On avait eu vent du travail de Laure Roldàn alors qu’elle préparait la maquette de son Dolce Inferno présenté au TalentLab des Théâtres de la Ville en 2017. Pourtant, elle connaissait déjà une longue épopée dans le spectacle, passée sur les scènes de France et de Navarre, assumant, tout le long de son parcours des textes souvent frontaux, voire incisifs, dans des partis pris très tranchés. De Grignan, où elle loge en ce moment pour assister le metteur en scène Yves Beaunesne sur son Ruy Blas, Laure Roldàn prend beaucoup de plaisir à nous guider dans les vingt ans de sa carrière pléthorique. Dès la préparation de notre entretien, beaucoup de questions nous sont venues en tête, finalement, avec elle, c’est une grande conversation qui s’engage naturellement. Dans la nostalgie du souvenir, Roldàn prend un malin plaisir à jouer les « conteuses autobiographiques », et petit à petit, on découvre une artiste passionnée.
Laure Roldàn, Madrilène d’origine, d’où l’accent tonique sur le « à » – mais pas dans la voix –, emménage à Luxembourg à l’âge de sept ans pour s’installer ensuite en France, à ses 18 ans et se former ensuite au Conservatoire de Paris. Néanmoins, dix ans passés au Luxembourg marquent une vie et son rapport à la langue se décline à travers les trois cultures dans lesquelles elle a grandi. Son envie de théâtre vient sûrement de là, de cette culture multilingue et son désir d’en faire utilité artistique, « quand j’aborde un texte, c’est toujours la langue qui intervient et le fait de savoir comment elle peut transformer la pensée et le corps ».
Tout juste sortie du conservatoire, elle tient son premier rôle pro dans Stop the Tempo écrit par Gianina Carbunariu et mis en scène par Christian Benedetti, « cette première expérience m’a appris à être sur le texte et y trouver une sensation de lucidité. Il faut se laisser faire par le texte et surtout, ne pas le subir ». Une création construite comme une forme de réponse à un malaise assez général, avec laquelle elle voyage en Roumanie, « on avait un trac immense, on se sentait investis d’une mission, de quelque chose d’important ».
Dans cette dynamique, elle enchaîne les rôles, dirigée tantôt par Silviu Purcarete dans Les Métamorphoses d’Ovide – un spectacle qui ouvre son affection pour un théâtre plutôt acerbe – tantôt par Hélène Vincent dans Van Gogh à Londres, joué en première au Théâtre de L’Atelier – du théâtre privé, devant un public aux attentes différentes –, ou chez Arthur Nauzyciel, dans Ordet (La Parole) – avec lequel elle connaît son premier In à Avignon –, un spectacle fort pour la comédienne qui déclinera ses premières envies de mise en scène, observant le travail de Nauzyciel, « on partait de lectures à plat très ouvertes, comme si la parole était performative, on disait et ça devenait… ».
Elle retrouve ensuite le Luxembourg et y découvre une scène très virulente, autour de projets tenus par Carole Lorang sur le texte Yvonne Princesse de Bourgogne de Gombrowicz, Laura Schroeder sur son Luxtime – Jacques Tati Revisited ou encore Marion Poppenborg sur deux textes de Rodrigo Garcia, « des textes à assumer, dans une écriture qui n’est pas assez formelle pour pouvoir s’en échapper. Couplé à une direction où il faut être à fond, tout le temps ». Des pièces qui scellent ses aspirations de comédienne et avec lesquelles Roldàn s’installe complètement sur la scène luxembourgeoise.
Pourtant, même si la dimension familiale du domaine artistique au Luxembourg l’attire énormément, de ses velléités de metteuse en scène, elle confirme un véritable besoin de création et monte Voilà donc le monde ! – d’après Illusions Perdues de Balzac – au théâtre 13. Elle a trente ans et s’interroge sur ce qu’est qu’être acteur, « c’était un marqueur entre le passage de la jeunesse et l’âge adulte. Un moment un peu clé dans mon parcours ». Une première mise en scène, dans laquelle elle aborde une posture introspective, « ce spectacle correspondait à un moment de ma vie où je devais accepter de ne pas pouvoir faire ce que je voulais, mais que je pouvais m’approprier la réalité ». Et c’est à ce moment qu’une nouvelle position face au spectacle vivant la tiraille.
Ainsi, à l’image d’Antoine Vitez, Laure Roldàn travaille depuis quelques années à « faire théâtre de tout » par le biais de collage de texte et des écritures contemporaines, « pour le moment je ne me sens pas de monter un classique. J’aime ces collages de matériaux et je trouve que ça laisse une place à l’acteur en tant que dramaturge. Il devient maître de ce qu’il apporte à la pièce ».
