai fait le choix, par respect des institutions, de présenter la réorganisation territoriale d’abord à la commission parlementaire en charge du dossier, tout en insistant que j’allais en discuter avec les communes en janvier ou février. Or, les projets ont fuité dans la presse, comme cela avait déjà été le cas pour les bureaux de poste, et beaucoup de responsables communaux s’en sont émus, ont pris des résolutions en conseil ou m’ont écrit avant d’être pleinement informés. Lundi, j’ai pu leur exposer pourquoi cette réforme fait sens, ce qui a convaincu beaucoup d’entre eux. Cela a désamorcé le côté explosif du dossier, me semble-t-il, bien que certains maires soient toujours plus polémiques et que d’autres, comme celui de Käerjheng, Michel Wolter (CSV), n’aient pas pu être présents. Nous visons avant tout une optimisation des ressources, plus de présence de la Police sur le terrain et un meilleur service, dans l’intérêt des citoyens. Après, dans le détail, je suis flexible et on peut discuter de l’endroit où sera implanté le futur commissariat fusionné, dans la commune A, dans la commune B ou dans un nouveau bâtiment à la frontière entre les deux, cela reste à voir.
Vous êtes aussi, en tant que ministre de l’Économie, responsable de la Post, où vous avez annoncé une réorganisation territoriale qui ressemble à celle-ci, avec des fermetures de bureaux et une forte restructuration des services, utilisant des arguments similaires d’efficience économique. Or, ne pouvez-vous pas comprendre les maires des petites communes qui craignent une désertification des services publics dans les régions rurales ?
Je peux comprendre le réflexe des édiles communaux de vouloir sauvegarder leurs bureaux de postes, sauf qu’ils ne considèrent pas que certains bureaux ne sont presque plus fréquentés, voire sont abandonnés depuis longtemps par leurs citoyens. Dans ce cas, la Post, en tant que prestataire de services, s’adapte aux comportements de ses clients. D’ailleurs, Marine Le Pen en France prêche un retour à une idée de la vie locale comme dans les années 1960, de vivre dans sa région, d’acheter français, de rouler en voiture française... Or, nous ne sommes plus dans les années 1960, la vie des gens a changé. Si un bureau de poste est ouvert entre une et 3,5 heures par jour, pour faire quelques rares opérations, à qui ça sert ? Personne ne peut prendre congé pour aller à la poste. Or, s’il n’y a plus d’activité dans un tel bureau, son existence ne fait plus de sens. On me dit que les personnes âgées ne se déplacent pas pour aller dans le village voisin ? Et bien, elles n’ont pas besoin de le faire, puisque le facteur leur apportera leur retraite et tout ce qu’il leur faut. Pour les autres, ceux qui travaillent, le fait qu’ils puissent acheter leurs timbres ou leurs colis au supermarché leur permet de le faire à des horaires beaucoup plus flexibles. Il faut savoir que tous les bureaux que la Post souhaite fermer cumulaient un chiffre d’affaires de seulement cinq pour cent...
La situation, dites-vous, serait similaire en ce qui concerne les commissariats de police, dont l’organisation territoriale remonte à la fusion entre la Gendarmerie et la Police en 1999...
Oui, à l’époque, pour faire passer la pilule, et aussi, il faut se le rappeler, afin que personne ne perde son poste dans la hiérarchie, on a simplement additionné les deux corps, ce qui a entraîné ces doublons qui s’avèrent très inefficaces aujourd’hui : on s’est retrouvé avec six régions, sur un si petit territoire, et avec tous ces petits commissariats de proximité de cinq personnes chacun. Or, si vous calculez qu’il y a toujours des policiers en maladie, en congé parental, en congé de récréation ou en formation, vous constatez que parfois il n’y a plus que trois personnes en moyenne par commissariat. Or, que ce soit pour patrouiller sur le terrain ou pour assurer les permanences dans le commissariat, il faut être au moins à deux. Les policiers devaient alors choisir soit de sortir, soit d’ouvrir le commissariat – qu’ils n’ouvraient alors que quatre heures par jour.
