Ces dernières années, Pauline Collet a pris d’assaut les scènes théâtrales luxembourgeoises. Depuis son adoubement par les Théâtres de la Ville de Luxembourg, qui lui offrent en 2021, un accueil en résidence de fin de création dans le cadre des « Capucins libre », pour sa création Mentez-Moi, la jeune artiste s’installe au pays avec zèle. Régulière du Théâtre Ouvert de Luxembourg, qui, depuis deux saisons, lui commande le montage d’un texte et interprète dans Leurs enfants après eux pour Carole Lorang et Bach-Lan Lê-Bà Thi, sa présence au cœur du spectacle vivant Grand-Ducal n’est pas un hasard. La jeune artiste a un long passé à plusieurs niveaux de la création. Ce qui ne manque pas de faire enrager la famille théâtrale française – d’où elle vient –, elle qui aime à ranger ses créatifs dans des cases. Collet n’a nullement l’envie de se contenter de ses acquis, elle qui écrit, pour le théâtre ou le cinéma, joue, pour l’un et l’autre également, créé, imagine et rêve, pour dorénavant chanter ses textes… Comme elle l’explique, « ça part dans toutes les directions, mais c’est très lisible dans ma tête ». Pauline Collet ne se fait pas de cadeau, elle tente et retente, au risque de flancher, mais toujours, elle va au bout des choses, et puis qu’importe, elle fait, et vit de passion.
Pauline Collet se passionne depuis longtemps pour toutes les facettes de la fabrication du spectacle vivant, de l’écriture au jeu jusqu’à la pratique de la danse contemporaine. Pour elle tout a commencé au collège, « j’aimais raconter des histoires, organiser des spectacles. Je me suis donc dirigée vers un bac théâtre en imaginant que ce serait rasoir, pour les intellos. Et puis, je suis tombée amoureuse de la discipline ». Elle s’inscrit en section Littéraire, option théâtre, au Lycée de la Miséricorde à Metz, durant les années fastes de l’établissement, avec des intervenants tels que Sarah Suco – réalisatrice de Les Éblouis –, ou Guillaume Vincent – metteur en scène qui travaille pour le Théâtre des Bouffes du Nord. « Je crois que c’était les intervenants les plus quali’ de toute ma formation, alors qu’on était sept élèves dans la section », s’amuse-t-elle.
Elle s’inscrit ensuite en Arts du Spectacle à Metz sans trop se soucier des cours, mais plutôt dans l’idée de développer un solide réseau et de participer à la création de nombreux collectifs. « J’ai pu faire des mises en scène, écrire, jouer… C’était une période d’expérimentation intense. On avait les clés du théâtre – l’espace BMK, sur l’île du Saulcy –, on faisait ce qu’on voulait ». Après cela, elle ressent le besoin d’une formation plus concrète autour de la dramaturgie et la mise en scène, et part pour Poitiers pour étudier les écritures contemporaines et la mise en scène, dans un Master professionnalisant. « On avait six mois de stage à réaliser avec une structure professionnelle, des enseignements d’intervenants prestigieux, le tout chapeauté par dramaturges Thibault Fayner et Leïla Adham ».
Elle s’ouvre ainsi à de nombreux espaces de réflexion et notamment à celui de la dramaturgie. En témoigne un stage aux côtés de Joël Pommerat et la Compagnie Louis Brouillard, autour du spectacle Ça ira (1) Fin de Louis, monté au théâtre des Amandiers-Nanterre durant deux saisons, alors qu’elle a tout juste 25 ans. « Je me suis retrouvée au sein d’une grande machine, sur un projet assez démentiel, tenu par une équipe d’une cinquantaine de personnes, pendant des mois ». Une expérience unique pour la jeune théâtreuse qui côtoie l’immense Joël Pommerat et se goinfre de sa façon de faire. « On lui faisait des notes de dramaturgie, qu’il utilisait dans ses écritures nocturnes. C’était passionnant de le voir manger la nourriture textuelle qu’on lui donnait ».
