Colette Meysenburg et Guy Stemper

Faire rentrer le sexe dans les mœurs !

d'Lëtzebuerger Land du 14.11.2014

Après avoir bifurqué sur la route principale à Frisange, je vois le panneau de rue : « An de Gaalgen ». J’entre dans une cité résidentielle comme il doit y en avoir une centaine au Grand-Duché : Maisons identiques, façades peintes en monochrome criard, jardins entretenus à la perfection. Une voiture pour Monsieur, une pour Madame.

Je sonne au numéro dix (avec une aussi belle façade rouge grenadine, mais seulement un garage) et un garçon ado très poli m’ouvre la porte. Il me dirige vers la cave, où m’attendent sa mère Colette (39 ans), et le compagnon de Colette, Guy (46). Ils viennent de dépoussiérer l’étalage avec les vibromasseurs, juste à côté des crèmes de massage asiatiques (made in Canada) et du rayon destiné aux accessoires pour la masturbation masculine.

Pardon ? Non, il ne s’agit pas d’une erreur de frappe. Bienvenue chez « Ladies First » ! Ce « Love shop » pour le plaisir de la femme moderne et de son couple. Chaque étalage est parsemé de jouets sexuels qui ressemblent à des mini vaisseaux spatiaux, certains même à des œuvres d’art contemporain. Il y en a de toutes les couleurs. Certains sont droits, d’autres courbés, ceci pour stimuler point G et clitoris simultanément – la plupart des hommes ne sauront pas faire mieux! Les boules « Luna Beads » sont des versions avancées des boules geisha et servent à entraîner les muscles intimes. Il y a même une machine pour simuler une langue (très) flexible. Bref, on est loin du cliché du « gode » vulgaire. Ici il s’agit de designs presque scientifiques.

« On veut éviter le public des sex shops aux alentours de la gare. Notre approche est complètement différente » souligne Guy. La philosophie de Ladies First est rafraîchissante : «Aujourd’hui, les gens rentrent tard après le boulot, regardent la télé et vont dormir. On veut leur apprendre à tomber amoureux une deuxième fois – et leur donner une meilleure connaissance de leur propre corps. Savoir comment se faire plaisir est tout un art. »

Bien sûr il faut débourser un brin de plus pour ajouter un tel objet à sa collection. Les vibros commencent à 65 euros pour un petit « lipstick vibe » (rechargeable par USB !) et vont jusque 180 euros pour des modèles comme le « ZINI », dont la forme s’adapterait parfaitement à l’intérieur du corps. Les vibromasseurs sont donc clairement les attractions principales de Ladies First, devant les huiles de massage et les lubrifiants à base d’eau.

Parcours inattendu pour ce couple Monsieur et Madame tout le monde, à première vue : Colette Meysenburg – cheveux courts, pull discret, yeux étincelants – a fait des études de commerce et « s’occupe de la paperasse », tandis que Guy Stemper – sel et poivre, lunettes de prof, dégingandé – vient d’une formation d’électricien et se déclare responsable du volet informatique. Il remplit d’ailleurs le rôle du conjoint à domicile, tandis que Colette travaille comme secrétaire dans un bureau pendant la journée.

Issus tous deux de milieux conservateurs, leur rencontre détonante avait libéré leur vie sexuelle jusque-là grisâtre – et ils voulaient communiquer cette nouvelle joie au monde.
« Un vibromasseur est comme une voiture – elle marche pendant quelques années, et après tu achètes un nouveau modèle. » m’explique Guy. « Non ! » rigole Colette, « je dirais plutôt qu’un vibro c’est comme une paire de chaussures pour la femme – il en faut une par saison. » Le débat est lancé !

« Les femmes sont beaucoup plus curieuses et, ose-je dire, plus intelligentes que les hommes », ajoute Guy. « Quand tu vois deux hommes hétéro parler de sexe, ils vont juste rigoler pour éviter de montrer leur faiblesse… mais une femme va s’y intéresser réellement. D’ailleurs, on voit surtout des dames ou des couples. L’âge de nos clientes va de dix-huit ans à plus de soixante-dix piges ! Avec l’âge, les tabous s’érodent peu à peu. »

Les Luxembourgeois seraient notoires dans leur honte d’avouer leurs désirs les plus profonds. Et si le voisin avait vent de ce qu’on fait derrière portes closes ? « Ils vont quand même à Trèves ou pire, sur internet. » dit Guy. « Après, ils se plaignent. Alors pourquoi pas supporter un fournisseur local ? On n’achète que des produits à base de silicone, avec un design ergonomique. De plus, notre service est hautement personnalisé. Certains clients nous parlent même de leurs problèmes, de leurs envies.»

La vedette de Ladies First sont certainement les soirées « Tupperware », comme les appelle Colette avec un clin d’oeil. Disons qu’une cliente désire organiser une petite soirée entre amies, avec un intérêt porté particulièrement vers les accessoires intimes. Après un appel téléphonique, Colette se rend chez elle et démontre de façon ludique les différents produits. N’ayez crainte ! Personne ne se déshabillera… mais toucher les matières est autorisé et même encouragé. À la fin, chaque intéressée sera conseillée de façon discrète par Colette.

Dans l’avenir proche, Colette et Guy souhaitent même proposer des séminaires thérapeutiques aux clients. Mais est-ce qu’ils ont pu faire rentrer le sexe dans les mœurs des Luxembourgeois coincés ? « On a pu en convertir quelques-uns. Mais il reste du boulot ! » sourit Guy.

Jacques Molitor
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