Ce fut l’un des rares « bons points » que les experts du Gafi décer-nèrent dans leur rapport de février 2010 au dispositif luxembourgeois de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme : la cellule de renseignement financier (CRF) répond très largement aux standards mis en place par l’organisation inter-nationale. Le projet de loi sur le blanchiment, actuellement sur le métier, devrait en renforcer les pouvoirs et consacrer son auto-nomie « fonctionnelle » par rapport au Procureur d’État dont la CRF dépend, ce qui lui donne d’ailleurs sa force de frappe dans les milieux financiers qui verraient bien justement ses pouvoirs émasculés. La Chambre de commerce et l’Ordre des avocats (lire pages 12 et 13) ont ainsi ressorti leurs « vieux rossignols », réclamant au gouvernement de transformer la Cellule en une autorité administrative sur le modèle français ou belge.
Or, rien ne plaide pour un changement de paradigme. Et les asser-tions des milieux d’affaires n’y changeront rien. Le rapport d’activité pour 2009 de la Cellule démontre d’ailleurs par les chiffres et par les faits que le modèle actuel ne fonctionne pas si mal, et que les choses iront encore mieux lorsque les promesses du ministre de la Justice d’étoffer l’équipe anti-blanchiment seront tenues. Les recru-tements seraient en cours. Il faut espérer que les contrats seront signés avant la prochaine réunion plénière du Gafi. L’équipement technique de la CRF a en tout cas évolué. Les magistrats travaillent désormais avec un logiciel qui leur épargne la pénible tâche de devoir saisir à la main les données des déclarations de soupçon qui leur parviennent. Le nouvel outil informatique permet désor-mais l’importation « semi-automatique » des déclarations. D’où les statistiques plus pointues que d’ordinaire, fournies dans le dernier rapport de la CRF et au-delà des chiffres, une analyse sans doute plus aisée des cas qui lui sont soumis.
L’élargissement en 2008 (loi du 17 juillet 2008) du champ d’appli-cation de la loi anti-blanchiment à une large gamme d’infractions primaires a fait exploser l’année dernière le nombre de déclarations de soupçons de la part des professionnels soumis aux obligations déclaratives : 1 587 dossiers ont été ouverts par la CRF, dont 1 332 provenant des déclarations de soupçon des professionnels (parmi lesquels 1 166 établissements de crédit, 54 professionnels du secteur financier et 46 entreprises d’assurances), ce qui représente une hausse de 77 pour cent par rapport à 2008. L’évolution législative fut toute-fois sans grande influence sur le zèle des notaires (deux déclarations en 2009), celui des agents immobiliers (une) ou des conseillers économiques ou fiscaux (une). Ce sont pratiquement toujours les mêmes banques qui déclarent, à croire que les criminels opèrent une présélection des établis-sements qu’ils fréquentent et retiennent toujours les mêmes : abstrac-tion faite de la banque électronique, atteinte de « déclaronite » fulgurante (528 appels à la CRF), cinq maisons de crédit représentent à elles seules 39 p.c. des déclarations de soupçon.
Le Parquet voit dans cette inflation l’effet d’une « coopération accrue de tous les secteurs professionnels ». Les statistiques per-mettent d’identifier 3 164 personnes visées par les déclarations, dont 637 résident au Luxembourg, plus de 400 au Royaume-Uni et 217 en France. À la quantité s’est ajoutée une évolution sur la nature des faits dénoncés qui relèvent de plus en plus de la criminalité générale ou de la criminalité économique. Les magistrats de la CRF signalent à cet égard que l’élargissement du champ d’application de la loi permettait désormais de toucher la criminalité de petite et moyenne envergure commise par les résidents au Luxembourg. Les chiffres montrent aussi une baisse significative des résidents russes (0,5 p.c. des personnes visées) et des ressortissants américains (2 p.c.).
Sur les 1 587 dossiers entrés à la CRF, 429 ont vu se confirmer les soupçons de blanchiment. Les avoirs visés par l’ensemble des dé-clarations de soupçon ont totalisé 1,73 milliard d’euros, des fonds qui ne sont pas forcément suivis d’un blocage judiciaire. Le Parquet a par ailleurs bloqué la modeste somme de 11,5 millions d’euros, préférant souvent ne pas geler provisoirement les fonds pour mieux appréhender le fonctionnement des flux financiers des réseaux criminels. Les saisies interviennent alors dans une autre étape. Le rapport de la CRF fait état de vingt saisies judiciaires, représentant un total de 89,3 millions d’euros.