Un grand sourire aux lèvres, vêtue d’une veste et d’’un pantalon bleu nuit (« pas noir, jamais noir »), et des baskets blanches, Claudine Kaell s’avance sur le plateau sous la coupole des Rotondes, avec, à ses bras, d’un côté Jean Back, directeur du CNA (maître d’ouvrage) et de l’autre un de ses maîtres à penser, Jim Clemes. C’est dans dans le bureau de ce dernier qu’elle a commencé sa carrière d’architecte, c’est avec lui qu’elle s’était associée momentanément pour le projet vainqueur du prix de l’architecture non-résidentielle pour le Waassertuerm Dudelange, qui avec le Pom’house a été réaménagé pour abriter l’exposition iconique The Bitter Years d’Edward Steichen. Pour mettre en valeur ces images belles et brutes de la grande dépression, le projet de réaménagement de l’ancienne tour d’eau, les sertit tel un joaillier par une monture, ici l’escalier et l’ascenseur quasi invisible en béton planché.
« Le jury a visité le bâtiment et ils ont unanimement voté pour... », explique l’architecte. « C’est un bâtiment poétique, plein de surprises, qui joue avec le visiteur. Quand tu montes, c’est le vertige qui joue avec toi, la hauteur, le paysage, la vue, les espaces serrés t’enferment... Les images (de l’exposition) sont prenantes ! Et ensuite, tu déambules vers la sortie – tu es tout joyeux quand tu arrives en bas. Cette balade rend tout le monde joyeux, c’est une expérience merveilleuse, une promenade architecturale philosophique. »
Le design est juste et pas surfait, pas d’effet wow, mais d’une simplicité honnête et cohérente. Simplicité et honnêteté pourraient définir les projets de Claudine Kaell en général. « Il ne s’agit jamais de faire de l’architecture pour faire de l’architecture ». C’est un geste qui découle d’une écoute, d’une analyse, d’une réflexion, pour trouver la meilleure solution, la solution juste.
« À l’université, on nous a montré de magnifiques bâtiments de toutes les époques, mais quand je regarde autour de moi (au Luxembourg) je vois beaucoup de constructions qui me rendent tristes, sans queue ni tête, sans amour, sans âme. »
Selon Claudine Kaell, l’architecte doit se faire un devoir de créer – autant dans de petits, que dans de grands contextes – des « espaces où l’on désire séjourner et revenir. » Pour qu’elle apprécie un bâtiment, il doit être juste dans sa fonction, en proportions, par les matériaux et les couleurs ». « Il ne faut pas que ce soit ni cher, ni trendy, ni moderne pour être beau. Il faut simplement que cela exprime quelque chose... avec un peu d’amour. »
Lors des voyages d’études qu’elle fait une fois par an avec d’autre architectes – dont Claudine Arendt, de A+T Architecture, en association avec laquelle elle a remporté le prix spécial du jury pour l’architecture résidentielle pour le projet Foyer Domitilia (« C’est un projet simple et fonctionnel, qui s’intègre totalement dans le contexte de la rue »), et Michel Petit, (« Lui aussi m’a beaucoup influencé dans mon travail ») – elle visite la Suisse, la Flandre, les Pays-Bas. Où, par exemple à Harlem/Amsterdam, elle a rencontré une unité urbanistique et architecturale : de petites maisons avec des fleurs et des bancs qui lui plaisent car exprimant une joie de vivre.
« C’est dommage, au Luxembourg, nous avons souvent une architecture trop brutale, de la High-light Architecture, des bâtiments immenses et farfelus, spectaculaires et démesurés et dépourvus de toute réflexion urbanistique », regrette-t-elle. Claudine préfère des projets sobres, modestes, qui s’intègrent dans leur environnement, qu’il soit urbain ou rural. Son projet Haus vun der Natur à Kockelscheuer illustre cette approche, où une maison avec toit en double-pente, vêtue de bois, sans aucun pare-soleil, seulement l’analyse et l’adaptation juste de la situation environnante, des points de vue vers les prairies en fleurs et les ânes et les moutons, à hauteur de vue des enfants, une façade qui découle entièrement de l’usage de l’intérieur du bâtiment... « Il faut faire des projets pour permettre aux enfants et aux gens en général de devenir sensibles à leur entourage, pas des messages tape-à-l’œil. Il faut intégrer le projet dans son environnement et dans la nature. »
L’usager est toujours au centre de sa réflexion dans l’élaboration de son programme architectural : « Si je sais bien faire quelque-chose, c’est écouter. » Et Claudine Kaell de continuer :« Je n’ai jamais fait un projet qui ne m’a pas plu. C’est mon professeur d’université M. Dreysse qui nous a toujours dit : Tant que tu n’as pas réalisé un projet où tu aimerais habiter toi-même, ne le présente pas à ton client. »
C’est cette devise, l’humilité de l’exercice, d’écouter le client et de trouver la meilleure solution à sa requête, sans lui imposer quelque-chose, qui guide Claudine dans ses réalisations, qu’elle mène à terme avec beaucoup de détermination et d’investissement personnel. La responsabilité sociale dont a parlé le président du jury, lors de la remise des prix jeudi dernier, selon Claudine Kaell, serait de créer un cadre de vie harmonieux, intégré dans son contexte. « Intégration et implantation » sont deux maîtres mots qui jouent des rôles importants dans son approche. « Des fois, dit-elle, il faut demander une dérogation au règlement des bâtisses, si la solution proposée s’implante mieux dans le paysage que ce que règlement prévoit. »
Cette architecte de 45 ans, pas une personne médiatique, a exprimé sa joie face à cette récompense – qui vient doubler celle de la semaine passée pour le Prix projet d’habitation Construction Acier 2015 – Extension de la maison HG lors de la cérémonie de gala organisé par Luca aux Rotondes. « J’étais super contente d’être récompensée, j’étais fière d’être nominée, mais je ne m’y attendais pas du tout de gagner. »
En regardant en arrière sur le début de ce projet du Wassertuerm, qui aura duré dix ans et durant lequel elle a aussi fondé une famille avec trois enfants (en association avec Charles Wennig), elle est satisfaite et se réjouit déjà de savoir où elle sera dans dix ans et quels projets elle aura réalisés d’ici-là.
Architecte à suivre !