Elle se rassure de voir le maître, lui aussi, recommencer. « Tout ce qu’il fait n’est pas du génie absolu, c’était assez déculpabilisant de se dire qu’il faut travailler, quoi qu’il en soit ». Néanmoins, elle conserve une grande admiration pour « ceux qui écrivent », plus que pour les metteurs en scène, et cette fascination l’invite à elle-même s’emparer d’une plume. « L’écriture est le processus le plus mystérieux et intime pour moi », note-t-elle in fine.
Son Master en poche, elle fait bouillonner la Compagnie 22, qu’elle avait créé en collectif quelques années auparavant. Elle monte différents projets, avec une idée très précise de ceux avec qui elle veut travailler, et elle choisit de revenir à Metz. « J’avais un réseau ici, des personnes très proches de moi. Paris ne me faisait pas rêver. Je voulais travailler. Et pendant trois ou quatre ans, je n’ai pas joué, j’ai monté des pièces, j’ai assisté Nadège Coste et Jean de Pange. J’ai avancé comme ça », raconte Pauline Collet. Pour parfaire sa méthodologie de metteuse en scène, « pour expérimenter, sans passer par le plateau », elle s’attarde à créer un triptyque de formes courtes, sous un dôme spécialement conçu pour l’occasion, pouvant accueillir quinze personnes. « On a fait soixante dates en France, pendant un an et demi ». Projet hybride par excellence, en 2019, elle monte À nos amours, une pièce pour laquelle elle se permet cette fois d’écrire, au moins la moitié de ce qui y est joué, sans forcément revendiquer cette position. « Je n’assumais pas trop à ce moment-là d’être autrice ».
La Compagnie 22 qui comprenait à l’origine une quinzaine de personnes, tout corps de métier confondu, se resserre sur l’essentiel pour finalement devenir un trio qu’elle complète aux côtés des interprètes Justin Pleutin et Stéphane Robles. « Les aventures de groupe c’est marrant au début et après quand ça dure, que tu es payé au lance pierre, les gens vont dans d’autres directions. Ce trio d’aujourd’hui constitue la Compagnie 22 et en a finalement toujours été la structure », précise Pauline Collet.
En parallèle, en tant que comédienne, c’est véritablement la Cie des 4 coins, dirigée par Nadège Coste, qui lui offre ses premiers pas professionnels sur les planches. S’en suit de nombreux rôles jusqu’aux plus récents dans Ma langue dans ta poche mis en scène par Nadège Coste – associée au théâtre du Point d’eau –, dans Leurs enfants après eux, mis en scène par Carole Lorang et Bach-Lan Lê-Bà Thi, ou encore dans le spectacle de rue PULSE de la Cie Deracinemoa. « Pendant trois années, après ma formation académique, je voulais me concentrer sur l’écriture et la mise en scène. Et puis à un moment j’en ai eu marre de porter toutes les responsabilités, et j’ai eu envie de retrouver du plaisir ailleurs. »
Elle crée Mentez-Moi en décembre 2020. Ce projet signe la concrétisation dans son envie profonde d’écrire pour le théâtre. C’est la première fois qu’elle s’assume entièrement autrice, et ce, sous un symbole fort, celui du conte de Pinocchio, que son modèle Joël Pommerat s’était également approprié par le passé. « Ce qui m’intéressait c’était la question de la lucidité face au monde dans lequel on vit. Comment on se positionne dans un monde où l’on se ment à soi-même », argumente la dramaturge. Pinocchio raconte, à peu près, cette histoire-là : un gamin qui se bat entre ce qu’il croit être vrai, et ce qui l’est. « C’est un conte très cruel, c’est ce qui m’animait. Dans mon texte, ce sont les adultes qui mentent, et le personnage principal qui dit la vérité. Il n’y a rien de pire que d’être lucide face au monde, ça peut rendre malheureux, je comprends qu’on se noie dans la vérité et que l’ignorance peut être agréable ». Ces thématiques ont permis de conclure quelque chose chez Pauline Collet. Enfin, elle raconte par son écriture, et choisit le personnage de l’enfant pour écrire, celui-ci guidé par une parole souvent très vraie.
