Pendant trois mois il fut l’ennemi public numéro un, le cauchemar des honnêtes gens, l’affreux, l’horrible Dennemeyer. Il disparut aussi brusquement qu’il apparut. Sa légende noire lui survécut et marqua les esprits. Qui fut Camille Dennemeyer ? Un énergumène, un escroc ou un fasciste de la pire espèce ?
Le nom apparut pour la première fois dans un rapport de gendarmerie du 15 juin 1940.1 Dennemeyer s’était fait remarquer par une bagarre dans un café de Walferdange. Il avait agressé un soldat de la Compagnie des Volontaires : « Die Grossherzogin ist eine Hure, jetzt kann sie der Hurerei in Frankreich gut nachgehen, deswegen ist sie ja nur hier abgereist. Die Regierungsmitglieder, die Spitzbuben, haben ein Jahresgehalt in die Taschen gesteckt (…) und die armen Arbeiter können darben. » Le soldat et son chauffeur demandèrent à Dennemeyer de se calmer, sans succès : « Die luxemburgischen Soldaten bekommen in der ersten Zeit den Waffenrock ausgezogen, der Faschismus muss jetzt im Lande aufhören, er hat lange genug gedauert. » Quand ses contradicteurs essayèrent de se dégager, Dennemeyer prit le soldat à la gorge et le secoua fortement. L‘incident se termina au poste de police. Le soldat confirma les insultes proférées, mais ne déclara aucun dommage matériel, à l’exception de quelques boutons d’uniforme détachés. Dennemeyer nia avoir insulté la Grande-Duchesse et informa le gendarme qu’il avait envoyé un rapport de l’incident à un service allemand.
Ce qui frappe dans cet épisode, c’est la violence des paroles et le goût de Dennemeyer pour la provocation. Il insulte la Grande-Duchesse, sachant que cela fait mal au soldat. Ensuite il se rétracte, non sans avoir averti les autorités allemandes qui n’ont pas dû apprécier le reproche de fascisme adressé au gouvernement luxembourgeois, le recours à l’action directe et la menace de « déshabiller » les soldats. Quant au policier il mit dix jours pour finaliser son rapport, ce qui indique des hésitations et des tractations du côté luxembourgeois.
En juin 1940, le pays se trouvait dans une période de transition, de double pouvoir, de crise de légitimité, où tout était possible et où rien n’était encore joué. On perçoit un changement d’atmosphère et des mœurs politiques, une irruption de cette brutalisation des mœurs qui était le résultat dans les pays voisins de la Grande Guerre et qui semblait absente jusque-là des relations sociales au Luxembourg.
Dennemeyer n’avait pas appartenu aux groupuscules nazis d’avant-guerre, il ne connaissait pas le professeur Kratzenberg et était inconnu au SD. Il était rentré de l’étranger en 1938 et avait été engagé comme rédacteur de politique intérieure par le journal transfrontalier Obermosel-Zeitung.2 Le 25 mai 1940, Dennemeyer exposa ses idées pour un journal populaire écrit en bon allemand dans un texte remis aux services du major Beck, un officier allemand d’origine luxembourgeoise travaillant pour l’« Abwehr », le contre-espionnage allemand.3 Dans ce texte il se vantait de ses bonnes relations avec les services du procureur général de l’État. Les références politiques étaient vagues et discrètes.
Beck chargea Dennemeyer de recruter des chômeurs pour le mouvement pro-allemand. Celui-ci se mit aussitôt au travail avec l’ardeur du néophyte, rédigea un manifeste et envoya un télégramme à Monsieur Hitler, où il félicitait le « Führer » d’avoir gagné la guerre contre la France et lui promit de ne pas faiblir « bis die ewige deutsche Seele unserer Heimat wieder geweckt, sämtliche Feinde Deutschlands vom urdeutschen Boden Luxemburgs verjagt und das Land Luxemburg wieder in die grossdeutsche Heimat zurückgeführt ist. »4 L’employé de la Poste n’accepta pas le télégramme, l’adresse étant incomplète.
