Les logiciels et dispositifs de surveillance de l’assiduité sont-ils sur le point de bouleverser les relations de travail ? Lorsqu’ on examine les fonctionnalités offertes par quelques-uns des produits proposés sur le marché, on est en droit de se le demander et de s’inquiéter. Certains comme Kronos font appel aux dispositifs classiques de pointage, mais permettent en plus à l employeur de faire pointer ses employés depuis un navigateur, sur desktop ou mobile, ou depuis un téléphone. Cette diversification des lieux de pointage peut apporter un plus en introduisant de la flexibilité, en autorisant par exemple l’employé à combiner facilement et sans contestation possible du temps de travail passé au bureau avec des heures de télétravail.
Une autre, Worksnaps, spécialisée dans la gestion d’équipes travaillant en ligne à distance, prend à intervalles réguliers des captures de l’écran de l’ordinateur sur lequel ils effectuent leurs tâches, comptant les touches utilisées sur le clavier ainsi que les clics de souris, et faisant rapport en temps réel. Certes, les employés sont au courant de cette surveillance, et ce n’est pas tant son principe qui fait froid dans le dos que sa perfection technique presqu absolue. Avec un tel dispositif, l’employeur peut espérer mettre fin au « cyber loafing » ou au « cyber slacking », qui consistent à repousser ses tâches à plus tard en surfant distraitement sur le Net, et augmenter la productivité de ses équipes. Certains vont jusqu’à affirmer qu’en s’assurant que leurs employés sont bel et bien attelés à leurs tâches, les entreprises pourront en embaucher davantage. On peut aussi espérer qu’un tel outil ouvre, dans certains cas, la voie à davantage de télétravail du fait que la surveillance de l’employé peut ainsi être décentralisée et lui éviter de coûteuses et improductives navettes.
Mais est-ce un progrès que de pouvoir ainsi reconstituer, à la seconde près, ce que chaque employé fait sur son poste de travail ? La satisfaction de pouvoir débusquer les tire-au-flanc occupés à se répandre sur les réseaux sociaux au lieu de travailler vaut-elle le risque de voir l’ensemble du personnel s’approcher de son poste de travail en pensant déjà à la façon de tromper le dispositif de surveillance ? De telles configurations tendent à n’accorder aucune valeur intrinsèque à la relation de confiance entre employeurs et employés . Ne vaut-il pas mieux que les premiers mesurent les résultats concrets du travail des seconds plutôt que de scruter chaque moment « dû » pour s’assurer qu il est investi pour créer de la valeur ?
Une autre plateforme, Upwork, qui place des professionnels freelance en télétravail par le biais de son site, propose aux employeurs de mesurer l’assiduité de ces employés distants en comptant les clics de souris et touches du clavier actionnées, ainsi qu’en prenant des captures d’écran au hasard. Toutefois, avant d’envoyer une telle capture à l’employeur, elle la soumet à l’employé, qui peut alors choisir de l’escamoter – au prix d’ un sixième de son salaire horaire par écran. Ce type d’environnement de travail semble appelé à se généraliser : Upwork, basé à Mountain View en Californie, compte neuf millions de professionnels enregistrés à l’affût des tâches proposées par quatre millions d’entreprises, pour lesquelles ils seront très vraisemblablement surveillés au clic près.
Les employeurs ont souvent tendance à valoriser de tels moyens de contrôle, mais ils ne devraient pas sous-estimer la capacité des employés à utiliser ces mêmes technologies pour échapper à la surveillance si celle-ci est perçue comme abusive ou intrusive. Parmi les témoignages de clients de Worksnaps reproduits sur son site, l’un raconte avoir découvert que l’un de ses employés utilisait un programme de jeu générant des clics pour donner l’illusion qu’il travaillait. Il se félicite que les programmeurs de Worksnaps aient alors « conçu un outil qui surveille et intercepte l’utilisation de programmes de triche, m’aidant une fois de plus à économiser de l’argent ».