Dans l’idée du « tout adaptable » à la scène, en 2017, elle monte Dolce Inferno au TalentLab, inspirée par La Dolce Vita de Fellini. Elle présente le projet en expliquant : « Notre époque est décadente, tout le monde le dit. Par conséquent, je me demande quelle forme pourrait revêtir notre renaissance ». Un projet existentialiste qui questionne le spectateur autant que les acteurs, « quand tu as atteint le bonheur qu’est ce qui se passe ? C’est l’ennui, la décadence ? » C’est aussi l’objet de la recherche artistique que de se demander à quel moment on se sent frustré, « si tu ne connais pas de manque, tu ne vas pas écrire. Le théâtre se fait quand on ne trouve pas les réponses à certaines questions. C’est plus fort que toi. C’est une nécessité ».
De là, voulant se frotter aux méthodes de grands metteurs en scène, elle en vient à assister le génial Calixto Beito sur The string quartet’s guide to sex and anxiety, ou tout récemment le metteur en scène Yves Beaunesne – directeur de la Comédie Poitou-Charentes, CDN – sur son Ruy Blas1, « c’est une grosse machinerie et surtout, un texte classique… J’avais vraiment besoin de découvrir ça ».
Pour ce projet, elle reçoit la bourse d’accompagnement pour metteur en scène émergent du Fonds Culturel National. Un défi dramaturgique face à un texte classique aussi important signé Victor Hugo, pour lequel Laure Roldàn opère en tant que traductrice sur certaines lignes en espagnol et également en tant qu’assistante à la mise en scène, « je voulais voir ce que c’est que diriger un gros bateau. Ce que j’ai appris, et que je vais mettre en place dès la rentrée, c’est de vraiment anticiper tous les problèmes pour ne pas troubler le moment que tu passes au plateau ».
La rentrée n’est d’ailleurs pas si loin et Roldàn aura à faire… En octobre, elle présente Petit Frère, la grande histoire de Charles Aznavour, une création théâtrale autour de Charles Aznavour et des siens, inspirée du livre de sa sœur Aïda où elle propose de plonger dans une odyssée singulière qui éclaire tout le siècle dernier : celle de la famille Aznavourian. Une pièce montée dans le cadre des Capucins Libre, au Théâtre des Capucins à Luxembourg-ville, « ce n’est pas un biopic, c’est l’histoire de la famille Aznavour. Un récit où l’on se demande comment par le talent, la joie, on s’approprie une nationalité, une langue et une culture ».
Elle-même bi-nationale – voire tri – ce projet lui ressemble finalement beaucoup, « ses parents étaient ce qu’on appelait à l’époque des “saltimbanques“. Même sans-le-sou, ils n’ont jamais interdit à leurs enfants de faire ce métier, ils savaient que c’était important de jouer, de faire ce qu’on aime ». C’est ainsi une histoire familiale qui se décline, un récit qu’il va falloir rendre théâtral. Pour ce faire, Laure Roldàn se retrouve à tous les niveaux de ce projet : elle adapte, joue et met en scène la pièce en collaboration avec Gaëtan Vassart, « j’avais vraiment envie de jouer le rôle d’Aïda – mémoire de la famille – c’est pour cela que j’ai fait appel à Gaëtan ». Après le TalentLab, le Capucins Libre lui offre l’occasion de montrer « sa vision du monde » à un large public et de se faire définitivement une place dans le circuit en tant que metteuse en scène.
Aujourd’hui, après une vingtaine d’année d’expérience en tant que comédienne et bientôt dix de l’autre côté du cadre de scène, Laure Roldàn gravite entre les statuts artistiques à la scène et trouve également ponctuellement des rôles au cinéma et plus spécifiquement dans le court-métrage luxembourgeois.
L’Espagne dans le cœur, Roldàn s’est construite entre la France et le Luxembourg, observant aujourd’hui autant d’accointances que de différences. Néanmoins, pour elle, la force du Luxembourg vient de la place que le pays laisse aux jeunes artistes pour s’affirmer. Pourtant, « l’image du Luxembourg comme un pays de création n’est pas encore totalement ancrée dans la conscience des gens, alors que la programmation y est aussi bonne et ambitieuse qu’à Paris. Le Luxembourg est un haut lieu de culture et doit le faire savoir », précise-t-elle.
Une idée qui va sûrement faire du chemin… Mais, pour l’heure, Laure Roldàn se concentre sur l’avenir : sa création Petit Frère au Théâtre des Capucins en octobre, son rôle dans Nana au Théâtre du Centaure en novembre, et celui qu’elle tient dans Roulez Jeunesse ! aux Capucins en décembre, « encore de nouveaux défis de comédienne ».