La situation au Luxembourg sous l’administration militaire était confuse. Les officiers SS, Siekmeier, Nölle, Grünzfelder avaient été refoulés dès les premiers jours.5 Albert Wehrer dirigeait la « Commission administrative » chargée de l’expédition des affaires courantes. Le 21 juin, il avait demandé au major Beck d’assister aux réunions de cette sorte de conseil de gouvernement par défaut. Le 25 juin à 10 heures du matin, l’Église fit sonner toutes les cloches du pays pour saluer la conclusion de l’armistice, et donc aussi la capitulation de la France et la fin de la République. Le 5 juillet, Emile Reuter assura dans une note verbale au gouvernement allemand que la Chambre des Députés désapprouvait le départ de la Grande-Duchesse et demanda au « Führer » l’autorisation pour le retour de celle-ci. Pendant ce temps l’ancien gouvernement voyageait quelque part entre Bergerac et Cascais sans donner signe de vie. Tous les repères étaient brouillés.6
Le manifeste de Dennemeyer ressemblait à un collage juxtaposant trois parties distinctes. La première partie était un appel au romantisme révolutionnaire: « Liebe Freunde ! Wenn mir heute endlich das unaussprechliche Glück gegönnt ist, Euch zu schreiben, wie das heisse Herz mir gebietet, so möchte ich vorerst einmal Grundsätzliches sagen. Kamerad mit der schwieligen Arbeitsfaust, am Pflug und am Schraub-stock, im Bergwerk und am Schmelzofen ! Kamerad am Schreibtisch und in der Gelehrtenstube, im Kaufladen und in freien Berufen ! Auch Du erwerbsloser Kamerad, dem eine überlebte Gesellschaftsordnung selbstgefällig lächelnd Almosen bietet ! An Euch alle wenden wir uns, Arbeiter der Stirn und der Faust. » Le temps était venu pour mettre fin à la domination des 2 000 familles (« die Herrschaft der 2 000 Familien »), de la minorité de « fürstlich entlohnten Faulenzer, Nichtskönner und Besserwisser », « die einträglichen Geschäfte des Geldsacks ».7
La deuxième partie se composait d’un argumentaire assez professoral sur le caractère allemand du peuple luxembourgeois: « Deutsch ist Euer Name und Eure Art, deutsch Eure Sprache und Eure Sitte! Deutsch sind unsere Ortsnamen, moselfränkisch-deutsch ist die Anlage unserer Dörfer und Flecken. Deutsch ist der liebliche Charakter unserer heimatlichen Landschaft, die die deutsche Seele unseres Volkes formte. »
Les juifs, qui n’apparaissaient dans le texte proprement dit que comme des entités plutôt abstraites, associés aux francs-maçons et aux politiciens francophiles, étaient dénoncés comme les ennemis du genre humain dans les entrefilets entourant le texte : « Die Juden sind unser Unglück », « Kauft nicht bei den Juden ! », « Wer vom Juden frisst, stirbt daran ! », « Im wiedererwachten Rassebewusstsein bekennt das Volk Luxemburgs seine Zugehörigkeit zum deutschen Volk. »
Les trois parties du manifeste provenaient de trois sources d’inspiration, s’adressaient à trois publics. Les diatribes antisémites reprenaient les slogans diffusés par les groupes pronazis d’avant-guerre, un moyen pour ces groupes très minoritaires de s’affirmer et de se différencier par opposition à la société ambiante. Les théories sur l’identité allemande et l’oppression culturelle du peuple luxembourgeois correspondaient aux thèses défendues par les professeur Kratzenberg au temps de la « Gesellschaft für deutsche Literatur und Kunst ». Quant aux tirades du début elles auraient pu être empruntées aux appels communistes des années trente avec cette différence que les communistes parlaient des 200 familles dominant l’économie en France et Dennemeyer de 2 000 familles luxembourgeoises, donc de l’ennemi d’en face, du bourgeois concret et du petit-bourgeois. Le manifeste n’attaquait pas de façon frontale les catholiques, il reprochait seulement au Luxemburger Wort d’avoir inventé l’existence d’une langue luxembourgeoise et au premier-ministre Dupong de s’être réfugié dans la France franc-maçonne.
