Un avertissement en vaut un autre. « L’armée de l’air américaine affirme que ses systèmes de sécurité ne permettraient pas aux événements décrits de se produire. En outre, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite. » Étrange avertissement par lequel débute
Dr Strangelove (1964), le sixième film réalisé et produit par Stanley Kubrick. Il ressemble aux déclarations officielles que l’on peut entendre aujourd’hui de la part de nombreux gouvernements au sujet de la protection des centrales nucléaires. Pas certain que cela soit très rassurant...
Paranoïa « rouge » et recyclage de nazis. C’est la Guerre froide, et la peur génère d’étonnants comportements de part et d’autre de l’Oural. Téléphone en main, cigare au bec, un général de l’armée de l’air, Jack D. Ripper, en proie à un délire paranoïaque anti-communiste, proclame la fermeture complète de sa base militaire et ordonne à ses avions de larguer leurs bombes nucléaires sur le territoire russe. Un acte de guerre arbitraire, émis sans l’aval du Pentagone qui n’en a pas été informé : façon, pour le cinéaste, de pointer le risque d’un affranchissement du pouvoir militaire par rapport au politique. Louons Kubrick d’avoir eu le courage de faire une satire à partir d’une menace bien réelle, à un moment où les États-Unis, en plein maccarthysme, sont engagés dans une chasse aux « Rouges » menée jusqu’à Hollywood, et face à laquelle s’était déjà fièrement dressé Spartacus (1960), ce film pourtant mal aimé du cinéaste américain écrit à partir d’un scénario de Dalton Trumbo, contraint d’œuvrer sous pseudonyme car blacklisté par l’époque. Un an plus tard, en 1965, dans son docu-fiction The War Game, c’est au tour de Peter Watkins de sensibiliser l’opinion publique à la menace nucléaire. Les conséquences désastreuses qu’imaginait le cinéaste britannique finissaient par rejoindre les effroyables conclusions de cet étrange et flippant Dr Folamour (Peter Sellers), ancien nazi passé à la solde des Américains qui préconise, face au scénario d’une guerre atomique totale, de creuser des galeries souterraines pour y loger une partie de la population sélectionnée sur des critères biologiques... Voilà comment on apprend à ne pas s’en faire et à aimer la bombe, pour paraphraser le titre, ironique et inhabituellement long, du film de Kubrick (Dr Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb).
Un ultime avertissement avant extinction finale. Dans cette fiction préventive que tout politique devrait visionner avant de prendre les rênes du pouvoir, beaucoup de choses restent malheureusement d’actualité. Certes, la Guerre Froide semble révolue. Mais les relations entre les USA et la Russie ne sont toujours pas au beau fixe et l’esprit de rivalité demeure, par delà l’effondrement de l’Union soviétique. La course aux armements reste la règle entre ces deux puissances, comme le confirme l’augmentation croissante de leurs dépenses militaires. Aussi, nul n’est à l’abri d’un abus de pouvoir, militaire comme politique. Avec un enfant gâté comme Donald Trump à la Maison Blanche, on se dit que le général Jack D. Ripper était parmi nous ces dernières années. On y a échappé de peu : après l’invasion sauvage du Capitole, appuyer sur le bouton nucléaire était à portée de main (les États-Unis disposent de 6 200 bombes nucléaires). Heureusement, deux grands acteurs nous font rire de la bêtise de nos
dirigeants : la prouesse de Peter Sellers interprétant trois rôles différents, et le non moins excellent Georges C. Scott en général « Buck » Turgidson, alors au sommet de son art, que l’on reverra avec bonheur dans Patton (1970).