Toujours proche de cette thématique de l’enfance, et autour du personnage de l’enfant, celui qui joue avec des grenades, nait La fin du monde n’aura pas lieu, fable muette, corporelle, en musiques et sons, donnée hors les murs par la Cie 22. « Ce projet a pris plein de directions différentes. On voulait faire quelque chose ensemble et ce bébé Covid est né, dans une ambiance particulière, morose, survivaliste, et surtout dans ce désir de refaire du théâtre coûte que coûte ». Le trio veut mettre plus de corps dans ses créations, et l’équilibre est trouvé dans cette nouvelle création où les mots sont absents. « J’aime la physicalité au plateau. Au fil du temps, ce projet a pris une tournure de plus en plus radicale, et est devenu silencieux, sonore, sans texte, sans tirade, sans répliques à scander ».
Depuis ses débuts, la Cie 22 se pose partout, sous des tipis, dans des églises, dans la rue, sur des scènes conventionnées. Jamais, elle ne se limite, comme Pauline Collet elle-même. Elle embrasse les opportunités comme elles viennent, liées à la caméra, la scène, l’écriture (elle intègre le Gueuloir, Collectif d’auteurs et autrices transfrontalier), à la conception d’une série télévisée, après une tournée en EHPAD. Dans cette quête constante de nouveaux panoramas, au moment où nous l’interrogeons, nous la trouvons en résidence au Château de Pange, en répétition pour la création du groupe Cachou qu’elle forme avec Théo Berger et Justin Pleutin. Un nouvel épanouissement, cette fois en tant que chanteuse dans un groupe « drama pop aux sonorités électro ».
« On a baptisé notre trio Cachou en cherchant un trait d’union entre quelque chose de très amer et très sucré. C’est un peu fou. J’avais envie d’explorer la musique ayant été bercée par mon père et sa guitare depuis l’enfance », et c’est chose faite. Cachou se construit depuis deux ans, en parallèle à leurs activités au dehors – tous travaillent de près ou de loin à la scène. Dans cette formation, chacun se complète, Berger à la composition, Pleutin au beatmaking, et Collet au chant et bientôt ils et elle, feront entendre tout cela dans un premier EP. « Notre premier projet musical avec Cachou s’appellera sûrement Décennie et offrira un regard de trentenaires sur la vie. Il y a toujours, évidemment, ce rapport à la théâtralité, et l’envie de raconter des histoires. Chaque chanson est une histoire qui questionne notre rapport au monde, à notre solitude, au fait de se connecter aux autres, au temps qui passe », pitche la chanteuse.
Avec Cachou, Pauline Collet trouve une nouvelle variation dans son parcours et une nouvelle facette scénique à exploiter. « C’est une mise à nu totale. C’est comme ça que je le ressens. Quand tu chantes sur scène, malgré le rapport à la scène et au public, tu n’es pas un personnage, tu ne dis pas les mots d’un autre… C’est une sensation complètement nouvelle pour moi ». Dans son parcours, l’artiste plurielle a toujours eu envie de se mettre en difficulté, de faire des choses nouvelles, et la suite n’en sera pas moins garnie avec les tournées des nombreux spectacles dans lesquels elle occupe un rôle, une commande de mise en scène pour le Collectif Bombyx, une autre pour le TOL… L’agenda de Pauline Collet est full, et tant mieux, elle a finalement fait les bons choix, et a cravaché dur pour en arriver là. « À l’heure de cette interview, je me rends compte que durant mes études on m’a toujours dit d’arrêter de faire la pieuvre, de choisir quelque chose, et surtout de ne jamais travailler avec mes amis… En fait, j’ai fait tout l’inverse de ce qu’on m’a conseillé, et ça m’a réussi. Pour moi, être artiste c’est se mettre en danger, essayer des choses nouvelles, pour que chaque chose rebondisse les unes sur les autres », conclut-elle gaiement.