Ces trois thématiques correspondaient à l’état d’esprit des trois composantes du mouvement pro-allemand qui se réunirent le 10 juillet 1940 pour former la « Volksdeutsche Bewegung » : 56 « Volksgenossen » issus de la « Luxemburger Volksjugend » et des groupes nazis d’avant-guerre, 350 « Namen von Intellektuellen und Industriellen » recommandés par le professeur Kratzenberg et 150 activistes rameutés par Dennemeyer. Kratzenberg fut nommé « Landesleiter » sur ordre de Berlin, Dennemeyer « Organisations- et Propagandaleiter » sur proposition de Kratzenberg. Kratzenberg s’attribua le domaine culturel et laissa à Dennemeyer le domaine politique et le soin de nommer les « Distriktsleiter » et « Ortsgruppenleiter », donc le pouvoir réel.8
Les témoignages de ses anciens compagnons étaient éloquents: « Jeden Sonntag fuhr er stolz wie ein Pfau mit dem Auto in die Städten und Dörfer um daselbst in schwungvollen Nazireden, den Geist Nazideutschlands an die gutgesinnten Luxemburger zu bringen, was ihm zum Teil ja auch glückte. »9 « Dennemeyer hatte überall im Lande solche Ortsgruppen gebildet. In Rodingen waren es (…) im ganzen vielleicht 12 Mann. Diese Herren waren anarchistische, nihilistische Elemente. Sie übten in Rodingen eine Art Schreckensregime aus. »10 « Dieser Dennemeyer hat in der vergangenen Woche mehrere Versammlungen in Luxemburg/Stadt und in den Gemeinden des südlichen Industriegebietes aufgezogen, die im wesentlichen nur Zulauf aus früher kommunistischen und antifaschistischen Kreisen hatten. Eine Versammlung in Esch-Alzette am 14.7.40 ist tumultartig verlaufen. Zuverlässige Gewährsleute, die diese Veranstaltungen überwacht haben, empfinden es als reinsten Hohn, wenn durch derartige Elemente, wie sie die Anhänger Dennemeyers sind, ,Heil Hitler’ und ,Sieg Heil’-Rufe in marktschreierischer Weise angewandt werden. »11
Emporté par ses succès d’auditoire, Dennemeyer poussa son avantage, parla de plus en plus fort et engagea le combat contre des ennemis de plus en plus nombreux. Aux francs-maçons et aux juifs venaient s’ajouter les curés, désignés au même titre à la vindicte populaire. « Wir erleben hier den nähesten und heimtückischsten Widerstand der vereinigten Priester, Juden und Freimaurer. » Venaient ensuite « die niederträchtigen Spiesser », « die Geldsack- und Beamtenspiesser », die « Luxemburger Miniatur-Plutokratie » et les dirigeants socialistes partis en France, « Bonzen wie Krier, Bodson, Clement ».12 Enfin il appela à renverser « diese lächerliche Landesverwaltungskommission, diese von der geflüchteten Plutokratenregierung zurückgelassenen Interessenvertreter ».13 Le manifeste fut distribué à partir du 6 juillet, le 7 juillet des autocollants furent collés avec le slogan « Mir welle bleiwe wat mer sinn, urdeitsch Muselfranken » qui provoquèrent surtout l’hilarité, et le 8 juillet des slogans beaucoup plus agressifs contre les juifs apparurent sur les murs qui provoquèrent des remous et des bagarres.
