Législation sur la presse

En retard et déjà dépassée

d'Lëtzebuerger Land du 03.12.1998

Que la loi du 20 juillet 1869 sur la presse et les délits commis par les divers moyens de publication, dont la dernière modification date de 1966, est une loi archaïque qui ne correspond plus aux réalités actuelles, est un constat qui trouve l'unanimité auprès des instances concernées. Qu'il faille adapter, moderniser cette loi trouve donc un large accord, mais dès qu'il s'agit de transposer ce voeu pieu, la machine semble s'enrhumer.

En 1984, le Premier ministre de l'époque, Pierre Werner, avait chargé une commission spéciale de rechaper le texte dépassé, mais cette commission composée de représentants du gouvernement, du parquet et des deux associations de journalistes n'a jamais pu se mettre d'accord. À l'image de la nouvelle proposition concernant le droit de réponse, qui d'antan avait trouvé l'accord de la commission, mais le parfait désaccord du Conseil d'État, les travaux de cette entité sont restés infructueux.

Le 18 décembre 1997 enfin, le Conseil de presse a remis son avis sur la modernisation de la loi de 1869, rédigé par son président de l'époque Henri Grethen, au Premier ministre et ministre des Médias, Jean-Claude Juncker. Au moins depuis lors, le projet de loi est « en instance d'élaboration » au Service des médias et de l'audiovisuel du ministère de l'État. L'avis du Conseil de presse y est considéré non pas comme une voie à suivre, mais a uniquement été demandé « pour savoir ce qu'en pense la profession, pour savoir où résident ses priorités ». En ce qui concerne le traitement du dossier « loi sur le presse », celui-ci est considéré comme prioritaire sans que les choses soient pour autant accélérées à vitesse grand V. L'avancement des travaux « se fait au fur et à mesure et selon les priorités arrêtées ».

Le constat de la situation actuelle est ainsi amer : le Luxembourg dispose d'une des législations en matière de presse les plus archaïques et par là des plus restrictives en Europe. Cette législation est aussi des plus diffuses ou disparates, étant donné que la presse (médias électroniques inclus st actuellement régie par pas moins de quatorze lois, règlements grands-ducaux ou article constitutionnel.

Le choix de regrouper tous ces textes - réadaptés - en une seule loi globale n'a cependant pas été retenue. Outre la vastitude des matières à inclure dans ce texte législatif (l'aide à la presse écrite, le soutien au secteur audio-visuel, la protection du titre de journaliste, la loi sur la presse en général...), ce sont les intérêts divergents entre, par exemple, la presse écrite et la presse audiovisuelle ou encore les journalistes et les éditeurs, qui d'office excluent l'hypothèse d'une loi globale. Dans son avis, le Conseil de presse note ainsi « comme alternative à cette solution (qui présente un certain nombre de complications voire obstacles de nature politique et juridique), il reste néanmoins la possibilité de réunir ces différents textes dans un « Code de la communication », solution cependant moins satisfaisante pour les besoins de la cause. La presse écrite devrait bénéficier d'une protection particulière pour assurer le pluralisme des titres face à la concurrence des médias électroniques. »

Si l'avis du Conseil de presse fait état dans ses considérations générales, de façon directe ou indirecte, des multiples facettes de la réglementation des médias, le corps même de l'avis se limite à quelques dispositions de la seule loi sur la presse. Généralement, et sans donner de détails, la Conseil de presse, qui regroupe de façon paritaire les journalistes et leurs employeurs, les éditeurs, revendique le devoir de non-ingérence des pouvoirs publics dans le domaine de la presse.

 

Non-ingérence des pouvoirs publics

 

Cette revendication peut toutefois soulever, in fine, des interrogations. Si l'aide à la presse est un phénomène assez répandu dans d'autres pays afin de garantir la diversité et la pluralité de la presse, les critiques la concernant ne sont pas moins tranchantes. Ainsi, en Autriche, où l'aide à la presse écrite est distribuée aux quotidiens qui ne dépassent pas les 22 pour cent de publicité en volume total (cf. d'Letzeburger Land n° 46/98), le Salzburger Institut für Publizistik voit dans ce soutien une « motivation de mainmise économique du monde politique partisan sur le monde de l'édition ». Au Luxembourg, où la loi d'aide directe de l'État à la presse écrite - vitale pour la grande majorité des publications à vocation journalistique, d'Letzeburger Land inclus - a été récemment modifiée, cette façon de voir les choses concorde partiellement. D'un côté, la loi favorise financièrement - tout en garantissant la survie économique des autres - les publications ayant un tirage important, c'est-à-dire le Luxemburger Wort et le tageblatt. Alors que jusqu'à présent, seul un représentant de l'Association des journalistes luxembourgeois (où sont regroupés le quasi-totalité des journalistes du pays) faisait partie, et de trois représentants gouvernementaux, de la commission de contrôle, ce cercle a été élargi à un représentant de l'Union des journalistes Luxembourg qui regroupe exclusivement des journalistes de l'imprimerie Saint-Paul, éditrice du Luxemburger Wort, du Télécran et du Sonndesblaad ainsi que propriétaire du De neie Radio (DNR).