En fusionnant ces petites structures et en en additionnant les effectifs, nous pourrons assurer une présence accrue et des horaires d’ouverture plus élargis. Pour les citoyens, le plus important est que les policiers soient rapidement sur place en cas de problème, ce que nous garantissons et assurons après la restructuration. Vous savez, nous avons regardé les chiffres : un petit commissariat comme Vianden a été fréquenté sur une année par 44 personnes, hors celles convoquées par la Police. C’est moins d’une personne par semaine. C’est absurde quand on considère que d’autres commissariats dans le pays sont complètement débordés ! Les gens qui sont convoqués au commissariat parce qu’il y a une plainte contre eux ou parce qu’ils ont provoqué un accident, vont forcément là où on leur dit d’aller, que ce soit au village A ou B. Et les autres, ceux qui ont une déclaration à faire, pourront la faire à l’avenir par Internet, par un portail de commissariat virtuel, ce qui leur facilitera considérablement la vie. Les gens veulent le service et on continuera à le leur assurer.
Qu’adviendra-t-il des Srec (Service de recherche et d'enquête criminelle), une sorte de Police judiciaire décentralisée, qui assurent les enquêtes sur le terrain ? Est-ce qu’ils seront affectés par cette réforme ?
Ils seront gérés de façon centralisée par la PJ, mais nous sommes encore en train de discuter le détail de cette organisation, en particulier en ce qui concerne la Ville de Luxembourg.
Vous allez aussi diminuer le nombre de régions policières, de six actuellement à trois ?
Oui, comme je le disais, ce découpage est un anachronisme qui a ses raisons historiques. Nous allons revenir aux trois régions d’avant 1999, avec toutefois une nouvelle région, une quatrième, la « région capitale », tout simplement parce que c’est là que sont enregistrés 42 pour cent des faits de criminalité.
La Ville de Luxembourg semble effectivement focaliser toute l’attention publique en ce moment, notamment le quartier de la Gare et son trafic de drogue, qui devient de plus en plus agressif depuis que le commissariat central de la Police a quitté la rue Glesener. Que comptez-vous faire pour enrayer cette criminalité ?
Nous venons de décider la création d’une task force spéciale avec la Ville de Luxembourg. Notre stratégie est de chasser les dealers en permanence, ils n’auront plus de répit. En principe, les petits revendeurs n’ont que quelques grammes de drogue sur eux pour les revendre aux consommateurs, et lorsque la Police débarque, il les jettent et continuent leur chemin comme si de rien n’était. Or, si la Police les poursuit sans cesse, cela commence à devenir un problème, parce que ces « quelques grammes » s’additionnent et constituent une vraie perte économique. Alors, s’ils changent de rue ou de quartier, nous allons les retrouver et détruire leur business model.
Il y a quelques jours, je me suis en outre concerté avec le ministre de la Justice, le Parquet et la Police, pour savoir comment lutter contre les bars et cafés qui sont devenus des plaques tournantes du commerce de la drogue. Car si on essaie de fermer un café parce qu’il accueille des dealers, on risque de perdre devant une instance judiciaire, puisque le cafetier va dire qu’il ignorait les activités illicites de ces clients – et comment prouver le contraire ? Nous avons donc décidé d’adopter la stratégie que j’ai dénommée « Al Capone ». Le célèbre gangster n’a jamais pu être arrêté pour ses crimes et ses meurtres, mais il l’a finalement été pour délit d’impôts. Donc : une fois que nous aurons des doutes sur les affaires d’un tel local, nous allons attaquer sur tous les fronts : les impôts, l’hygiène, l'honorabilité des gérants ou des propriétaires qui détiennent l’autorisation d’établissement, tout. Pour cela, c’est utile de cumuler les portefeuilles de la Police et de l’Économie.
Et la présence physique dans le quartier ? C’est quand même bizarre que le quartier le plus chaud du pays n’abrite plus vraiment de commissariat de proximité, à l’exception du petit poste à la Gare elle-même.
Nous allons installer un commissariat de proximité dans l’ancien commissariat central. Mais pour cela, il faudra faire des travaux, et la société à laquelle le chantier avait été attribué a fait faillite. Donc, il faut refaire un appel d’offres et cela risque de durer quelques mois encore. Mais la Ville de Luxembourg et d’autres hot spots, notamment Esch-Alzette, Differdange ou Ettelbruck, sont nos priorités.
