La solitude, la violence, l’incompréhension. Quand Charles Killian (voix de Feodor Atkine) croise pour la première fois le chemin de Jim, alias Jimbo (voix de Mathieu Kassovitz) au centre psychiatrique, il se heurte à son monde. L’adolescent a vu ses parents mourir sous ses yeux et s’accuse du double meurtre, sans justification. Killian est le seul à le comprendre et va le prendre sous son aile. Des années plus tard, Jimbo est devenu enseignant à l’université new-yorkaise fondée par son bienfaiteur et veille sur sa fondation. Marié à la belle Ann (voix de Claire Guyot), il passe pourtant encore beaucoup de temps parmi ses ordinateurs et autres logiciels, dont un jeu qu’il a lui-même créé en rêvant d’une relève.
Cinq ados, cinq Prodigies, parviennent à ce challenge secret : Liza (voix de Jessica Monceau), Gil (voix de Thomas Sagols), Sammy (voix de David Scarpuzza), Harry (voix de Diouc Koma) et Lee (voix de Sophie Chen). Ils ont en commun d’être délaissés par leurs parents et méprisés par leurs camarades, une mise à l’écart due à leur intelligence supérieure mais aussi à une sensibilité mal assumée. Melanie (voix de Julie Dumas), l’héritière de l’empire Killian, voit en eux une opportunité pécuniaire à ne pas manquer : la création d’un jeu télévisé qui les verrait s’affronter. Mais le soir de leur rencontre, ils sont agressés dans Central Park. Liza subit les assauts de deux hommes et sombre dans le coma. Les quatre rescapés ont désormais la haine chevillée au corps et ne jurent que par la vengeance. Le monde extérieur leur apparaît comme une agression perpétuelle et seul Jimbo sait jusqu’où ils peuvent aller. Car comme eux, il connaît la manipulation, la prise de pouvoir sur le corps et l’esprit d’autrui, la ténacité de la fureur pour atteindre la prise de pouvoir, pour enfin connaître la « Nuit des enfants rois », où tout serait possible.
Née sous la plume inspirée de Bernard Lenteric en 1981, cette histoire a marqué l’imagination de plusieurs générations avant d’être enfin adaptée en un film d’animation remarquable. Il s’adresse tout d’abord à ses premiers lecteurs, devenus adultes : l’univers graphique, signé Viktor Antonov, comme les choix scénaristiques ne cachent rien de la violence faite aux prodiges et qu’ils reproduisent à l’envi. La ville est trop puissante, le viol et le meurtre sont passionnels, explicites et moteurs. Jimbo, l’être exceptionnel que l’on nous présentait au début, est lui-même terrassé par ses créatures, floutant davantage les limites. Les enfants, ici, sont présentés comme immatures et victime de leur fougue vengeresse : détruire le monde, et après ? Nulle proposition et une réflexion uniquement alimentée par l’instant présent viendront contrecarrer leur plan final, tout en commettant l’irréparable. Les émotions s’enchaînent, amenées par une écriture fluide, fruit d’une énième collaboration entre Alexandre de la Patellière et Mathieu Delaporte, scénaristes, entre autre, de Renaissance (Christian Volckman, 2006), également produit par Aton Soumache et dont on ressent souvent l’influence.
Les partis pris visuels, couleurs délavées ou très contrastées selon la tension ressentie par les personnages, s’ils ne sont pas novateurs, témoignent de l’implication du réalisateur, Antoine Charreyron, qui a surtout fait ses armes dans la création de séquences cinématiques pour des jeux vidéos et dont on retrouve le style dans l’apparence des personnages. Ceux-ci ont d’ailleurs été crées, en partie, au grand-duché puisque Luxanimation, société coproductrice du film, fut en effet chargée de réaliser la « motion capture » : tous les mouvements et expressions des comédiens, enregistrés par des capteurs, se retrouvent ensuite sur les personnages. Nilton Martins, comédien lusitano-luxembourgeois, y incarne à cette occasion le taciturne Sammy.
Énergique et affirmé, le film ne manque pas de ressources pour captiver le spectateur. Malgré tout, il est parfois victime de ses trouvailles en s’éparpillant dans des pistes qu’il abandonne tout aussitôt, laissant planer le doute sur la solidité de ses arguments.