Les incidents avec la police luxembourgeoise et avec les soldats de la Compagnie des Volontaires se multiplièrent. « Die Vernichtung dieser Zettel erfolgte in erster Linie durch die immer noch zahlreich in Luxemburg vorhandenen Juden unter Beihilfe der städtischen Polizeibeamten. Auch sonstige Luxemburger Zivilisten wetteiferten bei der Entfernung. » Dans la nuit du 5 au 6 juillet deux étudiants nazis furent arrêtés devant le Café Pôle Nord, une demi-douzaine de contrevenants étaient signalés dans divers quartiers de la Ville, d’autres le lendemain à Mersch, Ettelbruck et Diekirch, le 11 juillet un ouvrier nazi de vingt ans fut blessé à la baïonnette au moment de son arrestation et le 14 juillet deux policiers luxembourgeois qui avaient arrêté des militants nazis furent faits prisonniers à leur tour. Ces batailles nocturnes amenèrent l’armée allemande à interdire toute action militante.
Dennemeyer se plaignit auprès de la « Feldkommandatur » et choqua l’officier, à qui il parla de son combat contre les « Pfaffen ». Il se rendit à Trèves auprès du chef du SD qui fit entendre raison à l’apprenti-dictateur: « D. behauptete in dieser Unterredung, 20 000 Anhänger zu besitzen und frug mich, ob ich es für angebracht hielte, die Landesver-waltungskommission zu beseitigen und eine neue Regierung zu bilden. Ich habe ihm davon dringend abgeraten. (…) Ich sagte in diesem Zusammenhang noch, dass der Feldkommandant zweifelsohne Richtlinien aus Berlin besitzt, nach denen er zu handeln verpflichtet ist. Wenn also Oberst Schumacher ihm beispielsweise, wie es geschehen ist, verbietet, rote Handzettel mit Kampfparolen gegen die Juden kleben zu lassen, so verbietet dies Oberst Schumacher bestimmt nicht, weil er judenfreundlich ist, sondern weil dies aus bestimmten Gründen unterlassen werden muss. » À cause notamment du risque de « graves complications de politique étrangère » avec les États-Unis.14
Des complications s’annonçaient aussi à l’intérieur du mouvement pro-allemand. Le 13 juillet le professeur Schmithüsen avait dû déjà arbitrer entre Kratzenberg et Dennemeyer. Le 15 juillet 1940 le journaliste Eugène Ewert qui dès l’avant-guerre avait fait cause commune avec Kratzenberg énuméra ce qu’il ne fallait pas faire : « Nicht die luxemburgische Freiwilligenkompanie als solche und die Soldaten als solche kritisieren und ironisieren. (…) Die Haltung Luxemburgs und der Luxemburger vor dem 10. Mai kritisieren, die Neutralität an sich aber nicht in der angewandten Form lächerlich machen. (…) Der deutsche Rückhalt, den die volksdeutsche Bewegung hat, darf nicht zum Ausdruck kommen. (…) Kirche vorläufig ganz und gar aus dem Spiel lassen. (…) Bezüglich der Grossherzogin keine so brutalen Angriffe vorbringen. Die Landesherrscherin soll als armes und beklagenswertes Opfer des frankreich- und judahörigen Regierungsklüngels und etwa auch des ihr leider ehelich angetrauten pervertierten Bourbonenprinz hingestellt werden. »15
Qui était ce Dennemeyer qui voulait renverser le gouvernement et causait tant de soucis à l’armée d’occupation ? Le 24 juillet 1940, le SD de Trèves consigna dans un rapport que Dennemeyer avait publié deux livres anti-allemands en 1919 et 1920, qu’il avait fait de l’espionnage contre l’Allemagne, qu’il avait dirigé un conseil de soldats et appelé à l’assassinat de centaines d’officiers allemands.