Outre la non-ingérence des pouvoirs publics, le Conseil de presse énumère trois obligations que « la nouvelle législation devrait nécessairement imposer aux pouvoirs publics » pour garantir le devoir de la presse d'informer :

- favoriser l'accès des journalistes à l'information,

- spécifier les cas où le droit à l'information n'est pas existant,

- régler le droit des fonctionnaires à divulguer les informations dont ils disposent.

Cette dernière revendication, puisée dans le rapport de la Commission juridique et des droits du citoyen du Parlement européen, vise clairement la « circulaire Santer » de 1990. À l'époque, Jacques Santer, alors Premier ministre, avait rappelé aux fonctionnaires qu'« ils ne sont libres ni d'organiser des conférences de presse de leur propre initiative, ni de donner des interviews ou de faire parvenir à la presse des informations sur des affaires relevant de leur service ». Cette circulaire est théoriquement toujours en vigueur et l'actuel Premier ministre, suite à des déclarations faites par un fonctionnaire de l'administration de l'Enregistrement, vient de la brandir en éventail en menaçant de la faire suivre à la lettre.

D'autres textes similaires dans leur esprit sont actuellement toujours en vigueur, la loi de 1869 étant une loi à caractère répressif où le droit de publication prime de loin le droit de l'information. Lors de l'élaboration de la loi, les auteurs accordaient aux institutions un large contrôle du monde de l'édition. De l'avis du Conseil de presse, une loi moderne sur la presse doit « avant tout garantir les droits inhérents à la liberté de presse (uniquement garanti par l'article 24 de la Constitution à l'heure actuelle) et ne traiter des dispositions pénales qu'au second plan ». Partant du constat que la majorité des infractions pouvant être commises par voie de presse (calomnie, diffamation, injure) existent dans d'autres textes législatifs, la loi sur la presse pourrait simplement renvoyer à ces textes. Cette proposition, qui peut surprendre à première vue, trouve son fondement dans les articles 1382 et 1383 du code civil définissant la responsabilité civile. La plupart des procès intentés à des publications ou à des journalistes se font, de toute façon, sur base du code civil et non pas à travers la loi sur la presse (cf. d'Letzeburger Land n° 46/98) et le Conseil de presse note dans son avis: « En raison de la généralité de leurs termes, ces dispositions s'appliquent en toutes matières et par conséquent aussi en celles des libertés fondamentales et donc particulièrement en celle de la liberté de la presse ».

 

Une loi dépassée avant même d'exister

 

À part ces considérations plutôt générales, deux éléments (« préoccupations primordiales ») sont analysées plus en détail dans l'avis du Conseil de presse : le droit de taire ses sources et le droit de réponse.

Le droit de réponse, sous sa forme actuelle, est assimilé à un droit de la personnalité humaine et non pas à un droit de légitime défense (Art. 22 al. 1 - Toute personne citée dans un journal, soit nominativement, soit indirectement, aura le droit d'y faire insérer gratuitement une réponse d'une étendue double de celle de l'article auquel elle s'applique et qui, dans tous les cas, pourra comprendre mille lettres d'écriture). En obligeant la personne voulant introduire un droit de réponse d'être motivée par un intérêt légitime, les abus possibles que peut occasionner le texte en vigueur seraient éliminés.

La nouvelle loi sur la presse devrait aussi considérer le droit du journaliste de ne pas devoir divulguer ses sources d'information. Ancré dans l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, corroboré par la Cour européenne des droits de l'Homme (arrêt Goodwin, 1996 : la protection des sources journalistiques est une des pierres angulaires de la liberté de la presse, (...) une divulgation de ces sources ne peut se justifier au regard de la Convention que par un impératif prépondérant de l'intérêt public), le « secret journalistique » est absent de la législation luxembourgeoise. Le journaliste pourrait ainsi être forcé, une fois cité en justice, à révéler ses sources.

L'avis du Conseil de presse, s'il reprend des revendications nécessaires et utiles, pèche cependant par un manque de cohérence et par un manque de vision. En se limitant à quelques aspects de la loi sur la presse de 1869 et en ne considérant pas les interférences avec les autres lois du secteur, le nouveau texte est dépassé avant même d'exister.

Tout d'abord, le nouveau média qu'est Internet est superbement ignoré. Certes, une législation nationale pour réglementer ce média à caractère planétaire est inadaptée, mais une ébauche de réflexion rien que pour se situer par rapport à ce média semble cependant nécessaire.

Ensuite, le statut du journaliste, le fonctionnement du Conseil de presse (qui de fait contrôle uniquement la distribution des cartes professionnelles), la relation entre l'éditeur et le journaliste, l'incorporation des médias électroniques dans le cadre global de la presse sont autant de points qui devraient être clarifiés respectivement définis pour que la loi de 1869, dans sa nouvelle version, respectera la situation actuelle et pourra évoluer avec le temps.

marc gerges
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