Marco Godinho traverse une cour. Marco Godinho traverse un portique. Marco Godinho traverse un pré. La caméra le colle de près, ne le quitte pas d’une semelle. On s’attend à découvrir quelque chose d’extrêmement excitant, nouveau, dangereux... et puis non. Marco Godinho va voir la Sûre en crue, s’émerveille de la brume qui se lève en face, des bouts colorés de sacs plastiques, qui se sont accrochés au gré du hasard aux buissons fanés. Yann Tonnar, réalisateur et chef op en même temps, lui passe la caméra pour qu’il puisse documenter cette ambiance contemplative du moment. « Est-ce de l’art ? » demande Yann Tonnar en voix off ? « J’essaie seulement de faire une proposition aux gens de regarder le monde un tout petit peu différemment, » répond l’artiste
Marco Godinho est un des quatre artistes retenus pour ce « regard derrière les coulisses de l’art contemporain » que promet le documentaire de Yann Tonnar Atelier Luxembourg, instigué dans le cadre du projet éponyme du Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain l’année dernière et finalement produit par Anne Schroeder de Samsa Film. Soutenu à hauteur de 155 000 euros par le Film Fund, le long-métrage (75 minutes) est un peu la suite logique de la trentaine de Portraits d’artistes que Samsa a produits depuis 1995. Les protagonistes de ce film – à côté de Marco Godinho, il y a encore Tina Gillen, Catherine Lorent et Jean-Marie Biwer – n’étaient pas dans le projet Atelier Luxembourg du Casino, mais ont été choisis afin de donner une image de la diversité de la scène artistique luxembourgeoise.
Le film, qui a été présenté lors d’une première mardi à la Cinémathèque, le sera une deuxième fois ce soir, vendredi 15 novembre, puis fera le tour des salles régionales à partir de la semaine prochaine, s’adresse très clairement au grand public, aux néophytes, à ceux qui, comme le cinéaste, ingénu, demandent tout le temps : « Mais est-ce de l’art ? » C’est dommage que l’on ne puisse jamais dépasser ce stade-là dans le discours sur l’art au Luxembourg : l’éternelle remise en question de toute forme d’expression artistique qui ne soit pas peinture (ce n’est pas un hasard que Yann Tonnar ne pose pas la même question sur « est-ce de l’art ? » à Jean-Marie Biwer ou à Tina Gillen, pourtant, cela aurait poussé cette question stupide jusqu’à l’absurde).
Bien sagement, on accompagne donc Tina Gillen dans ses recherches, ses doutes, ses erreurs, ses éternels recommencements devant une toile en cours dans son bel atelier lumineux en région bruxelloise (« j’ai constamment l’impression de devoir ‘sauver’ mes tableaux de la misère de leur conception »). Puis on découvre la scène arty underground berlinoise lors d’un concert de Catherine Lorent, qui, visiblement un peu malade ce jour-là, explique le côté méditatif de la musique doom ou drone qu’elle écoute et pratique et le côté bordélique qu’elle aime dans l’art baroque, ses guitares et ses crevettes (!). Et on se retrouve dans la même cuisine et dans le même atelier de Jean-Marie Biwer à Basbellain qu’on a déjà visités avec l’émission Art Box de RTL Télé Lëtzebuerg.
Et voilà que le bât blesse : Atelier Luxembourg ne dépasse guère le format émission de télévision. Certes, le cinéaste a eu le temps et le loisir de voyager à travers l’Europe, de Bruxelles à Venise en passant par Berlin. Mais il n’a pas profité de ce temps pour faire quelques recherches historiques sur l’œuvre de ces artistes, leur évolution dans le temps, une analyse critique de leur production, de leur carrière ou de leur discours. Certes, Enrico Lunghi, le directeur du Mudam, parle un peu de « postmodernisme » et « d’esthétique relationnelle », son confrère Kevin Muhlen du Casino tente de définir « l’art conceptuel » pour le grand public et le galeriste Alex Reding, toujours égal à lui-même avec son franc-parler brut, donne quelques éclaircissements sur les arcanes du marché de l’art – mais ça reste extrêmement superficiel, jamais on ne touche une idée nouvelle, radicale, voire, mieux, une fêlure ou des doutes existentiels.
Quant à la forme, à part la musique originale de Catherine Kontz, interprétée par Lucilin, il n’y a pas plus d’expérimentations de la part du cinéaste ou du monteur. Les plans sont convenus, souvent simplement des plans larges, Yann Tonnar ne fait pas d’effets spéciaux ou de recherches visuelles. De facture extrêmement classique, le film sera donc avant tout une photo d’un moment précis de l’histoire de l’art au Luxembourg, qu’avec le recul, on regardera comme un document d’époque – un peu comme celles d’Elisabeth Vermast ou de Liliane Thorn-Petit au XXe siècle.