Elmira Najafi a repris la gestion d’une petite institution culturelle. C’est un peu par hasard qu’en Neuvième, cette native de l’Iran décroche un stage chez Alinéa sur recommandation de son professeur de français au Lycée technique de Bonnevoie. Elle n’avait jamais entendu parler de cette librairie et ignorait qu’on pouvait également y acheter des livres en allemand. (Elle s’alimentait jusque-là chez Ernster et aux Messageries du livre.) Ne sachant trop quoi étudier après la Treizième, Najafi retourne travailler durant deux ans chez Edmond Donnersbach, le patron d’Alinéa. Après des études en économie, elle enchaîne les boulots : chez la Poste, chez Classic Rock Radio à Sarrebruck et dans l’entreprise familiale de promotion immobilière. Au printemps 2017, quand elle apprend la nouvelle qu’Alinéa allait fermer, elle se trouve à Téhéran où elle travaille pour la Deutsche Botschaftsschule. Immédiatement, elle se demande si elle ne peut pas contracter un prêt pour reprendre le magasin de la rue Beaumont.
À son retour au Luxembourg, Najafi découvre que Donnersbach a changé d’avis et veut continuer. Finalement, la situation financière n’était pas si grave que ça ; les 21 700 et 36 700 euros de pertes qu’affichaient les bilan 2015 et 2016, seront suivis par 23 120 euros de bénéfices en 2017. Donnersbach met sur pied une coopérative avec une dizaine de « silent investors », des amis de longue date et des clients fidèles. On y retrouve ainsi un homme d’affaires (Norbert Becker), un avocat (Michel Molitor) ainsi que deux hauts fonctionnaires retraités (Raymond Straus et Louis Robert), par ailleurs grands soutiens du campus de micro-universités privées de Wiltz. Elmira Najafi, qui n’est pour l’instant pas actionnaire mais simple employée, est nommée gérante du magasin.
Le self-made-man Donnersbach avait des ambitions encyclopédiques. Il tenait à présenter, dans ses rayons, les quasi-intégrales des grands auteurs qui font autorité. Ce stock en littérature, qui s’est accumulé sur des années, continue à faire le charme de la librairie et la différencie de ses concurrents. Mais d’un point de vue économique, le capital immobilisé pose quelques défis. À commencer pas le très lent et incertain retour sur investissement. Elmira Najafi ne connaît pas le nombre exact de livres que contient la librairie ; ce serait « mission impossible », puisqu’il n’y aurait jamais eu d’inventaire complet. « Ce n’est pas évident, mais on gardera un grand stock, promet-elle. Lorsque je vends un livre et que je vois que cela faisait un petit moment qu’il était au magasin, je suis très contente. »
Avec la Librairie Française, Alinéa est la seule librairie à ne pas participer au commerce – aussi lucratif que disruptif – des manuels scolaires. « Nous ne pouvons pas, faute de locaux », dit Najafi. « Mais, en fait, nous ne voulons pas. On laisse volontiers ce marché à Ernster ou à Diderich ; nous ne sommes pas en concurrence avec eux, ni eux avec nous. » L’installation prochaine de la Fnac au Royal-Hamilius ne lui fait « pas peur du tout ». (Il n’est toujours pas clair si la Fnac y vendra plutôt des aspirateurs ou des livres.) « Les gens iront jeter un coup d’œil, ils fouilleront et ils repartiront les mains vides. Ils retourneront chez nous, dans nos petites boutiques mignonnes. »
Pour réaliser ses idées de renouveau, Najafi a mobilisé son réseau personnel. Les livres de cuisine d’Anne Faber, présentatrice chez RTL-Télé, ont décoré la vitrine (ses biscuits sont mis en vente au magasin). Eric Mangen, le peintre-graffeur, vient de terminer une immense fresque au sein de la librairie. La nouvelle gérante veut installer un « coffee corner » au premier étage et vend du chocolat artisanal ainsi que de la papeterie de luxe, importée de Turquie et d’Italie.
Najafi vient ainsi de vendre à un client une version limitée de Ferrari, une monumentale monographie éditée par Taschen. Prix de vente : 25 000 euros. Dans une ville où une place de parking (au sous-sol du Royal-Hamilius) est affichée à 210 000 euros, tout est possible. À propos immobilier : Face au Wort, Edmond Donnersbach avait déclaré en 2017 que son loyer mensuel s’élevait à « plus de 10 000 euros ». Au Luxembourg, tout commence et tout se termine avec le loyer.