En mai 2021, le guitariste luxembourgeois Gilles Grethen a fait paraître le premier album de son quartet Time Suite. On se souvient d’un projet prometteur composé de ballades atmosphériques qui laissaient la part belle à l’improvisation. Le feedback de la presse spécialisée a été positif et le public, de l’aveu du guitariste, a été réceptif au projet malgré le peu d’opportunités de jouer le programme du disque en live, compte tenu de la situation sanitaire de l’époque. Aujourd’hui, le Gilles Grethen quartet revient gonflé à bloc avec State of Mind (Double Moon Records / Challenge Records International), un dix titres sur lesquels Vincent Pinn à la trompette et au bugle, Gabriele Basilico à la contrebasse, Michel Meis à la batterie et Gilles Grethen à la guitare font équipe avec un orchestre de onze musiciennes et musiciens à cordes. Le tout, sous la houlette du chef d’orchestre Benjamin Schäfer. Tandis que Time Suite développait la thématique du cosmos, une certaine idée de l’immensité donc, State of Mind s’intéresse à l’esprit, un sujet tout aussi vaste.
La pochette du disque, plutôt élégante, a été créée par l’illustrateur et graphiste Mik Mulhen alias Omniscient being. On y découvre une forme humaine de profil qui se décompose, tant son univers mental semble foisonnant. Enregistré en avril dernier aux Daft studios à Malmédy en Belgique, State of Mind a pour origine l’envie de composer pour un ensemble de cordes. Gilles Grethen explique avoir étudié assidûment des partitions de Johannes Brahms, Gustav Malher ou encore Alfred Schnittke pour appréhender l’exercice. Retour sur les dix compositions d’un disque résolument ambitieux.
L’introduction Change s’ouvre sur une série de quatre accords qui se répètent. Les instruments se greffent petit à petit, les cordes amènent une ampleur et le cuivre, une certaine solennité. Une ligne discrète de basse dialogue avec des percussions au cordeau. La guitare fait son apparition et on retient notre souffle, un peu comme si une scène s’éteignait et qu’un fin rayon de lumière venait éclairer Gilles Grethen en son centre. On reconnaît au gré du jeu son style chaleureux mais pas clinquant pour un sou. Le morceau suivant Transcendence est un pur titre d’acid jazz (il en présente du moins tous les attributs) où l’alliance entre la trompette et l’orchestre est à son meilleur. Ces cordes apportent une tension particulière sur la courte pièce Intro to State of Mind. Un interlude en forme de bouilloire prête à imploser.
Le morceau éponyme State of Mind, moment d’équilibrisme, offre une expérience d’écoute déroutante tant les musiciens, aussi bien que les auditeurs, ont du mal à se positionner. Entre stridence et chaleur manifeste, le titre transpire le doute et oscille entre moments de bravoures et moments de flottements. On pense à des bandes originales sur Delirium et son côté film noir plein de suspens. L’aspect cinématographique du projet, franchement perceptible, n’était pourtant pas recherché pas Gilles Grethen.
Ce dernier explique que sa méthode d’écriture consiste à se créer un monde intérieur et à composer sur des images mentales. En somme, il compose la bande originale de films imaginaires que constituent sa vie et toutes les émotions qui en découlent. Une approche métaphysique de la musique clairement assumée par le compositeur qui retranscrit ses états d’esprit et notamment sur Delirium et Until the Moon Went Down qui reflètent ces « moments de confusion, quand on se sent perdu et très petit dans l’univers ». En somme, le projet a pour ambition d’exposer l’intériorité de tout un chacun. S’ensuivent Intro to Forgetful, Forgetful et Outside, variations sur la mémoire et la nostalgie, constants mais qui font figure de ventre mou de l’album. Arrive l’outro Contemplation où le plaisir de jouer est manifeste. State of Mind, loin d’être une sortie de route constitue une nouvelle étape pour les quatre jazzmen. Un album qu’on a hâte de découvrir sur scène, tant son ampleur semble s’y prêter.