Né à Dudelange en 1896, Dennemeyer avait perdu tôt ses parents. Elève doué il fut aidé par le curé et s’engagea dans le « Jünglingsverein », où il fit une conférence sur l’immortalité de l’âme. En 1914 il publia plusieurs articles en grand format dans le Luxemburger Wort, portant sur la fête de Noël et la technique des sous-marins.16 En avril 1915, il quitta le pays et trouva du travail dans un journal catholique à Oelpe dans la Ruhr. Protégé par le dirigeant du « Zentrum » et futur ministre Erzberger il eut accès aux conférences de presse de l’état-major. Après un congé de trois semaines passé aux Pays-Bas, où il prit contact avec un attaché militaire français il se rendit en mars 1918 en Haute-Silésie pour occuper le poste de rédacteur-en-chef du Oberschlesischer Kurier, journal catholique de tendance autonomiste.
Dennemeyer se sentit à l’aise en Silésie qui lui rappelait le Luxembourg. « Die oberschlesischen Polen sind nicht mehr rassenrein. Meist sind es Bauern oder Arbeiter ; fast alle sprechen deutsch, wenn auch mit einem scharf klingenden Akzent. » Il reprochait au gouverneur allemand d’avoir détruit ce fragile équilibre des nationalités par une politique de germanisation insensée. Devant le spectacle du militarisme, des officiers bien nourris, de l’arrogance de la caste des bureaucrates Dennemeyer décida de ne plus mettre sa plume au service du mensonge.
En juin 1918 il fut arrêté sous l’accusation d’espionnage et embastillé au « Staatsgefängnis » de Vienne, où il connut la faim, l’humiliation et la solidarité des opprimés. Un de ses compagnons de misère fut un juif de Galicie. « In der Heiligen Schrift war dieser Jude sehr beschlagen, und er diskutierte oft mit mir über Religion. » Il retrouva le chemin de la vraie foi : « Du magst fluchen und schwören und wegen deines ungerechten Schicksals lästern – eines Tages wird dein Trotz gebrochen sein, und du wirst erliegen unter der Last deiner Leiden, wenn du nicht beten kannst. O Menschenherz ! O armer, törichter, stolzer, ohnmächtiger Mensch ! » Devant un public cosmopolite de persécutés Dennemeyer parla de sa patrie : « Ich bewies meinen staunenden Zuhörern, dass die Luxemburger das freieste Völkchen sind unter Gottes Sonne, und alle empfanden sie Sehnsucht nach meiner geliebten Heimat, auf die ich recht stolz war. »
Le 8 novembre 1918 il fut libéré et jeté sur les pavés de Vienne, malade et sans le sou. Il arriva à rejoindre Luxembourg, affamé, amaigri, un spectre. Madame Lucien Cahen qui attendait le retour de son mari l’accueillit. Il lui dédia son livre Hinter österreichischen Kerkermauern. Selbsterlebtes eines luxemburger Journalisten. En janvier 1919 repartit pour l’Allemagne : « Aber ich bin elternlos; und in dem Jubel über die endliche Befreiung vom preussischen Joch vergass die Heimat die Söhne, die mehr als alle anderen für sie gelitten hatten. »
À Berlin il assista aux derniers soubresauts de la révolte Spartacus, ensuite il retourna en Silésie et s’engagea dans un corps franc, le « Freikorps Schlesien », un de ces débris de l’armée allemande en décomposition chargé de défendre la frontière de l’Est contre les Polonais et les Russes. Dissimulant sa nationalité luxembourgeoise, Dennemeyer s’imposa par son talent oratoire et fut élu à la tête du conseil des soldats qui s’y était formé. Il assista aux conspirations des groupes bolchéviques qui voulaient s’emparer de Breslau, y proclamer une république soviétique et faire la jonction entre la révolution allemande et les armées de Trotski. L’échec de cette tentative en mars 1919 conduisit Dennemeyer à revenir à Luxembourg, où il publia en 1920 ses expériences désillusionnées sous le titre ronflant Im Höllenrachen des Bolschewismus. Le livre de Dennemeyer qui était illustré par Pierre Blanc et révélait un talent littéraire indéniable fut salué par le Luxemburger Wort et le Escher Tageblatt. Il ne permit pas à Dennemeyer de se faire une place dans le paysage luxembourgeois. Sur son parcours biographique postérieur il y a seulement une notice datée du 26 décembre 1926 qui fait état d’un courrier de la police criminelle au procureur général, dont nous ne connaissons pas le contenu. Il est possible qu’il ait fait partie de la Légion étrangère comme le suggère Paul Cerf. Dennemeyer dit qu’il a été interdit de séjour en Allemagne à partir de 1936.
