Finalement il n’y aura pas eu de surprise. Le scénario qui s’était dessiné début décembre 2016 après le renoncement de François Hollande, et qui s’est confirmé fin janvier 2017 après la défaite de Manuel Valls aux primaires de la gauche et le « Penelopegate » à droite, a bien eu lieu et, pour la première fois depuis longtemps, les instituts de sondage ne se seront pas trompés. Le programme d’Emmanuel Macron, le nouveau président français, est copieux et, s’il parvient à le mettre en œuvre, il s’agira à bien des égards d’une « révolution » conforme à la promesse-titre du livre qu’il a publié le 24 novembre 2016, peu après l’annonce de sa candidature. En matière économique, le nouveau élu bénéficie d’un préjugé favorable : dans un sondage Odoxa paru mi-avril, 35 pour cent des répondants estimaient qu’il était le plus capable de redresser l’économie contre vingt pour cent pour M. Fillon et Mme Le Pen, seize pour cent pour M. Mélenchon et à peine sept pour cent pour M. Hamon.
Le nouveau président souhaite doper l’investissement des entreprises et la consommation des ménages par des mesures fiscales très novatrices. La plus commentée, supposée conduire les Français à marquer une « préférence pour le risque face à la rente », concerne l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) : il ne sera pas supprimé, et ni le seuil d’imposition (1,3 million d’euros) ni le barème des taux ne seront modifiés, mais il sera désormais assis sur le seul patrimoine immobilier, en conservant l’abattement actuel de trente pour cent sur la résidence principale. En conséquence, les actifs financiers, qui pèsent plus de la moitié du patrimoine des plus fortunés (contre 35 pour cent en moyenne) seront exonérés, faisant sortir du dispositif un grand nombre des quelque 343 000 redevables.
Emmanuel Macron propose par ailleurs, à l’image de ce qui a été fait en Suède, une taxe forfaitaire (« flat tax ») de trente pour cent sur les revenus du capital, qu’ils soient issus de la propriété foncière (loyers) ou de la détention de valeurs mobilières (dividendes et intérêts). Un changement radical dans un pays où même les gouvernements de droite n’ont cessé d’alourdir la fiscalité du capital au point de la rendre confiscatoire. Une autre mesure fiscale a défrayé la chronique : l’exonération de la taxe d’habitation pour 80 pour cent des contribuables. Cet impôt, payable par tous les occupants d’un logement (propriétaires et locataires), est un des plus décriés à cause de son impact sur les personnes à faibles ressources.
Mauvaises nouvelles en revanche : il n’est pas prévu de revoir l’impôt sur le revenu, pourtant très critiqué (la moitié des ménages ne le paient pas) et la suppression promise des cotisations de maladie et de chômage sur les salaires serait compensée par une augmentation et un élargissement de l’assiette de la CSG (contribution sociale généralisée) : malgré son nom, il s’agit bel et bien d’un impôt (non progressif) sur le revenu. Finalement la facture fiscale des ménages serait tout de même allégée de seize milliards d’euros. Une réduction de prélèvements d’un niveau équivalent serait accordée aux entreprises, avec une taxation de leurs bénéfices à 25 pour cent (taux européen moyen) contre 33 pour cent actuellement et une baisse des cotisations patronales sur les bas salaires, pour concrétiser l’orientation « business friendly » du nouveau président.
Les promesses fiscales, qui occasionneront à court terme un important manque-à-gagner pour les finances publiques, ont été plutôt favorablement accueillies, d’autant que M. Macron s’est engagé à en finir avec l’instabilité fiscale qui est la « marque de fabrique » de la France, en gelant ses mesures pendant cinq ans. Mais les associations de propriétaires, ont dénoncé une « stigmatisation » de leurs membres et une « discrimination contre la détention immobilière ». De leur côté les collectivités locales, qui perçoivent le produit de la taxe d’habitation (21,7 milliards) se demandent comment sera compensée l’exonération, évaluée à dix milliards. Sans surprise, les syndicats de salariés voient l’allègement de l’ISF et la « flat tax » sur les revenus du capital comme des « cadeaux faits aux riches » mais le patronat n’est pas pour autant satisfait, déplorant une réforme « idéologique » de l’ISF et un allègement insuffisant des charges sur les entreprises.
Ces réactions sur le volet fiscal du programme laissaient augurer de celles sur son volet social, Emmanuel Macron étant un adepte déclaré de la « flexi-sécurité » : il entend procurer davantage de souplesse aux entrepreneurs sans pour autant accroître la précarité pesant sur les salariés. Dans ce domaine très sensible il marche sur des œufs, et se garde donc bien de toucher à deux « tabous sociaux » : les 35 heures et le salaire minimum. En revanche il souhaite simplifier le droit du travail et le « transférer vers la base » en favorisant les négociations sur les conditions et l’organisation du travail ainsi que sur les salaires au niveau des entreprises plutôt qu’à celui des branches professionnelles comme c’est le cas aujourd’hui, le tout restant encadré par un dispositif réglementaire national.
