« Je m’intéresse aux décors de cinéma depuis longtemps », explique Paul Lesch, le directeur du CNA,. « Il y a une dizaine d’années j’avais donné une conférence sur les films tournés au Luxembourg, mais dont l’histoire ne se passe pas au Luxembourg. Lors d’une réunion du festival, on en a reparlé avec Alexis (Juncosa, le directeur artistique du Luxembourg City Film Festival, ndlr) et on a eu l’idée de faire une exposition à ce sujet ». Ce sera Ready. Set. Design. Le décor de cinéma au Luxembourg présentée jusqu’au 11 avril au Ratskeller du Cercle Cité.
« Il suffit de poser une cabine téléphonique à la gare de Luxembourg pour faire croire qu’on est à Londres ou un palmier à Remich pour se croire à Tel Aviv », s’amuse Paul Lesch qui a travaillé sur l’exposition avec ses collaborateurs du CNA, Yves Steichen et Chiara Lentz. Une exposition imaginée en quatre parties : « Derrière et devant le clap », « La grande illusion », « Mir wëllen iech ons Hémecht weisen » et « All that glitters is not gold ».
Si les visiteurs sont accueillis par le bureau en bois d’Hannah Arendt réalisé par Luc Ridremont et décoré par Manuel Demoulling pour le film de Margarethe von Trotta (Amour Fou, 2012), c’est principalement à travers des photographies et des vidéos que l’exposition s’exprime. Sur un premier mur, le visiteur est plongé dans les coulisses du septième art grand-ducal. « Derrière et devant le clap » montre la production d’un film « from script to screen ». « On a fait une série d’interviews et réalisé que toutes les personnes qui travaillent sur un film sont d’une manière ou d’un autre en lien avec le décor, doivent s’adapter à lui, s’arranger avec lui, analyse Paul Lesch. On a donc voulu montrer, de manière pédagogique, les différentes étapes d’un film à travers l’angle du décor. On a parlé non seulement au producteur qui doit financer le décor, au scénariste qui l’imagine et au réalisateur qui le précise, mais aussi aux gens qui travaillent dans l’ombre et que les spectateurs ne connaissent souvent pas : location scout, location manager, art director, chef opérateur, ingénieur du son… ». Une belle manière de mettre en valeur les professionnels grand-ducaux tout en offrant aux visiteurs un aperçu des coulisses du cinéma à travers différents documents de travail comme le script de Secret Passage d’Ademir Kenovic (Delux productions, 2004), le storyboard de Thés dansants d’Andy Bausch (Samsa Film, 1993) ou encore un call sheet de Perl oder Pica de Pol Cruchten (Red Lion et Amour Fou, 2006).
Sur un second mur, place à « La grande illusion », point de départ de l’exposition. À travers deux grandes cartes, l’une du pays, l’autre de la capitale, et de nombreuses photos, le visiteur redécouvre le Fond-de-Gras dans un film situé à Berlin, reconnait l’Hôtel de ville d’Esch-sur-Alzette à Vienne, le cimetière de Bonnevoie à Jérusalem ou encore Echternach à la Nouvelle Orléans grâce au miracle du cinéma. On pourrait passer des heures devant ces deux cartes à voir et revoir les châteaux de Vianden, Brandenbourg et d’Ansembourg, mais aussi le lac de la Haute-Sûre, la Petite Suisse, les vignes de la Moselle, les friches sidérurgiques du sud ou encore tous ces lieux de la capitale devenus, avec un peu d’inventivité, quelques accessoires, un bon cadrage et quelques sons rajoutés en postproduction : Paris, New York, Vienne ou encore des coins d’Égypte, du Chili ou d’Australie. C’est surprenant et ludique.
Si la troisième partie, « Mir wëllen iech ons Hémecht weisen », sur le Luxembourg vu par les cinéastes locaux reste un peu abstraite – « c’est un début de travail sur la manière dont les réalisateurs luxembourgeois, des années 80 à nos jours, ont repris ou cassé les clichés qui collent à chaque région du pays » notent les commissaires qui vont approfondir le sujet dans un livre –, la quatrième partie « All that glitters is not gold » sur le projet « Venise-sur-Alzette » est remarquable. Les cinéphiles du coin n’ont pas oublié ce décor de 22 500 mètres carré recréant la Cité des Doges au XVe siècle crée par Delux Production en 2001 pour les besoins de Secret Passage ; mais les nouveaux arrivants au pays découvrent probablement grâce à l’exposition que différents long métrages jusqu’en 2007 dont Girl With a Pearl Earring de Peter Webber avec Scarlett Johansson et Colin Firth (2003) ou The Marchant of Venise de Michael Radford avec Al Pacino, Jeremy Irons et Joseph Fiennes (2004) ont été tournés à Belval.
Si on peut regretter l’absence de décors de films documentaires ou d’animation – « on a dû se limiter, on a donc dû faire des choix » reconnaissent les commissaires –, et un son trop bas pour les différentes vidéos – afin d’éviter que ça devienne cacophonique en sachant que les casques prévus n’ont pas pu être installés à cause de la Covid -, Ready. Set. Design est une exposition la fois didactique et historique, ludique et muséale, pointue et grand public qui devrait intéresser bien au-delà du seul cercle des cinéphiles.