Ce soir, comme tous les deux février, des hordes d’enfants armés chacun d’un lampion préparé avec l’aide de leur Joffer, inspirée sans doute par un modèle pioché sur Pinterest, vont aller, sous la pluie, la neige ou le vent, récolter les restes des chocolats de la Saint-
Nicolas ou de Noël (vous pouvez toujours leur donner des tranches de lard et des petits pois, vous allez voir comme ils seront heureux). C’est la tradition, un peu comme halloween mais en plus froid, sans les déguisements et en version locale. On sait combien les rituels sont importants pour les enfants. Ils veulent toujours mettre le même pull, lire la même histoire, écouter la même chanson dans la voiture (justement celle qui vous rend fou) et regarder le même film. Heureusement qu’un DVD s’use moins vite que les bandes de cassettes vidéo des années 80, mais attention au cataclysme nucléaire lorsque Netflix déprogrammera « Peppa Pig » de son catalogue…
Soyons honnêtes, le changement est également redouté parmi les autres classes d’âge de la population, encore plus spécialement peut-être dans un pays qui a choisi comme devise de « rester ce que nous sommes ».
Quelles que soient les nouvelles du jour, il reste en effet aux habitants du Grand-duché le plaisir de les apprendre chaque soir de la même Mariette Zenners. Y a-t-il des bouchons sur la route à cause d’un camion en panne ou d’un accrochage entre deux voitures ? Est-ce Dudelange ou Esch qui va remporter le championnat de football ? Va-t-il pleuvoir demain ? Rien n’est fait pour nous surprendre. Politiquement parlant, également, pas besoin d’être au niveau huit sur l’échelle de Richter de la voyance pour prédire, en octobre prochain, une victoire du CSV qui, comme tous les cinq ans, finira premier. Il en est ainsi, lors de toutes les élections depuis 1945, même quand, comme en 2013, il n’arrive pas, exceptionnellement, à participer au gouvernement.
Pourtant, qu’il le veuille ou non, le Luxembourg moderne est de plus en plus confronté au changement. Pas de grand changement, non, mais suffisamment pour que tout un chacun soit, maintenant, impliqué dans ce mouvement.
Prenez les transports en commun par exemple. Pour son trajet jusqu’au Kirchberg, le travailleur qui habite le sud du pays prendra un premier train jusqu’à la gare centrale, un second train jusqu’au Pont rouge, un funiculaire puis le tram. Quatre fois, il cherchera à ne pas se faire éborgner par un parapluie, quatre fois il essaiera de trouver une place tranquille pour battre son record à Candy Crush, quatre fois il devra esquiver les coups de sac infligés par son voisin resté debout. Mais le changement c’est mieux. Avant, on attendait son bus pendant vingt minutes. Maintenant, on monte directement dans le premier bus ou le premier train qui passe, même si c’est pour deux arrêts. On marche un peu, on s’aère le bocal, on s’hydrate l’épiderme aux microgouttelettes de la brume matinale.
Et même pour ceux qui évitent les transports en commun dans l’espoir d’accélérer le réchauffement climatique à bord de leur Range Rover diesel, février est aussi le mois du changement. Le 54e autofestival permet à tout un chacun de trouver un nouveau moyen de pollution, pardon, de locomotion, ou de rendre visite à son concessionnaire préféré, voire simplement de demander à son banquier un crédit à la consommation à un taux imbattable (même si c’est pour changer ses fenêtres ou se payer des vacances au soleil). Si l’on en croit le communiqué de presse des distributeurs, plus d’un tiers des immatriculations annuelles résultent de ventes conclues durant cette période d’une dizaine de jours. Autant dire que les concessionnaires pourraient se contenter de travailler dix jours en février, dix jours en juin et dix jours en octobre et partir en vacances tout le reste de l’année.
Pour le reste, il est symptomatique qu’une des séries qui fasse le plus parler d’elle en ce moment soit Black Mirror, qui encourage chacun de nous à cultiver la crainte face aux changements récents, qu’ils soient techniques ou sociétaux : l’importance envahissante des réseaux sociaux, l’évaluation permanente des autres, la publicité intrusive, l’illusion créée par les technologies virtuelles, les risques qu’il y a à ne pas débrancher sa webcam, la géolocalisation, les divertissements électroniques, ce qu’il advient de notre passé numérique après notre mort… On a vu apparaître, depuis quelques mois, dans différentes manifestations et protestations, des pancartes « this episode of black mirror sucks », insinuant que la réalité semble avoir dépassé la fiction. On se rassurera en se disant qu’un ours bleu en images de synthèse n’a pas encore été candidat aux élections. Et en se disant, heureusement, qu’il reste encore des enfants pour lesquels sortir dans la rue avec leurs copains quémander quelques friandises sera le meilleur souvenir du week-end.