Laura (Erika Sainte) a été violée par son père (Jean-François Wolff) pendant toute son enfance. Lorsque ce dernier tombe dans le coma après un accident de la route, c’est une occasion inespérée pour la jeune femme. Une occasion de régler ses comptes avec le monstre, dont les actes inavouables semblent lui avoir gâché la vie à tout jamais. Et une chance de prononcer enfin à voix haute la vérité. Tous les jours, elle lui rend visite, lui pose des questions, lui remémore les détails, l’insulte... Laura ne sait pas s’il peut l’entendre ou s’il va se réveiller un jour. Mais peu importe, ce qui compte est l’espoir que cette confrontation, après tant d’années de souffrance la soulagera et lui permettra enfin de vivre une vie normale.
Tiré du roman éponyme écrit par Amélie Sarn, Elle ne pleure pas, elle chante, poursuit l’intention de se focaliser sur les conséquences et non pas sur les circonstances elles-mêmes de l’abus sexuel commis dans le cercle familial. D’où ces décors épurés, reflet du vide qui entoure la victime. Certaines questions ne connaîtront jamais de réponse et aucune explication ne pourra rendre pardonnable le crime dont elle fut la victime. La donne est claire et on distingue rapidement ceux qui ne savent pas et ceux qui ne veulent pas savoir.
Ne reste plus qu’à savoir si Laura arrivera à surmonter ses angoisses, sa méfiance et son dégoût. Ici, chaque plan a une signification précise. Les gamines discutant dans le métro représentent l’adolescence insouciante qu’elle n’a jamais connue, le carton qu’elle dresse comme table de dîner, le caractère provisoire de ses relations amoureuses. En jouant sur la répétition, le réalisateur Philippe de Pierpont montre à quel point l’univers de Laura est limité et comment chaque détail de sa vie la ramène vers l’obstacle psychologique qu’est son père.
Le cinéaste belge n’habille pas inutilement son histoire et veille à ce que tout soit clair, trop clair même. Seuls la mère (Marijke Pinoy) et le frère (Jules Werner), uniques témoins possibles, capables de répondre encore aux déclarations de Laura, peuvent réserver des surprises. L’une toujours crispée cherchant à tenir les conversations à un niveau superficiel, l’autre un père modèle d’une générosité presque suspecte, sont les antipodes de cette structure familiale maintenue par un mensonge.
Des personnages aux cadrages, qui, eux, font clairement ressortir l’historien d’art dans le cinéaste belge, tout est parfaitement équilibré. Ainsi le film redirige sans cesse le regard du spectateur sur l’essentiel, à savoir les conflits de son personnage principal, mais stylise en même temps son intrigue au point de la rendre stérile. Les acteurs remplissent irréprochablement leurs fonctions dans la mise en scène schématique. Jules Werner en frère complice, Marijke Pinoy en mère soumise et Erika Sainte en victime de viol traumatisée.
Elle ne pleure pas, elle chante, qui a été co-produit par la société luxembourgeoise Tarantula, se veut le récit d’un passage, d’une étape, qu’il arrive finalement, et malgré toute aseptisation, à rendre crédible. Un mérite qu’il doit surtout à une jeune actrice principale audacieuse et talentueuse.