Mott the Hoople and the Game of Life
Yeah, yeah, yeah, yeah
Andy Kaufman in the wrestling match
Yeah, yeah, yeah, yeah
Ainsi débute la chanson Man on the Moon, titre de R.E.M. paru en 1992 sur l’album Automatic for the People. Tour à tour catcheur, acteur de sitcom (Taxi, à la fin des années 70), imperturbable perturbateur d’émissions TV, mais aussi performeur depuis son show au Carnegie Hall, Andy Kaufman est un mystificateur de génie qui demeure cependant peu connu en France. Une lacune à laquelle devrait pallier Jim et Andy (2017), documentaire de Chris Smith diffusé sur Netflix. Il revient sur le tournage de Man on the moon (1999), le biopic réalisé par Miloš Forman où le rôle de l’humoriste américain, mort en 1984 à 35 ans, est interprété par un Jim Carrey au sommet de son art.
Incontestablement, Carrey règne sans partage sur les années 90. Il est en effet loin le temps où celui-ci assurait des stand-up sur les scènes de Toronto et de Los Angeles. Après trois énormes hits au box-office – The Mask (1994), de Chuck Russel, Dumb and Dumber (1994) des frères Farrelly, et Ace Ventura en 1997) –, l’acteur devient bankable. La plasticité de son visage, son exubérance, sa gestuelle inventive, font alors partie de sa personnalité actoriale. Puis, comme le retrace l’ouvrage récent que lui consacre Adrien Denouette (Jim Carrey. L’Amérique démasquée, 2020), la suite de sa trajectoire hollywoodienne est plus étonnante : plutôt que les grimaces, l’acteur finit par se déjouer en adoptant des personnages plus dramatiques dans les années 2000. De l’excentricité, Carrey passe à un registre plus banal et modéré, perdant en quelque sorte l’originalité qui le caractérisait – sa signature comique.
Ce n’est évidemment pas le cas dans Jim et Andy, où le spectateur ne sait jamais vraiment sur quel pied danser face à un Jim Carrey en roue libre. Ou plutôt, étant donné que celui-ci est littéralement absorbé par son rôle, face à un « Jim Kaufman », tant la fusion monstrueuse de l’acteur et de son personnage y prend des proportions vertigineuses. Au point que l’on se demande en cours de visionnement, et avec un brin d’anxiété, si sa performance relève du jeu, de la pathologie, ou d’un accès de mégalomanie dû à son statut de superstar (?). Car la frontière entre les coulisses et le tournage s’avère ici inexistante : en off, Carrey ne cesse de multiplier les provocations contre Jerry Lawler, le catcheur auquel Andy Kaufman s’était confronté lors d’un combat mémorable le 5 avril 1982, à l’issue duquel l’humoriste, autoproclamé champion de catch inter-genres (il ne combattait que des femmes !), sortait sur civière, K.O. Ou encore lorsque Jim Carrey se rend à la propriété de Spielberg pour y foutre le bordel, affublé de la dégaine bedonnante de Tony Clifton, autre avatar célèbre de Kaufman…
Sur le plateau de tournage, Miloš Forman semble complètement dépassé par l’acteur devenu incontrôlable. De telles impressions contrastent en tout cas avec les récentes interviews qui ponctuent le documentaire : la mine étrangement neutre, Jim Carrey pose, barbe au menton et cuir sur le dos, en essayant de nous rassurer sur sa santé mentale. Non seulement il va très bien, confesse-t-il, mais il n’hésite pas à verser dans la méta-interprétation en affirmant que chaque film dans lequel il a joué correspondait à un stade de sa vie (The Truman Show est le film de son propre égarement). Et qu’il n’a fait que reprendre à son compte le principe mystificateur qui a fait la réputation de Kaufman : brouiller les identités, rendre poreuses les frontières entre la fiction et la réalité…