Dans deux domaines sociaux importants, M. Macron entend uniformiser les situations actuelles particulièrement disparates, et promet de mettre en place des « systèmes universels ». Il s’agit de l’assurance-chômage et de la retraite. Universalité des indemnités de chômage, qui pourront désormais être versées aux travailleurs indépendants (artisans, commerçants, agriculteurs, professions libérales) et même à des salariés démissionnaires (dans la limite d’une fois tous les cinq ans) pour faciliter la mobilité de la main-d’œuvre. Cette réforme s’accompagnera d’un important effort de formation (quinze milliards d’euros) en faveur des demandeurs d’emploi et des salariés les moins qualifiés. En contrepartie de l’octroi de nouveaux droits et avantages, les chômeurs seront beaucoup plus strictement contrôlés (le nombre de vérificateurs passera de 200 à mille) et ne pourront refuser plus de deux offres correspondant à leurs compétences dans une zone donnée.
Universalité également du côté des retraites où coexistent actuellement 35 régimes différents : un système à points serait mis en place pour que « chaque euro cotisé donne le même droit à pension pour tous ». La réforme serait de longue haleine, car, en chamboulant totalement le dispositif actuel elle mettrait dix ans à entrer en vigueur, c’est pourquoi le président Macron aimerait l’entreprendre le plus tôt possible. Pour compenser les inconvénients du nouveau système (notamment l’incertitude sur le montant de la pension) il a promis de ne rien changer en matière d’âge de départ à la retraite ni de durée de cotisation.
Malgré ces précautions, plusieurs mesures sociales envisagées font figure de « chiffon rouge » pour les syndicats de salariés et les partis de gauche, d’autant plus que la réduction prévue des dépenses publiques de soixante milliards d’euros en cinq ans, passe par la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires ! Dès le soir du 7 mai, Jean-Luc Mélenchon a accusé le nouvel élu de vouloir « mener la guerre aux acquis sociaux ». Les opposants dénoncent aussi bien le contenu des réformes que la méthode employée. En effet M. Macron a annoncé qu’il transformerait le code du travail par ordonnances. Cette procédure, assez peu utilisée, permet au gouvernement d’obtenir une sorte de « délégation générale » du Parlement pour légiférer dans un domaine précis pendant un délai limité, ce qui évite un débat politique qui pourrait être long et difficile.
En plus de faire face au mécontentement de leurs adhérents, les syndicats de salariés, mais aussi les organisations patronales ont gros à perdre à certaines réformes sociales envisagées par le nouveau président. De nombreuses prérogatives leur seraient ôtées, avec un impact très négatif sur leur influence et surtout sur leurs finances.
Ainsi, la direction de l’Unedic, organisme de gestion de l’assurance-chômage (qui traîne une dette de trente milliards), actuellement exercée par les représentants de huit syndicats (cinq de salariés et trois d’employeurs) serait prise en charge directement par l’État. De même en matière de formation professionnelle, les OPCA (Organismes paritaires collecteurs agréés) ne collecteraient plus les cotisations des entreprises et ne seraient plus les interlocuteurs privilégiés des salariés recherchant une formation, ces derniers pouvant s’adresser directement à des prestataires labellisés par l’État, comme en Allemagne. La remise en cause du paritarisme, en vigueur depuis 1945, serait une vraie révolution, très difficile néanmoins à faire avaler.
Pour toutes ces raisons, l’automne 2017 pourrait bien, de l’avis général, être encore plus chaud que le printemps 2016, un moment où la France était paralysée par les grèves et connaissait une pénurie d’essence pour cause de blocage des raffineries, la CGT réclamant alors l’abrogation de la « loi travail », un texte notamment défendu par le ministre de l’économie de l’époque, un certain Emmanuel Macron.
Cela dit, il n’est pas certain que le programme du candidat puisse être appliqué par le président. Bien que, le 7 mai, il ait rassemblé sur son nom quelque vingt millions de suffrages au nom de la mobilisation anti-Front National, sa base électorale est des plus réduites. Elle correspond aux 8,7 millions de votes en sa faveur au premier tour, soit 24 pour cent des suffrages exprimés et 18,2 pour cent des inscrits, à peine moins d’un sur cinq. À l’issue de scrutins victorieux, toutes élections confondues, les heureux élus se croient souvent tenus de donner des gages à ceux qui leur ont permis de franchir la barre, en « adoucissant » leur programme, c’est-à-dire en négociant des compromis. Mais avec qui le faire, vu le caractère hétéroclite des ralliements qui ont permis au vainqueur de multiplier par 2,3 son nombre de voix entre le premier et le second tour ?
De surcroît, en France depuis 2002 les élections législatives suivent immédiatement la présidentielle. Si le mouvement « En Marche ! » créé par Emmanuel Macron le 6 avril 2016 obtient la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale au soir du 18 juin, le Président aura les coudées franches pour mener à bien son programme électoral. Mais il pourrait aussi, en cas de majorité relative, être amené à constituer un gouvernement de coalition, comme en Allemagne (ce qui ne s’est pas produit en France depuis 1958) voire être contraint à une cohabitation avec une majorité hostile, comme ce fut le cas, la dernière fois, entre 1997 et 2002. Dans ces deux hypothèses le nouveau président ne pourrait naturellement pas mettre en application ses promesses, même si certaines d’entre elles pourront sans doute trouver grâce aux yeux du gouvernement qui sortira des urnes en juin.
Les Français n’en seront sans doute pas trop déçus : selon un sondage paru en début d’année, la moitié des personnes interrogées, instruites par l’histoire et par l’expérience, se disaient certaines que le président élu, quel qu’il soit, n’appliquerait pas son programme !