« No pain, no gain ». C’est tel que Carolyn Dobran explique le succès des deux boutiques de mode Extrabold et Honey \ Mustard, dans lesquelles elle détient un tiers des parts. Du travail, pas grand-chose de plus. Le teint limpide, l’allure leste et le verbe aisé, la partie féminine du trio d’entrepreneurs qu’elle forme avec Antoine Weber et Tom Decker incarne naturellement ce que les deux magasins véhiculent : plus qu’un simple effet mode, surtout pas de mimicry, mais un life-style. « Le message à notre clientèle est : ose ! Mets ce que tu veux, ce dans quoi tu te sens à l’aise, n’aie pas peur de te démarquer. Sors de l’univers de l’uniforme sombre », lance-t-elle avec la détermination naturelle de ceux qui ont fait de leur dada leur métier.
Tout a commencé en 2007, avec la naissance du désormais mythique magasin Extrabold sis avenue de la Liberté, qui vend aujourd’hui des quantités industrielles de jeans et autres look cultes et draine des centaines de jeunes clients. À l’origine galerie, librairie et magasin de mode en un, le concept store était l’un des premiers au pays, créé par trois jeunes sans expérience. « Hélas, les vêtements se vendent beaucoup mieux que l’art et les livres », statue Carolyn, lissant ses cheveux longs et bruns sous les lunettes puristes. Liée à l’époque à la boutique par son alliance avec Antoine Weber sans participer au capital, elle a pris la place de l’artiste Sumo dans l’actionnariat quand celui-ci s’est retiré en 2011. « On a transformé le shop, optimisé la surface de vente et j’ai davantage développé le rayon femme ». C’était peu après ses études de commerce international que Carolyn a effectuées à Londres. D’origine luxembourgeoise et égyptienne, ayant grandi à Stockholm, elle comptait en fait poursuivre sa carrière à New York. Mais l’évolution des choses, et l’amour, ont fait qu’elle reste… et en profite d’ailleurs pour compléter ses études par le master Entrepreneuriat et innovation à l’Université du Luxembourg.
La passion de Carolyn pour la mode ne date pas de hier. « J’ai commencé à coudre à l’âge de quatorze ans et j’ai toujours eu envie de manipuler des tissus, essayer des coupes. Mais mes parents se sont opposés à mon projet de me lancer dans des études de mode. Aujourd’hui, je leur donne raison ». Sans le background acquis à la fac, dit-elle, pas sûre que la réussite commerciale de l’entreprise serait ce qu’elle est. « Il faut établir des business plan, calculer, prévoir, gérer les commandes et les stocks, analyser le comportement des clients. On fait les foires en été (surtout Berlin), les show rooms à Amsterdam, Gent, Anvers, Bruxelles. On achète avec prudence, les budgets ayant augmenté avec Honey \ Mustard par rapport à Extrabold. Je ne me permets pas de folies ; si je ne suis pas sûre à 90 pour cent que la pièce se vendra, je laisse ». Passé l’époque où, accrochant un certain look, elle le défendait bec et ongles (« j’ai vu des designers rester seuls avec leur passion – quand personne ne l’achète »).
L’ouverture de Honey \ Mustard a été soigneusement planifiée ; pendant des années, le trio travaille le business plan. Ils acquièrent les premiers vêtements avant d’avoir un espace de vente (les collections s’achètent un an en avance). Quand la boutique ouvre en septembre 2012, c’est un aboutissement. Le lieu : un coup de cœur et surtout un coup de chance. Le British House en liquidation totale, le trio fait tout pour obtenir le local situé idéalement dans une rue calme mais trendy, moins chère que la Groussgaass à exposition égale, surtout les soirs de weekend pour le lèche-vitrine. « On a eu beaucoup de bol, la concurrence était rude – Gucci était parmi les intéressés. On est tombé sur des propriétaires qui croient dans l’entrepreneuriat local ».
La clientèle type est plus âgée que celle d’Extrabold (25+) et prête à dépenser davantage pour un vêtement de qualité. La décoration intérieure, complètement refaite, l’est dans le style scandinave : bois, blanc, brut, reflétant la passion de Carolyn pour les marques nordiques qu’elle a été parmi les premières à proposer au Luxembourg et dont elle détient, pour une partie, l’exclusivité. Filippa K, Modström, Tiger of Sweden parmi les plus connues, comblent une brèche : cosy, confortables et tendance, à prix non-exorbitant. L’équipe, les deux boutiques confondues, compte aujourd’hui douze employés.