« C’est pas du design, lance, instinctivement, Emile De Demo. C’est des arts appliqués ! » Nous sommes dans un bel appartement années 1950/60, venons de manger une soupe de tomates Ottolenghi dans de magnifiques bols en céramique réalisés par Emile et discutons du projet Ten Hands, qui fêtera son ouverture jeudi prochain, 11 décembre, à la galerie Armand Gaasch à Dudelange. Sur une commode, Emile De Demo et Jean-Marc Aviance ont posé quelques-unes de leurs réalisations qu’ils montreront à Dudelange : il y a des bols, des cruches, des tasses et même une lampe faits par Emile, avec des glaçures recherchées, parfois dans un style brut rappelant la tradition potière provençale, et parfois avec une inspiration zen plus asiatique – couleurs chaudes et couleurs froides. Et il y a les gros colliers en perles de céramique réalisés par Jean-Marc, objets de décoration autant que bijoux ; on pense immédiatement à Marie-Claude Beaud en les voyant, elle les mettrait sans hésiter.
Ten Hands est le dernier des pop-up-shops à la galerie Gaasch, réalisés sous les auspices du ministère de la Culture, exploitant du lieu jusqu’à fin décembre et qui avait lancé un appel public pour trouver des concepts originaux de designers et de commerçants. En tout, 33 dossiers avaient été déposés, celui de l’équipe de Ten Hands était si fignolé que sa sélection fut une évidence. Les dix mains n’en sont en fait que huit : celles d’Emile et de Jean-Marc et celles d’Anne-Marie Herckes et de Stina Fisch. « Les filles sont les professionnelles, affirme Jean-Marc Aviance, elles sont le moteur. Nous, on est des amateurs, on ne fait que suivre ! » La cinquième paire de mains reste mystérieuse, non attribuée ; ça pourrait être celle de Danielle Igniti, qui assiste le groupe en tant que curatrice (informelle). Mais ça pourrait aussi être celle du client ou celle de l’enfant qui participe à un des quatre ateliers proposés.
L’idée de Ten Hands est venue dans les échanges entre amis : courriels, messages, photos, notes, liens sur Internet et rencontres, où chacun apporte ses références sur ce qui l’inspire et ce que lui inspire le travail de l’autre. Dans le dossier de présentation, ils affirment qu’ils conçoivent « la création comme une ressource et une source de vie ». Les références citées vont des Omega Workshops et de l’Atelier Martine en passant par William Morris, Walter Van Beirendonck, Elsa Schiaparelli ou Miuccia Prada à Kveta Pekovska ou Sophie Taeuber-Arp. « Moi, mes références sont souvent dans des livres, explique Jean-Marc, alors que pour un autre, c’est peut-être plutôt sur Instagram. » En s’enrichissant mutuellement par ces échanges, leur travail a évolué et très vite, l’idée d’une collaboration est née. L’appel du ministère de la Culture est tombé à pic.
Si Ten Hands se comparent un peu à un groupe de rock dans leur approche, on pense, en ce qui concerne les réalisations, aussi au jeu du cadavre exquis, chacun enrichissant, complétant ou transformant la création de l’autre. Ainsi, Stina a dessiné des graffitos sur des plats d’Emile et collaboré sur des foulards d’Anne-Marie, sur lesquels on retrouvera aussi un détail de Jean-Marc (qui vient de la mode) ou d’Emile, c’est une ronde interminable.
Mais il ne faut surtout pas parler de design ou d’art, les quatre créateurs insistent avec beaucoup de modestie sur le fait qu’il s’agit d’arts appliqués, « arts & crafts » en anglais, même si les univers se croisent. Ainsi, Emile De Demo est à la base un autodidacte en céramique, qu’il a découverte il y a deux ans et que, depuis lors, il pratique avec passion. Le public (branché) avait adoré ses premiers plats très ludiques lors de la foire de Noël Troc’n Broll au Carré Rotondes. Depuis, il a parfait sa maîtrise du tournage et de l’émaillage dans des ateliers et des stages qui l’ont mené de Strassen à Bruxelles, fait des recherches sur les couleurs qu’ils réalise lui-même, « j’ai même été chercher de la terre à Belval pour obtenir un ton rouge-brun ». Et il a fait des marchés, de l’Éimaischen à des marchés de poterie spécialisés dans la région.
Mais Ten Hands sera plus qu’un banal marché pour acheter des cadeaux de fin d’année : les quatre créateurs vont entièrement s’approprier les lieux avec un grand dessin en vitrine, des découpages en linoléum par terre et des présentoirs pour les miniatures et bijoux d’Anne-Marie Herckes, les céramiques d’Emile De Demo et les colliers de Jean-Marc Aviance ; les dessins, sérigraphies et autres imprimés de Stina Fisch pouvant être accrochés aux murs. Un concert avec le Ukulele Machin Truc Orchestra animera le vernissage et le dernier jour, le 21 décembre, on pourra venir boire le thé dans un bol de la collection d’Emile. « On n’a d’ailleurs pas encore fixé de prix, remarque Jean-Marc Aviance. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on va y respecter une autre façon de consommer, continuer à militer pour une économie un peu moins dure. Parce que notre philosophie est aussi que ça nous fait plaisir que les gens se fassent plaisir. »