« Die Dinge können kippen. / Es ist die Wahl zwischen Sicherheit und Freiheit. » – extrait de Trotzdem, discussion entre Ferdinand von Schirach et Alexander Kluge (Luchterhand)
« Je suis tout à fait prêt à enchaîner les réunions pour trouver le consensus, souffle Mars Di Bartolomeo, s’il le faut, on en fera de cinq heures d’affilée ». L’ancien ministre socialiste de la Santé prend le travail sur les trois textes de loi de sortie de crise déposés le 29 mai par le Premier ministre Xavier Bettel (DP) et la ministre de la Santé Paulette Lenert (LSAP) très au sérieux. Il en est concerné non seulement en tant que président des commissions parlementaires de la Santé et des Sports ainsi que des Institutions et de la Révision constitutionnelle, mais en fut en outre désigné rapporteur. La Chambre des députés enchaîne les réunions dans les différentes commissions à rythme quasi quotidien cette semaine : une réunion de la commission de la Santé ce mardi, une réunion jointe avec la commission de la Justice ce mercredi, et encore une fois la Santé aujourd’hui vendredi, avec pour objectif un vote des textes dans la semaine du 15 juin pour une entrée en vigueur la semaine suivante.
Un premier texte, n°7605, abroge officiellement l’état de crise, introduit le 18 mars par règlement grand-ducal et prolongé par voie législative le 24 mars. En théorie, ce projet de loi est superfétatoire, parce que l’état de crise a une durée maximale de trois mois et viendra donc de toute façon à échéance le 23 juin (le jour de la Fête nationale). Cette fin de l’état de crise rendra caduc toutes les mesures de protection de la population instaurées par voie réglementaire en de nombreuses modifications successives, introduisant d’abord la confinement radical, puis le libéralisant peu à peu. Par souci de parallélisme des formes, ce projet de loi demande dans son exposé des motifs à être voté, comme l’instauration de l’état de crise, à une majorité qualifiée de deux tiers des députés.
Mais le coronavirus n’a pas disparu, même si les chiffres de nouvelles infections se sont stabilisés à un niveau extrêmement bas, entre une et quatre personnes par jour cette semaine, et ceci sur de très larges échantillons de 1 500 tests quotidiens. Presque 80 000 personnes auront été testées en trois mois, dont 4 000 se sont avérées porteuses du virus, 110 sont mortes et 33 malades sont toujours hospitalisés, dont deux en soins intensifs (chiffres : ministère de la Santé, état : jeudi 4 juin en journée). Depuis un mois, le gouvernement et le Parlement cherchent donc une sortie de crise, qui permette aux institutions de jouer pleinement leurs rôles respectifs, notamment à la Chambre des députés de retrouver son plein pouvoir de législateur, tout en permettant aux responsables de la Santé de réagir vite. « Je crois pouvoir dire que nous avons prouvé que la Chambre a parfaitement fonctionné durant toute cette crise et que nous pouvons légiférer en quelques jours s’il le faut », insiste Mars Di Bartolomeo. Il se pourrait que même l’été soit fait de travail, si nécessaire.
Car les deux projets de loi en discussions, n°7606 pour les mesures concernant la protection des personnes et le n°7607 concernant les activités économiques ou accueillant un public, ont une durée très limitée d’un mois et viennent donc à échéance le 25 juillet. La philosophie qui les préside : l’État rendra une part plus grande de responsabilité aux citoyens eux-mêmes. Moins d’interdits implique aussi plus de précautions individuelles et de respect mutuel. Pour quelque temps encore, il faudra vivre avec les gestes barrières et les équipements de protection.
En gros, les deux textes reprennent les normes et restrictions instaurées fin mai avec la troisième phase du déconfinement, via règlement grand-ducal : limitation des tablées dans les restaurants et cafés à quatre par table ; à six personnes dans les foyers privés ou à vingt personnes en extérieur ; respect des distances sociales de 1,5 mètres (assis) respectivement deux mètres entre les personnes ; obligation du port du masque si cette distance n’est pas donnée. Restent interdits les foires et salons, les activités de wellness au-delà d’une personne, les activités de jeux intérieurs, les sports d’équipe.
Et, selon le projet de loi, les aires de jeux publiques devraient rester fermées, ce qui provoque l’ire de l’opposition et de nombreux parents, qui ne comprennent pas que les terrasses des bars puissent être bondées comme elles le furent durant le week-end prolongé de la Pentecôte, mais que leurs jeunes enfants ne puissent pas faire du toboggan. Pour Mars Di Bartolomeo, il s’agit d’une conséquence logique de contrôle des possibilités d’infection : « Si nous avons mis en place une organisation très rigoureuse avec de nombreuses restrictions dans les écoles et les structures de gardes, il faudrait alors mettre cinq policiers sur chaque aire de jeux pour éviter que les enfants s’embrassent ou se bagarrent ? » Une aberration pour le député du CSV Laurent Mosar, membre de la commission de la Justice, qui demande que cette interdiction soit levée.
Le deuxième point d’achoppement, majeur, invoqué par l’opposition surtout, concerne les normes de l’État de droit. Essentiellement les pouvoirs accordés à la Direction de la santé, ce qui avait déjà fait capoter un premier avant-avant-projet de loi à la mi-mai. En prolongation de la loi de 1980 sur cette Direction, qui érige ses médecins en officiers de police judiciaire, leur attribuant des pouvoirs grâce auxquels ils peuvent édicter des hospitalisations forcées « lorsqu’il s’agit de prévenir ou de combattre des maladies contagieuses ou des contaminations » (article 10) – ce qui se fait, classiquement, pour des cas de malaria ou de méningite par exemple –, ce texte-ci adapte ces mêmes pouvoirs pour les cas de Covid-19. Il prévoit des mises en isolement pour les personnes infectées et en quarantaine pour les personnes « présumées infectées » (qui furent exposées au virus ou en contact prolongé et sans port de masque avec un malade) et, si la personne concernée refuse de s’y soumettre, une hospitalisation forcée par voie d’ordonnance par le procureur d’État saisi par le directeur de la Santé. Cette privation de liberté préventive, pour éviter qu’une personne malade du coronavirus n’infecte plus de monde, fait également débat, surtout pour la durée du recours ou les pouvoirs élargis attribués aux agents administratifs. Des propositions d’amendements ont été soumises mercredi soir, ce dont se réjouit Mosar. L’article 8 du projet de loi prévoit en outre que le gouvernement soit régulièrement informé de telles mesures par la direction de la Santé ; dans ses amendements, la Chambre des députés demande à être associée à ce processus d’échange, comme elle le fut tout au long de l’état de crise et du processus de sortie de cette crise.
Pour Mars Di Bartolomeo, il ne fait pas de doute que sur les sujets de sécurité sanitaire, l’intérêt général doit primer sur l’intérêt individuel. « De par mon expérience, je viens du souci de la santé publique, affirme Charles Margue, président Déi Gréng de la commission de la Justice. Et je sais que, pour réagir à une maladie infectieuse, il faut pouvoir réagir vite. Mais il nous faut quand même respecter tous les principes de l’État de droit. »
Jusqu’à présent, l’extrême prudence avec laquelle a avancé, par étapes, le gouvernement dans son retour à la normalité s’est avérée juste et la propagation du virus a pu être enrayée. Néanmoins, les virologues internationaux mettent déjà en garde devant une deuxième vague en automne. Ces deux nouveaux projets de loi viennent à échéance fin juillet. La situation sanitaire de l’été décidera alors si on peut retourner à une ouverture complète à ce moment-là, ou si une prolongation devra être votée.