Pour la réouverture de la Cinémathèque, un cycle de films dédié aux figures diaboliques fait écho à l’exposition L’homme gris qui se tient, jusqu’au 6 juin 2021, au Casino Luxembourg-Forum d’art contemporain. Cinq réalisations majeures sont à cette occasion projetées sur grand écran : Les Diables (1971) du Britannique Ken Russell ; Suspiria (1977), chef-d’œuvre baroque et coloriste de l’Italien Dario Argento, mais aussi Possession (1981) du Polonais Andrzej Zulawski et, plus loin encore, Häxan (1922) du Danois Benjamin Christensen. Comme l’indiquent leurs dates de réalisation, l’intérêt pour les mondes interlopes et surnaturels est particulièrement vif autour des années 70, une décennie que l’on sait fortement marquée par les transgressions en tous genres, pour le meilleur (la liberté sexuelle) comme pour le pire (Charles Manson).
On aurait en tout cas tort de croire que la thématique du diable serait désuète, voire définitivement anachronique. Non loin d’ici, la région Lorraine fut mondialement connue pour être un haut lieu de la chasse aux sorcières : au nom de Dieu, des milliers de femmes innocentes furent condamnées au bûcher. La lecture de la Démonolâtrie (1592) est à ce propos instructive, l’ouvrage de Nicolas Remy recensant les exécutions et les cas de tortures perpétrés au cours de ses quinze années de juge au sein du tribunal de Nancy. On s’aperçoit que le sujet est au contraire pleinement d’actualité. Avec le mouvement #MeToo, un engouement nouveau pour la sorcellerie s’est fait jour, teinté bien sûr de féminisme, comme en témoigne par exemple l’essai de Mona Chollet (Sorcières : la puissance invaincue des femmes, La Découverte, 2018). Nombreuses sont aujourd’hui les féministes à revendiquer ou réhabiliter cet héritage hérétique. Sur un versant négatif, les réseaux sociaux du 21e siècle sont les vecteurs de véritables anathèmes, faisant fi de toute présomption d’innocence. Hier comme aujourd’hui, les rumeurs sont potentiellement criminelles. Les chasses aux sorcières – et aux sorciers – ne se sont donc point interrompues.
Dix ans après Jerzy Kawalerowicz (Mère Jeanne des anges, 1961), c’est au tour de Ken Russell de s’emparer, avec brio, de l’histoire des possédés de Loudun dans Les Diables. Au 17e siècle, pendant que Louis XIII batifole au milieu d’une cour frivole et dégénérée, Richelieu accroît son influence pour faire massacrer les protestants de France et rendre enfin absolu le pouvoir royal. L’abbé Grandier, connu pour sa beauté et ses penchants charnels, défend, contre Richelieu, les Huguenots et les fondations de la cité. À cette intrigue politique s’ajoutent la jalousie et la convoitise de nonnes frustrées ; le désir sexuel, lorsqu’il demeure inassouvi, se meut en son contraire, faisant germer un désir de mort qui se retourne contre elles-mêmes (la flagellation étant de rigueur au sein du couvent des Ursulines), puis contre Grandier, dont les cruelles épreuves vont finalement révéler la grandeur et l’intégrité.
Voilà donc réunis les principaux ingrédients du genre maléfique. Des femmes ardentes contorsionnées par l’hystérie (un registre dans lequel Isabelle Adjani excelle dans Possession). Des éléments fantastiques qui ne cessent de charrier les frontières du réel (Suspiria). Un fonds pictural (Bosch, Goya, Grünewald) d’où émergent des créatures de toutes sortes (Häxan). Et des autorités religieuses et politiques qui ont seules pouvoir de décider ce qui relèvent ou non du sacré... Est-ce le diable ou dieu qui gît dans les détails ? Ou n’est-ce là que les deux faces, positive et négative, d’une même réalité ?