Lorsque vous avez présenté l’audit sur la Police, vous avez annoncé l’augmentation des effectifs de quelque 200 policiers. Comment cela peut-il fonctionner, si vous avez déjà tellement de mal à former assez de nouvelles recrues pour remplacer ceux qui partent à la retraite ?
C’est un vrai problème. Ces dernières années déjà, nous avons recruté quarante à 45 policiers supplémentaires par an. Mais les missions de la Police ont tellement augmenté et les départs à la retraite étaient si nombreux que cela ne suffisait jamais. Cette année, nous avons pris tous ceux des 320 candidats qui ont réussi l’examen, soit 106 personnes. Après l’instruction de base, il n’en restait plus que 79. Sur ce contingent, il y a toujours des abandons pendant les deux ans de formation, pour raisons de santé, pour raisons psychologiques – tout le monde n’est pas prêt à voir des cadavres pour son boulot –, ou parce qu’ils n’ont pas la moralité dans leur comportement quotidien que nous sommes en droit d’attendre d’eux. Mais j’espère qu’à l’arrivée, nous en aurons entre 65 et 70 par an.
En outre, nous allons remplacer certains postes par des civils, soit parce qu’ils sont hautement spécialisés, soit parce qu’ils font un métier qui ne demande vraiment pas d’être policier assermenté, comme par exemple les postes de réceptionniste, de comptable ou autre. Et nous allons créer une « police administrative », qui permettra aux autorités locales de faire exécuter leurs règlements, par exemple contre les incivilités de voisinage, avec ces Pëcherten dont le pouvoir réel est actuellement très limité. Toutes ces mesures, y compris la réorganisation territoriale, devraient nous aider à résoudre le problème des effectifs.
Qu’en est-il de la « menace terroriste » ? Un élément qui joue certainement dans cette ambiance de peur qui domine le débat sur la réforme de la Police...
Nous sommes au régime de vigilance accrue, mais nous n’avons pas connaissance d’une menace concrète sur le Luxembourg. Mais cela n’a rien à voir avec la réforme territoriale. Si nous passions au niveau Vigilnat 3, ce serait la coordination nationale et le HCPN (Haut commissariat à la protection nationale) qui décideraient conjointement quels objets méritent une protection accrue, par exemple le mur de barrage du Stauséi ou d’autres infrastructures critiques, et pas les petits commissariats de proximité.
Les syndicats, eux, sont surtout intéressés à savoir quelles seront les implications de carrière et de salaire de cette réforme, beaucoup d’entre eux attendent un reclassement vers le haut. Où en êtes-vous ?
Déjà maintenant, la carrière d’un jeune inspecteur de Police est plutôt intéressante : il débute avec un salaire qu’il ne toucherait dans aucune entreprise privée et aura de belles perspectives de carrière. Mais nous sommes conscients que les attentes et les métiers ont changé, que déjà aujourd’hui, beaucoup de personnes rejoignent la Police avec un bac en poche. Nous allons donc introduire la carrière du rédacteur et celle du bachelor, qui s’immiscent entre celles de brigadier ou d’inspecteur et celle de l’officier. Afin de valoriser l’expérience des inspecteurs en place, nous allons également prévoir la possibilité d’une carrière ouverte.
Cela risque de coûter cher. Est-ce que vous vous êtes donné une enveloppe budgétaire pour cette réforme ?
Oui, ce sera une réforme coûteuse, à cause des restructurations, en raison des nouvelles carrières, à cause du renforcement massif du personnel, mais aussi parce que nous allons changer l’équipement en armes des policiers. Mais ce gouvernement est volontariste sur ce dossier et prêt à s’en donner les moyens. La sécurité et le calme ont toujours été un des atouts du Luxembourg, nous devons les défendre.
Et avez-vous un calendrier ?
Je voudrais déposer le projet de loi avant l’été et j’aimerais qu’il puisse passer les instances et être adopté d’ici la fin de l’année. Mais cela ne dépend pas que de moi.