Cheveux plaqués en arrière. Un teint halé lié au tout récent retour de vacances en Corse. Cyril Dreesen tend une main ferme devant les vitrines de l’alléchante cave à vin de l’hypermarché. Il tient à ses lèvres un sourire qu’on explique par sa fierté d’avoir ouvert ce laboratoire du groupe Auchan dans un contexte peu amène (voir ci-contre) et de l’expliquer tour à tour aux journalistes intéressés. Et ils ont été nombreux ces dernières semaines.
Son patronyme renvoie à ses origines flamandes, mais Cyril Dreesen est né en 1978 à Bordeaux. Il a navigué durant les premières années de son existence entre la Syrie, le Liban, la Jordanie ou le Nigeria, où son père accomplissait ses missions pour la Générale des eaux. Mais c’est en France, et plus particulièrement à Bordeaux (faculté d’économie) puis Marseille (Euromed), qu’il a effectué son cursus scolaire et étudiant. Une expérience peu concluante en Amérique latine au sortir de ses études l’y ramène. Il débute alors chez Auchan. Il enchaîne les responsabilités au fil de ses quinze années au sein de la marque au rossignol rouge. Après un passage en Russie et en Pologne, et un moment à la tête des supermarchés de la marque en France, un gros poste, il rejoint le Luxembourg début 2018 pour développer un concept.
Out le snobisme franco-français. À son arrivée en 1996 au Kirchberg, Auchan s’était appuyé sur ses centrales d’achat et avait écarté de facto de ses rayons les produits luxembourgeois. Le directeur actuel qualifie ces orientations de « très grosses erreurs » et fait… tout le contraire. Dans la mesure du possible bien sûr. « Mon but, c’est de densifier mon environnement et mon terroir. Plus mon environnement est puissant, plus je grandis avec, » se justifie Cyril Dreesen. A contrario, « moins la ville aura d’intérêt, moins il y aura de touristes, moins il y aura d’achats ».
Cyril Dreesen discute d’un concept qui laisse son concurrent Laurent Schonckert, qui manifestement l’ignorait, sur son séant. « Ouuuh c’est du lourd là », s’exclame-t-il. Face aux craintes de faillites commerciales à répétition en centre ville, « surtout dans le quartier de la gare suite à l’ouverture de la Cloche d’or », le directeur d’Auchan raconte avoir vu la directrice de l’Union commerciale de la Ville de Luxembourg (UCVL) Anne Darin. Il lui a expliqué, comme il l’a fait à son homologue de la Confédération luxembourgeoise du commerce (CLC), Nicolas Henckes, que son « but n’était pas de tuer le commerce de centre ville », comme Auchan a pu le faire en France ou en Belgique. « On a complètement appauvri le commerce des villes pendant quinze ou vingt ans. Ne reproduisons pas ce schéma. Voyons comment on peut travailler », dit-il.
La solution envisagée serait un « système commun de cagnotte ». Une partie de l’argent dépensé à Auchan Cloche d’or filerait dans un portefeuille virtuel. « Plus les gens auront acheté dans l’année plus ils auront de sous à dépenser. Ils utiliseront les 200-300 euros collectés dans les commerces du centre ville. Cela permettra de rééquilibrer les flux », avance le directeur d’Auchan. Il qualifie la démarche de « charitable ». Laurent Schonckert y voit un gouffre financier. « ça couterait beaucoup d’argent ». Puis, dans un registre symbolique, « cela semble montrer qu’ils sont en train de jouer les enfants de chœur pour minimiser leur impact. S’ils arrivent à faire ça, je ne tire pas mon chapeau mais presque », poursuit le Luxembourgeois. Car l’intéressé croit depuis longtemps que l’arrivée d’Auchan à la Cloche d’or va « affecter le commerce en ville ». Une certaine Corinne Cahen, aujourd’hui ministre de la Famille et à la Grande Région (DP), mais alors directrice de l’UCVL, avait avoué en 2010 qu’il s’agissait du projet commercial qui faisait le plus peur: « Les clients qui iront là-bas ne viendront plus chez nous », avait-elle affirmé. Il n’est jamais trop tard pour changer le cours de l’histoire.