Si l’on devait choisir un symbole pour l’année 2015 écoulée, une figure emblématique des douze derniers mois passés au Luxembourg, ce pourrait être le trou. L’entreprise générale de transformation de la capitale en fromage suisse semble avoir pris une nouvelle dimension cette année, avec un rythme qui devrait se maintenir en 2016, selon les prévisions les plus pessimistes (ou optimistes si l’on considère le nombre de trous comme un bon indicateur de la santé économique du secteur du bâtiment, et donc du pays).
La tant attendue ouverture à la circulation de la Route du Nord, en septembre dernier, a marqué la fin d’une entreprise dont il faudra chercher peut-être jusqu’aux premiers pas sur la Lune pour retrouver un équivalent en terme d’exploit ! La fin de ce long chantier semble avoir déclenché des vocations pour en démarrer de nouveaux. En tout cas, ça creuse de partout. Et ce n’est pas pour trouver de l’or ou du pétrole ! Au contraire, on imagine que les promoteurs préfèrent éviter de tomber sur des trésors ou des ruines historiques qui risquent d’enterrer définitivement des plannings souvent bien tendus. Ce sont des trous pour changer des tuyaux, ajouter des câbles de fibre optique, construire des parkings, jeter des fondations de nouvelles constructions, bâtir un nouveau centre-ville. Des trous pour élever de nouvelles tours au Kirchberg. Encore des tours de bureaux, évidemment, mais aussi une première tour d’habitation en face de la Philharmonie, avec vue imprenable sur la ville et les embouteillages sur le Pont rouge. Des trous partout, des trous pour tous. On frémit de ce qu’aurait pu donner un chantier pour construire un tunnel ou un métro en lieu et place du tram, comme proposé jadis par certaines formations politiques.
En dehors de sa fonction utilitaire, évidente, lorsque de telles proportions sont atteintes, on peut se demander ce que révèle cette propension des pouvoirs publics à se comporter comme un bricoleur qui aurait reçu une nouvelle perceuse à percussion et une boîte de forêts neufs. Donnez à un homme une perceuse et un mur lisse, ou offrez une pelle à un enfant dans un bac à sable, et rien ne sera plus urgent que de percer, creuser, trouer, fouiller. Pas besoin de longues études de psychologie pour y déceler un symbole maternel évident, un désir de retour aux origines, quand bien même l’image féminine serait contrebalancée par les symboles phalliques des nombreuses grues érigées aux alentours… D’ailleurs, en parlant de trou, tout bien réfléchi, est-ce que la capitale, avec ses casemates, n’aurait pas ses origines dans les profondeurs du rocher du Bock ?
La symbolique du trou c’est aussi le vide, le manque, l’absence, l’oubli, le trou de mémoire, le trou dans les finances publiques, le trou dans la couche d’ozone qui nous menaçait déjà il y a vingt ans avant qu’il ne soit question de réchauffement climatique, voire le trou noir, dont rien ne ressort. Autant de raisons de s’angoisser. Mais c’est aussi l’ouverture, le bout du tunnel, la percée historique, le trou normand qui vous a permis d’ingérer en un seul réveillon de la Saint Sylvestre plus de calories qu’en une semaine normale.
Alors, s’il fallait faire un unique vœu pour ces douze prochains mois, c’est qu’aucun de nous ne finisse six pieds sous terre. Aucun trou ni pour vous ni pour vos proches. Ni même pour un abri de jardin ou une piscine. Puisse l’année 2016 nous amener un peu plus à regarder vers le haut, et nous apporter un peu de légèreté et de superficialité.