Après l’installation du Gauleiter en août 1940 Dennemeyer fit partie de l’entrevue que celui-ci accorda aux dirigeants de la VdB. Privé de la fonction de chef de l’organisation, il parla encore comme orateur au meeting du 18 septembre au Cercle et était programmé pour les réunions de la première semaine de septembre. Le 2 septembre les hommes du Gauleiter décidèrent de lui retirer toutes ses fonctions. Le 13 septembre il fut arrêté par la Gestapo et un article parut dans la presse sous le titre « Sauberkeit und Ordnung in der Volksdeutschen Bewegung – Entfernung eines politischen Hochstaplers ». Dennemeyer était dénoncé comme un « Anführer schlimmsten bolschewistischen Untermenschentums in Deutschland » qui aurait voulu imposer les méthodes bolchéviques au VdB. L’article précisait que les idées de lutte des classes qu’il avait professées étaient en contradiction avec les buts du mouvement. C’était un signal en direction de ces intellectuels et industriels que Kratzenberg n’avait pas réussi à convaincre de s’engager publiquement en faveur du nouveau régime lors du manifeste « Heim ins Reich».
Les anciens partisans de Dennemeyer ressentirent fortement cette remise en ordre : « Wir alten Kämpfer können nicht verstehen, dass noch fast überall dieselben Missetäter und Banditen sitzen, die mit dem früheren Regime durch dick und dünn marschierten und drei Viertel vom Land an den Bettelstab brachten, die anderen an die Futterkrippe und ihre Beschützer zu Millionären machten. Wenn es so weitergeht, (…) dann dürfte der Tag nicht mehr fern sein, wo alle alten Kämpfer abgesägt werden, und die Schweinebande von früher wieder überall ihr Schäfchen im Trocknen haben. Sie melden sich in die Bewegung, sagen Heil Hitler und meinen Baumwolle. »17
Dans la prison de Trèves il fut le voisin de cellule des catholiques Origer, Esch, Grégoire, des communistes Bernard et Steichen ainsi que de son ancien directeur Paul Faber, l’éditeur de la Obermoselzeitung, arrêté pour avoir fait rédiger son journal « von deutschen Emigranten und anderen übel berüchtigten Personen ».18 Dennemeyer fut ensuite envoyé à Wittlich pour travailler sur le chantier de l’autoroute avec l’interdiction de revenir au Luxembourg. Au moment de la Libération, Dennemeyer retourna en prison au Luxembourg, mais, dès novembre 1944, l’Union des organisations patriotiques proposa sa relaxe qui fut prononcée en avril 1945 contre l’avis de Victor Bodson, ministre de la Justice. Il décéda deux mois plus tard dans l’indifférence générale.
La figure de Dennemeyer reste énigmatique. Comment expliquer le retournement complet d’un idéaliste devenu cynique ? Fut-il un mercenaire sans scrupules ou un nazi de la première heure ?19 Une chose est sûre. Son échec prouva l’échec d’un fascisme luxembourgeois et son élimination fut un gage offert aux élites luxembourgeoises appelées à une collaboration passive. Le régime n’avait pas besoin d’une révolution mais d’ordre, de silence et de soumission.